La Robolution est en marche !
Qui a peur des robots ? Au vu du sous-équipement de notre tissu industriel, trop d'entreprises françaises. A tort, car celles qui réalisent ce saut technologique gagnent en performance et en compétitivité, sans détruire d'emplois.
Je m'abonneIci, un salarié équipé d'un exosquelette soulève sans effort un poids deux fois supérieur à celui que peut supporter un humain. Là, un ouvrier spécialisé décuple sa puissance de ponçage tout en s'épargnant de pénibles vibrations grâce à un bras polyarticulé. Ailleurs, un robot boucher doté d'un scanner et d'une intelligence artificielle adapte très précisément sa découpe au quartier de boeuf qui se présente à lui... Il y a encore peu de temps, ces images auraient relevé de la science-fiction. En effet, si le robot de production est parmi nous depuis des décennies, on l'imaginait rivé à sa chaîne de montage et cantonné aux tâches hypernormées.
Mais voilà qu'en matière de robotique, le futur a pris quelques années d'avance. Toutes ces technologies sont non seulement au point, mais aussi commercialisées. La "robolution" a bel et bien commencé. Et à moyen terme, elle va tout changer, dans votre salon comme dans votre entreprise.
C'est la conviction de Bruno Bonnell, l'apôtre de cette révolution robotique. Créateur de la société Robopolis et président d'Awabot, il lancera, à la fin de l'année, le Beam, un robot de téléprésence active qui pourrait bien devenir aussi courant que le smartphone. S'il mise sur la techno grand public, Bruno Bonnell n'en est pas moins persuadé que la robotisation des entreprises, et tout particulièrement des PME, est le principal défi qui se présente à l'économie française.
Robotiser pour ne pas délocaliser
" Toute société industrielle qui ne se confronte pas à cette question est en danger de mort, estime Bruno Bonnell. Robotiser, c'est conserver ou ramener de la production en France, en améliorant grandement la compétitivité. Nous sommes clairement en retard, avec deux fois moins de robots dans les entreprises qu'en Allemagne, pour prendre un pays comparable. Mais à vrai dire, comme la performance des nouveaux robots est sans commune mesure avec celle des machines d'hier, ce n'est pas très grave. À condition de ne plus attendre pour s'équiper... "
" Les robots qui remplacent les hommes ? Un fantasme "
Bruno Bonnell, Président de Robopolis et du Syrobo1
Le premier ordinateur personnel commercialisé en France, le Thomson TO7, c'était lui. Le rachat du géant Atari, encore lui. La création du fonds d'investissement "Robolution capital", toujours lui. Bruno Bonnell, chef de projet du plan Objets intelligents de la Nouvelle France industrielle et serial entrepreneur convaincu que l'humanité est à l'aube d'une nouvelle ère, a créé en 2006 la société Robopolis, leader européen de la robotique de service. Et si une chose l'énerve, c'est d'entendre que les robots vont détruire nos boulots.
" La machine qui remplace l'homme, c'est du fantasme, assure-t-il. Je ne dis pas que robotiser un atelier est une chose facile. Ça suppose d'investir, de changer ses méthodes de travail... Mais derrière, il y a de la compétitivité, donc de la croissance et de l'emploi. La peur du robot est d'abord un frein psychologique. Elle est identique à la peur de la génération des calèches qui voyait arriver avec angoisse les moteurs à explosion... On ne pourra pas convaincre la terre entière. En revanche, on peut faire comprendre à des entrepreneurs dynamiques, en particulier aux digital natives, que dans la "cobotique", la robotique de collaboration, améliore le confort de travail et la performance. "
Bruno Bonnell avance un dernier argument : " Il suffit de regarder ce qui se passe en Allemagne, au Japon ou même en Italie, où les entreprises sont beaucoup plus équipées qu'en France, pour comprendre que la robotique ne détruit pas les emplois. Elle en crée, et ce sont des emplois à forte valeur ajoutée. "
(1) Syndicat de la robotique de service professionnel et personnel.
Quelque 190 PME1 ont d'ores et déjà été accompagnées, comme la chaudronnerie industrielle Mig, installée à Fos-sur-Mer. Le robot (illustration ci-contre) dont elle a fait l'acquisition assure aussi bien la découpe plasma que le soudage à l'arc ou le perçage. Les salariés l'ont d'abord regardé d'un oeil méfiant. Mais lorsqu'ils ont découvert qu'il permettait de remplir le carnet de commandes en faisant chuter le coût de fabrication des petites séries, il est vite devenu "Nono", le collègue sympa qui se tape le sale boulot.
Améliorer sa performance, c'est l'objectif n°1 des PME "robotisées", mais certaines vont beaucoup plus loin pour assurer leur pérennité. En optant, par exemple, pour une diversification radicale, comme Warein. Il y a encore quelques années, cette société de confection textile implantée en Mayenne vivait essentiellement des commandes en très grandes séries de l'armée et de La Poste. Refusant de délocaliser, elle s'est orientée " vers des produits de plus en plus techniques, pour rester 100 % français ".
De la confection textile au bras gonflable articulé, Warein n'hésite plus désormais à miser sur des innovations très éloignées de son métier de base... comme un bras robotisé constitué d'un textile gonflable qui se rigidifie sur commande. Il peut ainsi se déployer sur 25 mètres, contre 11 pour les bras classiques les plus performants. Et pour un coût huit fois inférieur. Cette aventure robotique est née de la rencontre entre un jeune et brillant ingénieur, Sébastien Voisembert, et le dirigeant de Warein, Raymond Bach.
