[Dossier] Droit du travail : les 28 propositions à retenir du rapport Combrexelle
Jean-Denis Combrexelle, conseiller d'Etat et ex-directeur général du travail, a remis à Manuel Valls, mercredi 9 septembre 2015, le rapport "la négociation collective, le travail et l'emploi". Au centre du document : donner la prévalence de certains accords d'entreprise sur le code du travail.
Je m'abonneC'est un rapport qui fera sans doute date. Jean-Denis Combrexelle, ex-directeur général du travail, a remis mercredi 9 septembre 2015 au Premier ministre Manuel Valls son rapport sur "la négociation collective, le travail et l'emploi". Il s'agit, au total, de 44 propositions dont la plupart remettent à plat la façon d'envisager le dialogue social dans les entreprises. S'il fallait résumer l'esprit général du document : le législateur doit avoir une plus grande confiance dans les salariés et les dirigeants pour savoir ce qu'il y a de mieux pour eux. En clair, dans certains cas, les accords d'entreprise pourraient suppléer le code du travail.
Pour sa part, Manuel Valls a indiqué que le rapport permettra l'ouverture d'une grande concertation générale avec les partenaires sociaux. Le Premier ministre souhaite qu'un projet de loi soit présenté en Conseil des ministres fin 2015, voire début 2016.
1. Priorité à la négociation collective
Recourir à la négociation collective doit apparaître comme une démarche positive pour chacun des acteurs, aussi bien les dirigeants que les syndicats. Le rapport souhaite donc élaborer une pédagogie de la négociation collective démontrant le caractère rationnel et nécessaire de celle-ci notamment pour aider les entreprises à devenir plus compétitives et sources d'innovation.
2. Établir une confiance réciproque
La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Du côté des syndicats, le lien de confiance s'est même peu à peu délité, laissant place au sentiment que la négociation est instrumentalisée à des fins ignorées par les représentants des salariés. Le rapport préconise donc une mise en valeur des bonnes pratiques sur les moyens d'établir une confiance réciproque sur la présentation, le partage et l'utilisation d'informations stratégiques.
Selon le rapporteur, l'employeur doit faire le premier pas afin de fournir aux négociateurs des données de qualité et pertinentes. Les syndicats doivent quant à eux en finir avec certaines pratiques conflictuelles afin que soient gérés la négociation, la confidentialité des données et le suivi de l'accord dans un cadre de confiance et de loyauté.
3. Redonner du poids aux directions des ressources humaines
Il doit y avoir une proximité géographique, personnelle et culturelle des dirigeants et des DRH et responsables des relations sociales, lors du déroulement des négociations les plus importantes. L'aptitude et les compétences pour mener des négociations doivent par ailleurs être des critères essentiels lors de l'évaluation des cadres des directions des ressources humaines.
4. Fixer les règles du jeu par le biais d'accords de méthode
Pour faire évoluer les pratiques de la négociation qui paraissent aujourd'hui dépassées, des accords de méthode type pourraient être élaborés au niveau de la branche. Ces accords devraient porter sur quatre points : le calendrier de la négociation avec des échéances-pour éviter des négociations interminables- avec un maximum légal de trois mois renouvelables une fois, les documents et données économiques et sociales ainsi que les règles de confidentialité qui s'appliquent, les conditions dans lesquelles les salariés sont informés sur le contenu des négociations en cours.
Ces accords devraient par ailleurs prévoir des modalités amiables de résolution des litiges liés à l'application et à l'interprétation de l'accord, toujours dans un souci d'assouplir les règles concernant la négociation et le contentieux.
5. Des accords d'entreprise plus souples et limités à quatre ans
Il appartiendrait à la loi de prévoir que tout accord collectif est un accord à durée déterminée qui ne pourrait pas excéder quatre ans. Jean-Denis Combrexelle propose aussi que les règles de révision des accords soient réformés -aujourd'hui la révision relève des seules organisations syndicales signataires- afin de permettre des adaptations plus rapides.
L'auteur préconise par ailleurs la mise en place d'un groupe de travail sur les conditions dans lesquelles il pourrait être donné plus de place à la négociation collective pour anticiper le statut des salariés transférés et mieux définir le contenu des avantages individuels acquis.
