Mesurer l'impact de son entreprise
L'impact social et environnemental est de mieux en mieux intégré au coeur de la stratégie des entreprises. S'il existe des outils pour se lancer, d'autres permettent de mesurer cette démarche et ainsi d'être plus crédible en la matière. Explications.
Je m'abonne"De nombreuses études ont montré que les principales raisons expliquant la faillite des entreprises sont des dissensions dans l'équipe fondatrice, une perte de sens et le désengagement des collaborateurs. Pour les entrepreneurs qui ne sont pas convaincus par l'impact ou qui hésitent à y aller, voilà une excellente raison de se lancer !" En cette matinée du mercredi 4 décembre 2019, dans l'auditorium du siège de BlaBlaCar à Paris, le ton d'Eva Sadoun, fondatrice de Lita.co, première plateforme française d'investissement dédiée à l'impact, est celui d'une convaincue.
Elle n'est pas toute seule d'ailleurs. Dans le panel de discussion ce matin-là, on trouve aussi Jean Moreau, fondateur de Phénix, une scale-up membre du Next 40 et spécialiste de l'anti-gaspillage, Julie de Pimodan, fondatrice de Fluicity, une start-up de la civictech qui met en lien élus et citoyens et Thierry Petit, co-fondateur du site de e-commerce Showroomprive.com.
Un guide clef en main
Tous les quatre sont venus présenter le guide Impact Solution, co-réalisé au sein du think tank des entrepreneurs leaders du numérique en France, The Galion Project. Il comprend 40 leviers d'action pour optimiser l'impact social et environnemental de son entreprise. Particularité de ce document selon Laurence Lucas, directrice des publications du Galion Project : "Il est destiné à tous types d'entreprises, qu'il s'agisse de start-up, de TPE et de PME. Il démontre que rentrer dans l'impact commence par de petites actions, pas si difficiles à mettre en place et surtout pas forcément coûteuses." Le guide propose ainsi d'agir sur sept champs d'action, sans ordre de priorité : la vie quotidienne de l'entreprise, l'impact environnemental et social du matériel numérique, la gouvernance, le partage de la valeur financière et des décisions entre les collaborateurs, la qualité de la politique RH et l'engagement philanthropique de l'entreprise. Pour tenir sa promesse d'accessibilité à tous, le guide indique également le niveau de difficulté de la future action, son coût moyen et son niveau d'impact. Des prestataires potentiels pour mettre en place les mesures sont aussi proposés pour chaque item et le guide est participatif, donc améliorable dans le temps.
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La mesure d'impact en chantier
Selon un sondage d'Harris Interactive publié en décembre 2018, 88% des dirigeants se disent prêts à changer certaines pratiques dans leur entreprise afin d'avoir une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Si l'on en croit cette statistique et l'information pléthorique sur le sujet RSE - qu'elle soit relayée par des think tank, la presse ou des acteurs institutionnels - l'entrée dans l'impact a le vent en poupe. Mais une fois lancé, des questions naturelles se posent : comment mesurer l'impact, qui l'évalue, le certifie, et in fine, atteste de sa crédibilité ?"Mesurer son impact n'est pas le plus simple tant il touche tous les domaines de l'entreprise ", explique Eva Sadoun lors de la conférence du Galion Project. Noémie Caquineau, directrice de la communication et Référent Impact positif du Réseau Entreprendre, tempère elle aussi : "La mesure de l'impact est encore dans une phase de recherche et développement, à mon sens. Cela avance, il y a des solutions et des outils qui émergent, mais ils ne sont pas encore connus de toutes les entreprises."