" Tout est parti de la confiance que je plaçais dans ce projet et de ma conviction qu'il y avait là un marché potentiel, explique ce dernier. Personne ne sait aller aussi loin avec un bras robotisé et personne ne peut faire moins cher ! Ce n'est donc pas par hasard si nous avons aujourd'hui quatre ou cinq pré-études financées par des clients potentiels... À condition d'avoir le bon projet, les innovations de rupture en robotique sont à la portée des PME. Je dirais même que l'on peut mobiliser toute une équipe beaucoup plus facilement, c'est notre force. " Vue sous cet angle, la robotique n'est pas seulement une opportunité de doper ses performances. C'est aussi le marché le plus prometteur des décennies à venir, et certains l'ont déjà compris.
" Les robots libèrent de certaines tâches ingrates "
Jean-Jacques Augagneur, Président de SIL Lacanche
Fabricant de pianos de cuisson installé en Côte-d'Or, la société Lacanche a hérité son savoir-faire d'une manufacture fondée au xviiie siècle. Ce qui ne l'empêche pas de vivre avec son temps. Distinguée comme "primo-robotisante" dans le cadre du plan Robot Start PME, l'entreprise vient de s'équiper d'une machine à commande numérique de découpe au laser et d'un robot de pliage.
" L'ensemble de ces équipements représentant un investissement de 1,2 M€, nous y avons évidemment réfléchi à deux fois, explique Jean-Jacques Augagneur, le président. Mais pour rester dans la course ces prochaines années, c'est une nécessité. Les salariés ont pu manifester quelques inquiétudes, avant de rapidement réaliser que nous avions intérêt à travailler avec des outils plus élaborés, qui libèrent de certaines tâches ingrates. La seule inconnue, c'est la rentabilité à court terme. "
(1)Le programme Robot Start PME a reçu une dotation de 33 millions d'euros.
La vraie nouveauté, c'est en effet le saut technologique que l'on observe aujourd'hui, doublé d'une baisse considérable des niveaux d'investissement requis. Il n'est plus du tout absurde pour une PME de songer à se doter de robots qui vont améliorer sa productivité, et donc sa compétitivité, sans pour autant détruire des emplois.
Car l'avenir est à la collaboration entre l'homme et la machine intelligente. " La robotique se sophistique très rapidement, en particulier en France, où nous bénéficions d'un écosystème très riche, explique Fleur Nawrot, chargée des questions techniques au Symop, Syndicat des machines et techniques de production. Dans les tâches à faible valeur ajoutée, les nouveaux robots, désormais en mesure de saisir des pièces hétérogènes en forme et en texture, sont particulièrement performants. Capables d'ajuster leur process en temps réel, ils n'ont plus besoin d'être encagés car ils détectent, grâce à des capteurs, la présence de l'homme. Cela agrandit les zones d'interaction et leur permet même de se mouvoir dans un atelier ou un entrepôt. Et puis, l'essentiel, c'est la montée en puissance des "cobots", c'est-à-dire des robots de collaboration, d'assistance au geste, qui soulagent un opérateur tout en démultipliant sa puissance. " Pour Fleur Nawrot, l'exemple le plus frappant est l'exosquelette, qu'elle voit s'imposer dans le monde de l'entreprise en moins d'une décennie.
Victime de son succès
Reste qu'un chef d'entreprise peut légitimement hésiter devant les investissements à réaliser, la remise en question radicale de son organisation du travail et les réticences potentielles de ses salariés. Autant de freins que s'est employé à faire sauter le Symop, à travers le plan Robot Start PME, lancé en 2013 en partenariat avec le Centre technique des industries mécaniques (Cetim) et le CEA List, un institut de recherche dédié à l'innovation technologique. " Les PME savent s'équiper en machines mais le robot, lui, change la donne et confronte l'entreprise à des enjeux humains, de performance, et de réorganisation générale, car il modifie les flux, analyse Jean Tournoux, le délégué général du Symop. Ces entreprises doivent donc être accompagnées. D'autant plus qu'elles auront souvent besoin, non pas de produits standardisés, mais plutôt de solutions ad hoc, ce qui suppose de la mise en relation avec des intégrateurs. "
Le plan Robot Start PME permet de faire financer une mission d'expertise à hauteur de 50%. Il comporte également un volet "investissement", soutenu par l'État et correspondant à une aide de 10 % du coût de l'installation robotique (plafonnée à 20 000€). Mais ce dispositif a été victime de son succès, et si les PME peuvent encore le solliciter sur la partie "accompagnement", le consortium Symop-Cetim-CEA List attend avec impatience sa reconduction par les pouvoirs publics sur les aides à l'investissement.
Trois robots-stars
+ L'exosquelette
Il semble tout droit sorti de Terminator mais s'il vient du futur, c'est d'un futur très proche. Et cocorico, il est 100 % français ! La société auxerroise RB3D s'apprête à fabriquer à l'échelle industrielle son modèle Hercule, l'un des plus prometteurs au monde.
+ Le robot de compagnie
Même si le pionnier Aldebaran, créateur du célèbre Nao, vient de passer sous contrôle japonais, les Français ont démontré qu'ils avaient là aussi une vraie carte à jouer. Les robots de compagnie interagissent déjà avec des enfants ou des malades atteints d'Alzheimer. Le robot humanoïde parfait, lui, n'existera sans doute pas avant un siècle...
+ Le robot aspirateur
Au début, on a eu tendance à le prendre pour un gadget. Mais le robot aspirateur ne fait plus rire qui que ce soit car l'américain IRobot en a vendu 10 millions d'exemplaires depuis son lancement. Attention, son prochain modèle affiche des performances qui sont cinq fois supérieures.