12. Le dialogue informel valorisé
Le rapport propose une mise en valeur des bonnes pratiques en matière de dialogue social informel. Qu'il s'agisse d'espaces de discussion déployés sans obligation dans le code du travail ou de dispositifs participatifs mis en place dans le cadre d'accords d'entreprises en cas d'événements importants comme un déménagement ou une crise grave.
13. Le nombre de réformes limité
Plus que de réduire le code du travail, le rapport insiste sur l'importance de limiter le nombre de réformes normatives du droit du travail, aujourd'hui au nombre de deux ou trois par an. Ainsi, elles devront se limiter à un agenda social annuel, prévu à l'avance, qui pourrait même être restreint à un unique texte du gouvernement. Ceci afin de faciliter la lecture, la compréhension et l'appréhension des nouvelles réformes, notamment par les TPE et PME.
14. Les textes obsolètes supprimés
Afin de stabiliser la taille du code du travail et éviter sa lecture " en strates ", les textes ou dispositions rendus obsolètes par une modernisation du code du travail devraient être supprimés.
15. Un code du travail refondu
Refusant la possibilité d'un code du travail réduit drastiquement -conférant trop de pouvoir au juge-, le rapport soumet un projet, d'ici quatre ans, d'une nouvelle architecture du contrat de travail articulée en trois parties. Les principes fondamentaux d'abord, présentant un caractère impératif relevant de l'ordre public. Les champs ouverts à la négociation ensuite, avec un encadrement législatif minimal conformément à la constitution. Les dispositions supplétives, enfin, qui s'appliqueraient en cas d'absence d'accord collectif.
16. Une réforme du temps de travail, des salaires, de l'emploi et des conditions de travail rapidement engagée
Toutefois, s'il prône un délai de quatre ans nécessaire à la réflexion et au travail de refonte, le rapport suggère une première modification du code du travail dès 2016. Elle concernera les domaines sur lesquels il y a urgence à développer la négociation collective et à adapter les réglementations existantes : le temps de travail, les salaires, l'emploi et les conditions de travail.
17. La concertation des partenaires sociaux simplifiée
Le rapport maintient le principe d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel pour les projets de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle. Toutefois, elles pourraient prendre la forme d'un accord national interprofessionnel (ANI) ou d'une " position commune " afin d'éclairer les pouvoirs publics des principes essentiels auxquels sont attachés les partenaires sociaux sur la réforme envisagée.
18. La négociation collective dans la Constitution
Le texte propose l'inscription, dans le préambule de la Constitution, des grands principes de la négociation collective.
19. Les négociations élargies à la RSE et au digital
Le rapport propose également d'ouvrir le champ des négociations collectives aux nouvelles problématiques de relations de travail posées par deux domaines : la responsabilité sociale des entreprises et l'économie digitale.
20. Les missions des branches recentrées
Sur les Accords sur les conditions de travail, l'emploi et les salaires (ACTES), les branches seraient recentrées sur quatre missions principales : définir l'ordre public recevable s'appliquant à l'ensemble des entreprises du secteur, proposer, via des accords, des solutions spécifiques pour les TPE, définir des stipulations supplétives en cas d'absence d'accord d'entreprise, et engager une négociation tournée vers l'emploi et la formation en fonction des évolutions prévisibles du secteur.
21. Les petites branches regroupées
Les branches représentant mois de 5000 salariés seraient rattachées, dans un délai de trois ans à une convention collective d'accueil afin de leur assurer les revenus et les moyens d'action nécessaires à leur rôle.
6. Améliorer la formation des syndicats et employeurs sur le dialogue social
Afin que les représentants syndicaux, les employeurs et les responsables de branches se professionnalisent sur le dialogue social, le rapporteur préconise que soient mises en place des actions de formation communes. Elles seraient " éventuellement " financées par le fonds de financement du paritarisme pour les employeurs, et viendraient compléter les dispositifs de formation déjà existants. La fixation du cahier des charges de ces nouvelles formations reviendrait à l'État.
Le rapport propose par ailleurs de confier une mission de réflexion sur la place et le fonctionnement des instituts régionaux et supérieurs du travail sur la question de la formation des syndicats et entreprises. Il pointe également l'intérêt d'étendre ces prérogatives à des organismes privés.