"L'impact positif ne doit surtout pas être quelque chose d'abstrait"
Julie de Pimodan, fondatrice de Fluicity
Rétablir la confiance entre élus locaux et citoyens, tel est le challenge que s'efforce de relever la start-up française Fluicity. Une idée intrinsèquement liée au parcours professionnel de sa fondatrice, Julie de Pimodan. Journaliste-correspondante durant les révolutions arabes entre 2006 et 2010, elle est sensibilisée à la déconnexion entre élus et citoyens au Moyen-Orient mais aussi en Europe. Une fois rentrée en France, elle lance Fluicity en janvier 2015. Elle présente sa start-up : " C'est une plateforme en Saas d'intermédiation entre élus et citoyens. Via celle-ci, les collectivités locales abonnées et leurs administrés peuvent discuter sur tous types de questions en temps réel. Par exemple, les budgets, l'aménagement urbain ou une politique développement durable ", explique la CEO. Fluicity est une entreprise à impact de part sa mission d'intérêt général mais aussi en raison de ses process internes. Ecart de salaires allant de 1 à 7, prises de décisions participatives, intéressement pour tous les salariés, constitution sur laquelle sont inscrites les valeurs et les règles sociales de la structure, tels sont les initiatives citées par Julie de Pimodan. Tout est évalué en interne de manière participative. Elle conclut : " Cet impact positif, il faut bien évidemment le mesurer. C'est important pour se rendre compte des vertus qu'il nous apporte. En travaillant sur le bien-être de nos collaborateurs nous essayons d'augmenter la motivation et la cohésion des équipes, car nous sommes convaincus que c'est ce qui nous rend plus performant au final. Grâce à cette vision tangible, nous pouvons aussi améliorer nos services pour mieux satisfaire le client. En fonction, nous nous adaptons. L'impact positif ne doit surtout pas être quelque chose d'abstrait. "
FLUICITY
- Civictech
- Paris (IIè)
- Julie de Pimodan, co-fondatrice et CEO (36 ans)
- SAS > création en 2015 > 15 salariés
- CA 2019 : NC
Audit
Quels sont donc ces outils existants pour mesurer l'impact ? Les premiers auxquels nous pensons naturellement sont les cabinets d'audit. C'est d'ailleurs là où le business de la mesure d'impact est le plus dynamique car l'analyse et l'évaluation forment un savoir-faire propre à ces structures. Parmi les plus actifs en France : Bureau Veritas, RSE Val, Cabinets Utopies ou encore Kimso. Ces agences de conseil proposent des offres clefs en main à leurs clients sur la mesure d'impact. Kimso, créée en août 2014, s'est même spécialisée sur la mesure d'impact social. Son porte-feuille clients regroupe des entreprises comme Axa ou Allianz, des fondations comme Caritas ou celle de l'opérateur Orange, des associations comme La Croix-Rouge française ou des financeurs publics ou privés comme La Banque Postale.
Si les labels de certification permettent de faire un pas concret dans la RSE, ils sont aussi très utiles pour l'évaluer. De plus en plus connu en France, le label Lucie 26 000 peut être cité en exemple. Grâce à lui, les entreprises candidates peuvent s'aligner sur la norme sociale et écologique ISO 26 000 reconnue internationalement. Enquête pour obtenir le label (à renouveler au bout de trois ans), formations et évaluations continues par des experts indépendants, le label Lucie 26 000 est un excellent outil pour tester et mesurer son impact sur la durée.
Un autre label à présenter est le label B-Corp. Il a été choisi par 2800 entreprises à travers le monde, dont des françaises comme Nature & Découvertes, Blédina ou la PME Veja pour ne citer qu'elles. Comment marche-t-il ? Les sociétés candidates sont évaluées sur 200 critères via un questionnaire. Pour être certifiées, il faut qu'elles obtiennent au moins 80 points. L'occasion de faire un état des lieux relativement précis de là où sa société en est sur les externalités sociales et environnementales. Côté incubateur, des initiatives comme l'incubateur Anthropia de l'Essec émergent. Ce dernier propose un module d'évaluation d'impact de six mois en plus des ses autres services d'accompagnement.
Une start-up qui mesure l'impact en temps réel
"Les solutions actuelles de mesure d'impact sont le plus souvent ponctuelles ou cycliques. J'ai donc imaginé une plate-forme digitale permettant aux organisations d'évaluer leur impact quotidiennement, de manière précise et autonome." Voilà comment Riccardo Scacchetti, résume le principe de sa start-up baptisée Impact Track. Après un début de carrière dans les fonds d'investissement et des agences de développement, il est convaincu du potentiel des " positive business " ou entreprises à impacts positifs. Mais pour lui, celles-ci ne peuvent être "crédibles" que si elles sont "tangibles".
En janvier 2019 à Nantes, lui et son associé Noémie Garrot ont ainsi lancé une plate-forme web via laquelle leurs clients ont accès à un tableau de bord dynamique où ils renseignent les items dont ils souhaitent mesurer l'impact. "Celui-ci est entièrement personnalisable en fonction du type de structure. Nous utilisons les méthodes les plus éprouvées en matière de collecte de données et d'analyse d'impact social et environnemental" , ajoute le fondateur d'Impact Track.
En lien avec les équipes de la start-up, les clients renseignent d'abord les items à mesurer (par exemple, satisfaction des collaborateurs au travail, émissions carbone, nombre de personnes réinsérées par l'entreprise, etc.). Puis, une fois le profil créé, démarre la collecte de données auprès des parties prenantes touchées par l'activité de la société (fournisseurs, clients, collaborateurs, etc.). Au bout du parcours, une synthèse précise et compréhensible par tous est délivrée par la plate-forme.
"Les entreprises clientes peuvent la publier facilement sur leur site et faire valoir leur bilan auprès de futurs investisseurs, clients, collaborateurs ou tout simplement du grand public", conclut Ricardo Scacchetti. De l'importance de l'attractivité pourrait-t-on ajouter. Une chose est certaine, en matière d'impact, cette phrase de Richard Coudenhove-Kalergi, l'un des père fondateurs de l'Union européenne, est devise : "Un pas concret vaut mieux que mille pas imaginaires".