Comment être relevé d'une interdiction de gérer
Vous êtes interdit de gérer par suite d'une décision du tribunal et vous souhaitez effacer cette sanction afin de recréer une société ? Explications sur cette procédure peu connue pour être autorisé par le tribunal à être de nouveau un " chef d'entreprise ".
Je m'abonneIl se peut que, dans votre vie de chef d'entreprise, vous connaissiez des périodes plus difficiles que d'autres et que vous soyez amenés à déposer le bilan. Certains dépôts de bilan peuvent conduire à ce que vous soyez sanctionné à titre personnel. Vous risquez notamment, en cas de fautes de gestion, de faire l'objet d'une interdiction de gérer. Le but de cette sanction est d'écarter les dirigeants malhonnêtes ou trop incompétents. Chaque année, ce sont près de 4 000 dirigeants qui font l'objet d'une sanction personnelle et, pour la très grande majorité, il s'agit d'une sanction en interdiction de gérer. Ces " délinquants en col blanc " sont inscrits au Fichier national des interdits de gérer (FNIG), fichier qui comptait en 2019 près de 24 500 dirigeants encore sous le coup d'une interdiction de gérer. Mais, le chef d'entreprise a lui aussi droit à une " seconde chance " et peut demander au tribunal, sous certaines conditions, d'être relevé de cette déchéance avant son expiration.
Quelle sont les sanctions professionnelles personnelles ?
Qui peut en faire l'objet ?
Le tribunal peut prononcer une interdiction de gérer ou la faillite personnelle contre le chef d'entreprise personne physique, dirigeant de droit ou de fait d'une entreprise, mais également contre tout personne exerçant une activité professionnelle indépendante, que ce soit une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Seules les personnes soumises à des règles disciplinaires en sont exclues (par exemple, les médecins, avocats qui ne peuvent être sanctionnés que par leur Ordre professionnel)(1).
La distinction entre sanctions personnelles professionnelles et patrimoniales
On distingue les sanctions personnelles professionnelles que sont l'interdiction de gérer et la faillite personnelle de la sanction personnelle patrimoniale. Cette dernière consiste à faire supporter personnellement au chef d'entreprise le paiement de l'insuffisance d'actif résultant de la liquidation judiciaire de sa société.
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Quelle différence entre la sanction d'interdiction de gérer et la faillite personnelle ?
Le prononcé d'une faillite personnelle à l'encontre d'un dirigeant emporte les conséquences suivantes :
- interdiction de gérer
- autorisation de reprise des poursuites des créanciers après clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif contre le débiteur (une telle conséquence n'aura d'effet que pour le débiteur en liquidation judiciaire, non pas pour ses dirigeants. Cela ne concerne donc que les débiteurs personnes physiques, par exemple le professionnel libéral, l'entrepreneur individuel, l'artisan...)
- déchéance électorale (incapacité d'exercer une fonction publique élective et d'être élu publiquement)
Il en résulte que si un dirigeant est sanctionné d'une faillite personnelle, il est automatiquement interdit de gérer alors que la sanction d'une interdiction de gérer est limitée à une seule conséquence.
Les fautes justifiant le prononcé de l'interdiction de gérer et de la faillite personnelle
Les articles L653-1 et suivants du Code de commerce précisent les fautes pour lesquelles le chef d'entreprise peut être condamné à l'une ou l'autre de ces deux sanctions et notamment :
- absence de tenue de comptabilité ou sa tenue irrégulière,
- détournement d'actif,
- poursuite abusive d'une activité déficitaire,
- dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements,
- absence de coopération avec le liquidateur judiciaire.
Quels sont les effets et la durée de l'interdiction de gérer ?
Si ces fautes sont retenues contre le dirigeant, le tribunal prononcera la sanction qui lui paraît la plus opportune. La sanction de faillite personnelle est plus grave et sera privilégiée pour les dirigeants malhonnêtes tandis que la seule interdiction de gérer sera réservée aux dirigeants incompétents.
Les effets de l'interdiction de gérer
La sanction de l'interdiction de diriger signifie que la personne ne peut plus être impliquée de quelque manière que ce soit dans les décisions concernant la gestion d'une entreprise. Violer cette interdiction est punie pénalement.
La durée de l'interdiction et son exécution
Le tribunal fixe librement la durée de l'interdiction qui sera de 15 ans maximum. Une fois la décision rendue, la mesure est portée sur les bulletins 1 et 2 du casier judiciaire, fait l'objet de mesures publicitaires et enfin est inscrite sur le fichier FNIG. Si vous faites appel de la décision d'interdiction de gérer et que la décision n'est pas assortie de l'exécution provisoire, la sanction ne peut être effective.