7. Faciliter l'information des salariés sur la négociation collective
" Le droit conventionnel reste un droit confidentiel ", regrette le rapport qui souligne le difficile accès des salariés, et plus largement des citoyens, aux multiples accords de branche ou collectifs. En cause notamment, des modalités de communication des salariés éparpillées et qui manque bien souvent de clarté et de pédagogie. Ce qui rend donc la plupart des accords sujets à interprétations et nuit donc à leur compréhension et application.
Aussi, le rapporteur suggère que les signataires aient désormais l'obligation de créer pour chaque accord un document expliquant les enjeux auquel il répond, ses principales dispositions et ses modalités d'interprétation. De même, il propose que chaque accord mentionne et prévoit les modalités d'information des salariés.
8. Renforcer le suivi et la communication publique sur la négociation collective
Si elles existent, les données quantitatives et qualitatives liées à la négociation collective en France sont peu nombreuses et rarement actualisées. Ce qui participe de la méconnaissance des salariés, des employeurs et, plus largement, des citoyens sur son rôle et son intérêt. Jean-Denis Combrexelle défend ainsi l'importance d'assurer un meilleur suivi, via des publications plus fréquentes et de renforcer ainsi les recherches en la matière sous l'égide de la Dares et de France Stratégie.
Autre proposition, le rapport suggère de créer une plateforme nationale regroupant toutes ces informations, afin d'en faciliter la diffusion auprès du plus grand nombre.
9. Maintien du rôle de l'État dans le contrôle des accords
Face au millefeuille de branches, le rapporteur défend le maintien de la prérogative d'extension d'accord de branche attribuée au ministère du Travail.
Aujourd'hui, à chaque accord collectif déposé, l'administration délivre à l'entreprise un récépissé sans pouvoir en valider le contenu. Le rapporteur propose que les services déconcentrés de l'État soient en droit de contester ces accords devant le Tribunal de grande instance (exception faite des accords portant sur les plans de sauvegarde de l'emploi), en cas de violation manifeste du droit.
D'après l'auteur du rapport, il faudrait davantage circonscrire le champ des obligations de négociation imposé par l'État aux entreprises, à seulement quelques domaines d'intérêt général jugés prioritaires (ex : égalité homme/femme). Il appuie également l'importance de promouvoir des bonnes pratiques plutôt que de prévoir systématiquement des sanctions financières en cas de manquement à ce type d'obligations.
10. Encadrer les recours judiciaires
Jean-Denis Combrexelle propose ainsi que le dépôt des accords de branche auprès de la DGT et des accords d'entreprise auprès de la Direccte fasse l'objet d'une publication " vis-à-vis des tiers ". Les recours étant ensuite rendus possibles dans un délai de deux mois.
11. Encourager les autres formes du dialogue social
Le dialogue social dans une entreprise ne se limite pas à la seule négociation collective. Le rapporteur insiste sur la nécessité de continuer à promouvoir les bonnes pratiques plus informelles du dialogue social et des accords d'entreprises (ex : consultation des IRP...).
22. Les accords d'entreprise valorisés
Le rapport Combrexelle insiste sur le fait que les entreprises et les salariés ont besoin d'une réglementation "sur-mesure". La raison : une diversité de plus en plus grande des milieux de travail en fonction de la nature de l'activité, de la taille et de l'organisation.
Pour le rapporteur, la loi doit fixer les grands principes du travail et de l'emploi, les accords de branche doivent fixer l'ordre public conventionnel et les accords d'entreprise doivent définir, en priorité, le droit conventionnel du travail sur les sujets qui ne relèvent pas de l'ordre public.
Ainsi, les entreprises auraient la faculté, par accord majoritaire dans le cadre des champs prioritaires des Accords sur les conditions de travail, l'emploi et les salaires (ACTES), de regrouper en deux catégories de thèmes la négociation des accords d'entreprise : perspectives d'évolution de l'entreprise/conséquences sur l'emploi/temps de travail/salaires d'une part et, d'autre part, conditions de travail/santé/discrimination/égalité homme-femme.
Par ailleurs, ces négociations auraient une périodicité quadriennale ans avec une clause dite de "revoyure" tous les ans.
23. Hiérarchie entre accords d'entreprise et accords de branche
Le rapporteur dresse une hiérarchie sur l'application des Accords sur les conditions de travail, l'emploi et les salaires (ACTES) dans les entreprises. Viennent, en premier lieu, les accords majoritaires d'entreprise. A défaut, ce sont les accords de branche qui devront s'appliquer. A défaut, encore, ce sont les dispositions supplétives du code du travail qui prennent le pas.
