La Minute Du Boss : La rentabilité pour injonction : nouveauté salutaire ou effet de mode passager ?

x2, x3, x7, x10... On se vante fièrement de cette croissance du chiffre d'affaires, comme si elle devait forcément être exponentielle. Depuis de longs mois maintenant, pour des raisons multiples - géopolitiques, politiques, baisse de confiance des ménages - c'est terminé.

Retour aux Fondamentaux

Souvenons-nous : la mission première d'une entreprise est de produire des biens ou des services et d'en tirer des revenus suffisants pour couvrir ses coûts et garantir la pérennité de son activité.

Simple. Basique.

Quand les ressources sont insuffisantes pour investir, on se tourne vers des financeurs pour accompagner l'entreprise, à court ou à long terme.
Un financeur capable d'injecter du cash pour accélérer le déploiement des projets en recrutant des experts, en pénétrant de nouveaux marchés, en s'outillant de manière professionnelle, c'est une opportunité.

Simple. Logique.

Pour le financeur, l'objectif varie : soutenir un projet à long terme avec une position décisionnaire, placer son capital avec un rendement, ou parier sur une future revente en espérant un boom de valorisation.

Simple. Rémunérateur.

Une entreprise en croissance rapide ressemble à un adolescent sous hormones. Certes, il peut afficher des performances de champion, mais il reste immature. Une entreprise "boostée" au cash montrera de bons résultats, tout en conservant les fragilités de l'âge adolescent. Tout cela marche tant que le cash est là, que les investisseurs croient aux perspectives de croissance à long terme et que l'on accepte les erreurs, les pivots et les tâtonnements en quête du bon modèle. Mais aujourd'hui, les valorisations retrouvent une certaine réalité, les investisseurs analysent la performance économique avec plus de prudence et, surtout, les poches se resserrent.

Les Effets Négatifs des Coups de Frein

Comment passer de sprinter du CA sous EPO à marathonien de la marge, avec une vision long terme et une croissance durable ? Pour de nombreux entrepreneurs, bercés par le culte de la croissance, ce changement de cap est un choc. Mais voilà le vrai défi : un sprinter face à la peur d'une course de fond continuera de penser en sprinter, cherchant à aller vite, sans prendre le temps.

Exit les Valeurs à Long Terme

Les dépenses qui génèrent de la valeur à long terme ? Exit. Les campagnes de notoriété, les formations, le développement des collaborateurs, les team buildings... on coupe tout.
La performance d'abord.

Les budgets marketing sont souvent les premiers sacrifiés sur l'autel de la rentabilité court terme.
Parce que les start-ups et scale-ups n'ont souvent pas la rentabilité inscrite dans leur ADN et que la croissance plafonne sous les objectifs ambitieux des BP « covidés, » il faut couper les coûts. Le réflexe classique ? Coupons les dépenses marketing ! Mes confrères me confirment la tendance de fond : les « faites mieux avec moins » sont légion, et l'optimisation continue - pourtant véritable colonne vertébrale de nos fonctions - devient un nouvel étendard obligatoire. Comme si nous n'avions jamais pensé ROI, comme si nous étions des directions marketing obnubilées par la dépense de notre budget quoiqu'il rapporte...

On joue au jeu "tu préfères" :

« Tu préfères des coûts d'acquisition online bas grâce à une notoriété qui drive ton trafic naturellement sur ton site, ou tu préfères réduire les dépenses pour se concentrer sur une acquisition rapide et rentable sur 2024 ? »

Variable : cash is king.
Bien sûr, la réponse est dans la question, mais quid du long terme ? Quid de ceux qui sauront maintenir l'alchimie entre les budgets ? Ceux qui sauront encore penser au capital marque ? Il faudrait être naïf ou stupide (ou les deux) pour ignorer qu'il faut passer les échéances de 2024-2025, mais 2030 se construit aujourd'hui...

La marque employeur, véritable joyau au service de la marque corporate dans son ensemble, pépite au service de l'épanouissement des collaborateurs, et donc in fine, au service de la performance collective... on en fait quoi ? On coupe le télétravail parce qu'il nuit à la performance, et on remet des badgeuses aux portes pour éviter les tire-au-flanc supposés qui nous détruisent nos ratios CA / ETP ?

Avec des contraintes budgétaires plus strictes, les entreprises se réorganisent dans l'urgence. Des suppressions de postes, des fusions de services, des redéfinitions de fonctions... autant de transformations qui permettent certes de rester dans les clous des objectifs financiers, mais parfois au prix d'une perte de sens pour les équipes.

Anticiper Plutôt que Réagir : Le Rôle du Dirigeant

Le rôle du dirigeant n'est pas de réagir ; il est d'anticiper et d'assumer. Il est de fixer le cap et de le tenir, en embarquant sur le vaisseau les équipes qui doivent comprendre le sens de leurs actions au quotidien.
Une entreprise qui brûlait du cash en riant autour d'un feu de joie hier est aussi peu sensée que celle qui, aujourd'hui, traque les dépenses de post-it parce que la rentabilité passe par l'exigence du contrôle.

Le rôle du dirigeant, ce n'est pas de subir les variations macro-économiques, mais de penser à la pérennité de son entreprise en établissant des scénarios, encore et encore. Pour éviter ces coups de barre à gauche et à droite qui nuisent au projet global d'entreprise, au sens des actions des collaborateurs et, en fin de compte, à la performance de l'organisation.

Vers une Croissance Durable et Raisonnée

Ne choisissons pas entre croissance et rentabilité, entre investissement long terme ou campagnes de génération de leads rapides. La croissance durable exige de savoir équilibrer les investissements stratégiques et les actions immédiates sans sacrifier l'un pour l'autre. Ceux qui sauront trouver cette « douce alchimie » réussiront à construire une entreprise solide et inspirante dans une économie qui a du sens.

Conclusion : Entreprendre avec Vision et Sens

La pérennité des entreprises ne réside ni dans une fuite en avant vers la croissance, ni dans un repli forcé vers la rentabilité absolue. En optant pour une approche nuancée et une vision de croissance durable, les dirigeants d'aujourd'hui peuvent transformer les défis actuels en opportunités de redonner du sens et de l'impact à leur mission entrepreneuriale. À nous de jouer.

Fort de 15 ans d'expérience en marketing, Thibault de Morel occupe le poste de Chief Marketing Officer chez lePERMISLIBRE depuis octobre 2022. Son arrivée précède de quelques mois l'entrée en Bourse de cette auto-école, première du genre en France. Tout au long de sa carrière, il a travaillé sur des missions variées, notamment en marketing stratégique, gestion de marque et marketing relationnel, au sein ou au service de diverses entreprises telles que Speedy France, TBWA\Corporate, L'Oréal Professionnel et Decitre. Avant de rejoindre lePERMISLIBRE, il était CMO du réseau de franchise L'Appart Fitness, où il a accompagné la croissance de l'enseigne et structuré le département marketing. Thibault de Morel accorde une importance primordiale à l'impact du marketing