Comment être relevé de l'interdiction de gérer ?
En dehors évidemment de l'expiration de la sanction, le dirigeant peut se prévaloir de deux cas pour demander à être relevé de l'interdiction de gérer.
Premièrement, le dirigeant concerné peut demander au tribunal de le relever des déchéances et interdictions et de l'incapacité d'exercer une fonction publique élective s'il a apporté une contribution suffisante au paiement du passif (faillite personnelle).
Deuxièmement, si le dirigeant a fait l'objet d'une interdiction de gérer seule, il peut en être relevé s'il présente toutes les garanties démontrant sa capacité à diriger ou contrôler l'une ou plusieurs des entreprises ou personnes visées par le même article(2).
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La condamnation à une faillite personnelle peut être relevée par une contribution " suffisante "
La loi permet au dirigeant déchu d'être réhabilité si ce dernier verse une somme d'argent suffisante permettant de rembourser tout ou partie du passif de la société liquidée. La jurisprudence estime en effet qu'il n'est pas nécessaire que tous les créanciers soient désintéressés, c'est-à-dire payés(3).
Toutefois, cette contribution ne doit pas être dérisoire. Elle doit être significative(4). Évidemment, la caractère suffisant ou significatif de la contribution financière reste à la seule appréciation du juge. Concrètement, pour considérer que la somme versée par le dirigeant est significative (par exemple somme versée par le dirigeant dans le cadre d'une action en insuffisance d'actif ou d'un paiement en qualité de caution bancaire), le juge se fondera notamment sur les éléments suivants :
- le montant du passif laissé à l'entreprise par rapport au chiffre d'affaires
- le patrimoine personnel du dirigeant.
Le juge saisi de la demande en relèvement cherchera à savoir si le dirigeant a effectué un réel effort financier.
Dans une affaire récente, le tribunal de commerce de Paris avait relevé au bout d'un an le dirigeant qui avait été condamné à une faillite personnelle d'une durée de 7 ans et qui avait contribué personnellement à hauteur de 100 000€ pour une insuffisance d'actif de plus de 600 000€, estimant cette contribution suffisante. Soulignons tout de même que dans ce cas d'espèce, une partie importante du passif avait été également réglée par une autre société du groupe du dirigeant(5).
La condamnation à une interdiction de gérer peut être relevée si le dirigeant justifie d'une capacité à gérer
Le législateur prévoit également le cas où le dirigeant déchu n'a écopé que d'une seule sanction d'interdiction de gérer. Dans ce cas de figure, le dirigeant interdit de gérer ne pourra être réhabilité que s'il démontre qu'il présente désormais toutes les garanties sur sa capacité à diriger une entreprise.
A cet effet, un décret de 2007(6) précise que cette garantie peut " consister en une formation professionnelle ". La jurisprudence a précisé qu'une formation professionnelle diplômante pouvait être considérée comme une garantie au sens de la loi(7).
Toutefois, la formation professionnelle doit absolument avoir un rapport avec la gestion d'une entreprise. Il faut que les compétences acquises soient en rapport avec la gestion d'une entreprise.
Dans une décision du tribunal de commerce d'Avignon, le dirigeant avait été relevé d'une interdiction de gérer de 7 ans car il avait suivi une formation en comptabilité auprès d'un organisme de formation agréé(8).
Bien que non prévu par la loi, le juge sera tout de même amené à prendre en compte des éléments additionnels tels que le droit à l'oubli, la durée écoulée de la sanction et la gravité des fautes.
Pour en savoir plus
Marc Ladreit de Lacharrière, avocat associé, LLA Avocats en charge du département contentieux des affaires et de l'accompagnement des entreprises en difficultés. Il conseille les entreprises et leurs dirigeants sur les décisions stratégiques à prendre en temps de crise et les accompagnent tout au long des procédures collectives (redressement judiciaire, liquidation judiciaire, sauvegarde). Il dispose d'une une longue pratique des procédures devant les tribunaux de commerce.
[1] Article L653-1 du code de commerce.
[2] Article L.653-11 du code de commerce
[3] CA de Douai, 15 février 2001 (BICC, 1er oct. 2011, n° 962)
[4] Cass. Com., 3 novembre 1992, n° 90-19.545
[5] Tribunal de commerce de Paris, 18e ch., 21 octobre 2014, n° 2014041017
[6] Article R653-4 du code de commerce
[7] CA Grenoble, Ch. com., 6 janv. 2011, n° 10/02747
[8] Tribunal de commerce d'Avignon, 20 juillet 2016, n° 2016000595