Quelles modifications dans le contentieux en droit du travail en cette période de reprise ?
La période de crise sanitaire, épisode sans précédent, aura des répercussions durables dans tous les domaines de l'économie. Le contentieux du droit du travail ne fait pas exception à ce constat et les impacts dans ce domaine, établis ou anticipés, sont de plusieurs ordres.
Je m'abonneLa crise sanitaire a nécessité des adaptations rapides de la part de nombreux acteurs : du législateur et du pouvoir exécutif, par l'adoption de mesures exceptionnelles, des entreprises, au travers de l'adaptation de leur organisation dans un environnement de travail profondément bouleversé et source de nouveaux risques. Autant de circonstances de nature à avoir des répercussions sur le contentieux en droit du travail.
Un engorgement plus prononcé des juridictions
Avant la crise sanitaire, le contentieux en droit du travail était déjà en mutation, compte tenu d'une succession de réformes (en dernier lieu la réforme des saisines du conseil de prud'hommes en 2016(1), suivie de l'introduction du barème des indemnités prud'homales en 2017(2)) avec notamment pour objectif un raccourcissement des délais. Néanmoins, les juridictions du travail demeurent engorgées.
Ce phénomène est d'autant plus avéré qu'en début d'année, une grève des avocats avait déjà entraîné des reports d'audiences qui se sont poursuivis avec le confinement. Dès le 16 mars 2020 les audiences ont été reportées d'office, à l'exception des affaires pour lesquelles l'urgence était caractérisée.
L'état d'urgence sanitaire ayant par ailleurs entraîné la prorogation de certains délais judiciaires, la reprise des audiences contraint les juridictions du travail (conseil de prud'hommes, tribunal judiciaire et tribunal administratif) à absorber le retard pris.
Le gouvernement, anticipant cette difficulté, a tenté d'y remédier s'agissant des conseils de prud'hommes, par l'introduction en mai 2020(3) d'une mesure de renvoi direct en bureau de jugement lorsque, trois mois après la saisine de la juridiction, l'audience du bureau de conciliation et d'orientation n'avait pas eu lieu. Cette mesure temporaire a pris fin le 23 juillet 2020, sans qu'un réel impact ait été constaté sur les délais.
La reprise se traduit donc, dans les faits, par un allongement des délais de traitement du contentieux. On citera à titre d'exemple la section encadrement du conseil de prud'hommes de Nanterre qui renvoie à l'heure actuelle les affaires à des audiences de jugement en 2023. Il ne serait pas surprenant que les actions visant à mettre en cause la responsabilité de l'Etat sur ce fondement se multiplient.
Vers une évolution de la nature des demandes ?
En droit du travail, la crise sanitaire a donné lieu très rapidement à plusieurs contentieux collectifs emblématiques, en lien avec les conditions de poursuite des activités pendant le confinement (affaires Amazon, Carrefour ou La Poste) et l'obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels de l'employeur, placée au coeur de la relation de travail. Au-delà du contentieux relatif à la faute inexcusable en droit de la sécurité sociale, le non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité a vocation à devenir, en droit du travail, un fondement privilégié pour l'engagement de sa responsabilité, via des demandes individuelles d'indemnisation de la part des salariés ou des recours collectifs initiés par les représentants du personnel.
Le recours massif au télétravail devrait également alimenter les débats devant les juridictions du travail, par les diverses problématiques qu'il est susceptible de faire naître, en lien par exemple avec le respect des règles relatives à la durée du travail et aux temps de repos, au droit à la déconnexion ou encore au suivi de l'activité et à la cohésion des équipes.
Il en va de même s'agissant du recours à l'activité partielle, que ce soit sous l'angle des modalités de calcul de l'indemnisation versée au salarié ou des conditions de mise en oeuvre de ce dispositif.
Autre évolution anticipée : l'augmentation du contentieux afférents aux licenciements pour motif économique, avec la multiplication attendue des restructurations dans un contexte économique très dégradé. Les organisations syndicales se montreront particulièrement attentives aux contenus des plans de sauvegarde de l'emploi et le contentieux administratif afférent pourrait s'intensifier, au même titre que les contestations individuelles devant le juge judiciaire fondées sur le motif économique de la rupture, les critères d'ordre des licenciements ou encore les recherches de reclassement.
En savoir plus
Isabelle Dauzet, à gauche, et Louise Thiébaut à droite, membres d'AvoSial, sont avocates counsel au sein du département social du Cabinet De Pardieu Brocas Maffei. Elles assistent les entreprises dans la gestion de leurs problématiques de droit du travail et de la sécurité sociale.
(1)Décret n°2016-660 du 20 mai 2016
(2)Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017
(3)Ordonnance n°2020-595 du 20 mai 2020