[Tribune] Emploi fictif : quels risques pour le chef d'entreprise ?
Le fait qu'il soit admis qu'un parlementaire français puisse recruter un membre de sa famille suscite la polémique. Les débats en cours sont l'occasion de faire un point sur les conditions dans lesquelles un dirigeant peut avoir recours aux services d'un proche et les sanctions de leur non-respect.
Je m'abonneSi les affaires d'emplois fictifs semblent s'inscrire dans une longue tradition dans la vie politique française, qu'en est-il dans le monde de l'entreprise ? Un contrat de travail entre conjoints ou entre proches peut-il être facilement requalifié en emploi fictif ?
Il est d'abord admis que tout chef d'entreprise puisse faire appel à un membre de sa famille pour l'accomplissement de prestations de travail non rémunérées dans le cadre de ce que le Code du travail désigne sous le nom d'entraide bénévole et qui prend alors la forme d'une entraide familiale.
Selon l'agence centrale des organismes de Sécurité sociale, l'entraide familiale se caractérise par une aide ou une assistance apportée à une personne proche, de manière occasionnelle et spontanée, en dehors de toute rémunération et de toute contrainte. Il est également admis que tout chef d'entreprise (du moins l'entreprise qu'il représente) puisse recruter un membre de sa famille.
Le contrat de travail est en effet soumis aux règles de droit commun. Lesquelles n'interdisent aucunement à deux personnes présentant un lien de parenté de contracter entre elles. Ainsi, tout dirigeant est libre d'engager son conjoint, son concubin, son partenaire de PACS, un ascendant ou encore un descendant. Encore faut-il que le lien qui s'instaure entre les parties en présence s'inscrive dans le cadre d'une véritable relation de travail salariée. À ce titre, il convient de rappeler que le contrat de travail se caractérise, à l'inverse de l'entraide bénévole, par la fourniture par une personne d'une prestation de travail à une autre personne sous la subordination de laquelle elle se place moyennant une rémunération.
Les sanctions encourues et les moyens d'y échapper
Si le Code du travail sanctionne ouvertement le travail dissimulé (et donc la prétendue entraide familiale qui dissimule en fait un contrat de travail), de même que le cumul irréguliers d'emplois (que peut caractériser notamment la réalisation, au-delà de la durée maximale du travail, de travaux rémunérés au titre d'un emploi salarié et d'une prétendue entraide familiale qui n'en serait pas une), il ne pénalise pas expressément le travail fictif autrement dit l'emploi déclaré salarié à tort du fait de l'absence de fourniture d'une véritable prestation de travail.
Il ne le sanctionne du moins que de manière indirecte en punissant de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de faire obtenir frauduleusement ou de tenter de faire obtenir frauduleusement des allocations chômage, ce dont peut être effectivement accusé le chef d'entreprise faisant relevé ou ayant fait relevé indûment un proche du régime d'assurance chômage. La ou plutôt les sanctions du travail fictif doivent donc être recherchées ailleurs que dans le Code du travail.
Dans des termes plus généraux que ce dernier, le Code pénal punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de fournir sciemment une fausse déclaration en vue de faire obtenir ou de tenter de faire obtenir d'une personne publique, d'un organisme de protection sociale ou d'un organisme chargé d'une mission de service public une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu.
De son côté, le Code du commerce punit d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros l'abus de biens sociaux, autrement dit le fait pour le gérant d'une SARL ou le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles.
Pour échapper à la sanction, l'employeur soupçonné d'employer un proche de manière fictive doit rapporter la preuve que celui-ci assure, sous son contrôle et selon ses directives, des fonctions techniques effectives au sein de son entreprise en contrepartie desquelles il perçoit une juste rémunération. Cette preuve peut être rapportée par tous moyens (écrits, agendas, témoignages, bulletins de paie) mais ne peut, bien évidemment, résulter de la seule production d'un contrat dit de travail que les juges sont toujours en droit de déqualifier.
L'auteur
Luc Bachelot est associé au sein du cabinet Capstan Avocats (bureau de Lyon). Il est spécialiste en droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale. Il assiste particulièrement les entreprises dans le cadre de contrôle et de contentieux Urssaf, et dans le domaine des risques professionnels.