[Billet d'humeur] Comment dire gentiment à son client qu'il est chiant ?
Chaque mois, Alexandre des Isnards revient sur une question clé, celle qu'on n'ose pas vraiment formuler à voix haute mais qui divise, forcément. Alors, comment dire gentiment à son client qu'il est chiant ?
Je m'abonne7h30, 43 rue Saint Ambroise, Paris 11. Vous vous apprêtez à démarrer les premiers travaux de l'appart de votre client. Dans la salle de bain, vous dépliez vos plans de jeune architecte d'intérieur. Et vous souriez de fierté. Colonne pour le rangement des linges, petites portes au-dessus des WC, tout est dessiné sur mesure. Jusqu'à l'emplacement des prises électriques. D'ailleurs, l'électricien devrait arriver là. Ding ! C'est lui ? Non, c'est Fabrice, votre client.
- Bonjour Valérie, finalement le mobilier ne me plait pas.
- Pardon ?...
- Oui, j'ai vu un meuble chez une copine, le design est bien plus classe, et le bois plus chaleureux.
- Mais pour les dimensions ?
- Oh, on s'arrangera... Et puis, ça fait longtemps que j'ai validé, j'ai le droit de changer d'avis, non ? Après tout, c'est que des meubles.
What?!? Que des meubles ?... Votre travail de conception, à la poubelle. La commerciale du mobilier qui s'est tuée à faire des devis pour rien. L'ouvrier sur le chantier qui n'ose plus avancer tellement tout est instable. Le client est roi, mais là, vous êtes à deux doigts de lui en faire un ! Mais vous respirez un bon coup et lui dites ce que, jamais, vous n'avez osé lui dire en six mois :
- OK Fabrice, pas de problème. Mais vous recevrez un nouveau devis car là, on est hors périmètre.
Félicitations Valérie. Vous avez passé ce cap professionnel si difficile pour les travailleurs indépendants : dire non à un client. Enfin parler d'un nouveau devis, ce qui est une façon de dire non. Vous auriez pu le faire avant. Les occasions n'ont pas manqué car Fabrice est ce qu'on appelle poliment un client pénible : il négocie tout et tente de vous payer en visibilité (« Je parlerai de vous à mes amis ») ; iI est angoissé (« Vous êtes vraiment sûre que c'est la bonne mesure ? »), chronophage (sur WhatsApp, au tél, il vous harcèle) et ça vous dévalorise.
« Le client est roi ».
Cet adage est tatoué dans nos têtes depuis la fin du XIXe siècle. Cette variante de la devise « Customer is always right » de César Ritz, le célèbre hôtelier, consiste à dire oui à tout. A l'époque, on n'avait pas cette notion de satisfaction client chevillée au corps.
Mais aujourd'hui, les client-roi nous tyrannisent. A force de briefs trop vagues (« je veux un effet waouh »), de paiements décalés, de fausses urgences, de « p'tites modifs » de dernière minute hors devis, ces enfants gâtés fragilisent les prestataires de services. Et ne parlons pas des vendeurs, des téléopérateurs ou des serveurs, ces métiers « en front avec le client » qui essuient l'agressivité montante des consommateurs impatients que nous sommes tous devenus.
Heureusement, la révolte gronde. Les #clientsrelous circulent. Les graphistes partagent leurs pépites sur Insta. « J'ai pas de budget mais le projet va vous plaire. » ou « J'ai validé mais je dévalide, j'ai une autre idée ! » (©Lesclientsofficiels).
Dans son blog, Solveg, s'épanche sur son quotidien. Ses Tribulations d'une caissière deviennent un bestseller. Même les experts commencent à théoriser sur la toxicité de clients dits « déviants ».
Bon, c 'est très bien tout cela, mais faut que je vous laisse. Julien me relance. Je dois rendre ma chronique « pour hier » !
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