Une nouvelle architecture du droit social qui devra être "suivie de près" par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, afin d'éviter tout abus.
Un bilan de la mesure serait effectué tous les 4 ans.
24. Accords de groupe et accords d'entreprise
Les accords de groupe, quel que soit la taille du dit groupe, seraient assimilés à des accords d'entreprise. Seules conditions : les accords de groupe devraient définir à l'avance les différents niveaux de négociation (groupe, entreprise, établissement) en fonction des sujets traités.
25. Des accords clés en main pour les TPE
Les TPE font l'objet d'un traitement particulier par le rapporteur. Il estime que la norme prend en compte la situation des grandes et moyennes entreprises pour constater, ensuite, qu'elle n'est pas transposable dans les petites entreprises artisanales, voire les start-up.
Son exemple : celui des seuils qui contribuent à la complexité du code du travail.
"Les besoins de la TPE, du chef d'entreprise et des salariés sont d'avoir des accords d'entreprise sécurisé juridiquement dans lesquels sont clairement indiqués les choix possibles", indique le rapport.
Ainsi, ce serait à la branche de proposer des accords d'entreprise clés en main aux TPE (ex. : accords types pour la boulangerie, pour les cabinets médicaux, pour les cafés-restaurants...).
Les dirigeants, quant à eux, pourraient définir certains paramètres avec leurs salariés par voie de référendum.
26. Un contrat de travail adaptable
Le rapporteur défend avant tout une approche "pragmatique". Ainsi, dans le cadre de l'intérêt général et de l'intérêt collectif des salariés pour l'emploi, les accords collectifs préservant l'emploi pourraient prévaloir sur le contrat de travail.
Point important : un salarié refusant d'avoir son contrat de travail non appliqué du fait de la prévalence d'un accord collectif sur le maintien de l'emploi pourrait être licencié pour motif économique. Le régime indemnitaire serait spécifique à cette situation, et moins attractif qu'un licenciement économique classique.
27. Des accords majoritaires
C'est un point très important : tous les accords d'entreprise deviendraient majoritaires. Concrètement, cela signifie qu'ils devront être signés par des organisations représentatives ayant obtenu plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles.
Jean-Denis Combrexelle préconise sa mise en oeuvre pour 2017.
28. La concertation des partenaires sociaux
"Rien ne pourra être fait sans la réunion, dans une forme à définir, de l'ensemble des acteurs sur un certain nombre d'objectifs communs, sur la volonté partagée de les atteindre et une confiance réciproque minimale", prévient le rapport.
Ainsi, Jean-Denis Combrexelle souhaite la mise en oeuvre d'une large concertation avec les partenaires sociaux sur la base des propositions de son rapport.
Une applications dès 2016
Si les propositions du rapport Combrexelle pour réformer le droit du travail sont ambitieuses, le calendrier d'application l'est tout autant. Les auteurs proposent ainsi que, dès 2016, une loi relativement courte ou une ordonnance issue de l'article 38 de la constitution amorce la refonte du code du travail.
La première de ces mesures urgentes concerne l'élargissement de la négociation collective dans quatre domaines : le temps de travail, les salaires, l'emploi et les conditions de travail. En d'autres termes, dès cette date, seraient effectifs la priorité donnée à l'accord d'entreprise ou de branche sur la loi, ainsi que la primauté des accords collectifs directement liés à l'emploi sur le contrat de travail.
Parallèlement, ce même texte législatif devrait comprendre, pour Jean-Denis Combrexelle, des dispositions générales sur la négociation collective (place des accords de méthode, limitation législative dans le temps des accords d'entreprise et professionnels de branche, etc.).
Voilà pour l'urgence. Viendra ensuite, d'ici 4 ans, une réécriture du code du travail pour distinguer, de manière optimale, ce qui relève de l'ordre public, du renvoi encadré à la négociation collective et ce qui relève du supplétif en l'absence de négociation. Une réforme qui déboucherait sur une modification constitutionnelle, mais dont le succès dépendra du "sursaut de l'ensemble des partenaires sociaux pour une dynamique de négociation." Car le rapport le rappelle : "le texte constitutionnel ne viendrait que consacrer ce changement dans le jeu des acteurs, il n'aurait ni la vocation, ni la prétention de le provoquer."