[Tribune] Loi sur les travailleurs détachés : quel impact pour les entreprises ?
Contraintes accrues ou meilleure gestion des risques : le point sur ce à quoi doivent s'attendre les entreprises avec la nouvelle loi sur les travailleurs détachés.
Je m'abonneLe Sénat, après réunion de la commission mixte paritaire, a définitivement adopté le 12 juin 2014 une proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale reprenant la récente directive européenne sur "les travailleurs détachés". Ce texte se veut être un outil de lutte efficace contre les fraudes et les abus constatés liés au détachement de travailleurs. Mais, concrètement, que va-t-il changer pour les entreprises ? Le Code du travail impose déjà aux entreprises donneuses d'ordre comme sous-traitantes un cadre strict pour la mise en oeuvre d'opérations de détachement de travailleurs européens sur le territoire national. La volonté de la France de transposer cette directive impose de nouvelles obligations et un renforcement des contrôles.
Un mécanisme qui appelle à une vigilance accrue
L'entreprise étrangère qui détache des travailleurs doit, en plus de l'obligation d'effectuer une déclaration de détachement, désigner un représentant en France, chargé d'assurer la liaison avec les agents de contrôle. Il s'agit notamment de permettre aux inspecteurs du travail de pouvoir saisir une personne physique à qui transmettre leurs observations.
Le donneur d'ordre sera tenu de vérifier l'accomplissement de ces formalités avant le début du détachement. S'il est informé par un agent de contrôle d'un manquement de son sous-traitant dans certains domaines jugés sensibles (exercice du droit de grève, droit au repos, discrimination, rémunération inférieure au minimum légal ou conventionnel etc.,...), il devra "enjoindre" à ce dernier de régulariser la situation et de tenir l'agent de contrôle informé des suites.
Par ailleurs, les maîtres d'ouvrages auront également une obligation de vigilance en matière d'hébergement collectif des salariés des entreprises sous-traitantes et seront susceptibles d'avoir à le prendre en charge directement en cas de condition d'hébergement constatées, incompatibles avec la dignité humaine. Ce donneur d'ordre est censé participer à la prévention et à la lutte contre les abus en matière de détachement pour qu'ils soient évités.
Arme supplémentaire : les organisations syndicales pourront également, sans avoir à justifier d'un mandat, agir en justice pour faire valoir les droits d'un salarié.
Des sanctions financières et solidaires comme garde-fou
Le donneur d'ordre, qui omettrait d'enjoindre à son sous-traitant de respecter les obligations auxquelles il aurait manqué, sera passible d'une amende administrative de 2 000 € par salarié, ou 4 000 € en cas de récidive, dans la limite de 10 000 €.
Le non-respect du salaire minimum légal ou conventionnel donne lieu à une sanction bien plus sévère puisque le donneur d'ordre sera tenu solidairement avec l'employeur au paiement des rémunérations. La menace pourrait se révéler très efficace.
Des sanctions complémentaires sont également prévues, en particulier la possibilité de porter le nom de l'employeur condamné pour certaines infractions de travail illégal, quel que soit le montant de la condamnation, sur une liste diffusée sur Internet ou l'impossibilité de percevoir, pour une durée de 5 ans, toute aide publique.
Enfin, si les contrats passés en vue d'une opération de sous-traitance prévoient déjà, le plus souvent, des dispositions relatives à l'obligation pour le sous-traitant de justifier de l'accomplissement de ses obligations en matière sociale, les clauses concernées devront néanmoins être revues, adaptées au dispositif nouveau. Elles devront sans doute ménager au donneur d'ordre une possibilité de mettre fin au contrat en cas de négligence persistante de son sous-traitant.
Cédric Jacquelet est International Counsel chez Proskauer. Il est diplômé d'un DESS Droit et Pratique des Relations de travail de l'Université Paris 2 Panthéon - Assas et d'un doctorat en droit privé (2006), Université Paris 2 Panthéon - Assas. Il débute sa carrière en 2003 et intègre le cabinet Proskauer en 2012. Il intervient aussi bien en conseil qu'en contentieux dans l'ensemble des domaines de la protection sociale de l'entreprise comme du droit de la Sécurité Sociale. Dans ce cadre, il accompagne les entreprises dans le domaine du droit social et plus particulièrement des relations collectives de travail, notamment à l'occasion de contentieux les opposants aux institutions représentatives du personnel, de négociations collectives ou de restructurations. Il est responsable d'enseignements en formation initiale et continue au sein de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne et anime régulièrement des formations ainsi que des séminaires.