[Tribune] La médiation en entreprise, un moyen d'action pour protéger la santé des salariés
Un management efficace des risques psychosociaux suppose de mener des actions concrètes de prévention. La médiation entreprise enrichit la palette de réponses pouvant être apportées par l'employeur. L'expertise de Federica Oudin, médiatrice en entreprise et maître de conférences en droit privé.
Je m'abonneFacilitée par un médiateur neutre et impartial, la médiation est un processus de communication qui favorise l'écoute et le dialogue tout en responsabilisant les salariés qui trouvent par eux-mêmes une solution à leurs difficultés relationnelles ou un meilleur mode de fonctionnement. La médiation prévient ou met fin à des situations de violence, de stress, de démotivation et de harcèlement (1). Mise ainsi au service de l'entente au travail, la médiation s'inscrit dans la politique de prévention des risques psychosociaux et de santé au travail (2). De façon plus précise, elle est, pour l'employeur, un moyen d'action pour accomplir son obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés (L. 4121-1 Code du travail).
Votre responsabilité
Pour comprendre comment l'intervention du médiateur peut éviter la mise en cause de la responsabilité de l'employeur au titre de cette obligation, il faut rappeler la portée de cette obligation au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette obligation est dite de sécurité de résultat ce qui signifie qu'elle est enfreinte dès que le résultat assigné, soit la protection de la santé, n'est pas atteint. L'employeur ne peut s'exonérer en justifiant d'actions menées pour protéger la santé de ses salariés (3). Si une situation de souffrance s'est installée en lien avec le travail, le salarié peut mettre en jeu la responsabilité de son employeur car il n'a pas atteint le résultat assigné par le Code du travail : une protection effective de sa santé.
Choqués par la sévérité de cette obligation, certains en concluent à l'immobilisme : pourquoi prendre des mesures pour tenter de faire cesser le mal-être puisque je suis, quoi que je fasse, responsable? Mais si l'on accepte de dépasser ce cynisme, on peut chercher à comprendre le message adressé par la Cour de cassation. Celui-ci n'est certainement pas de conduire l'employeur à l'immobilisme face à la santé de ses salariés. Au contraire, la Cour incite l'employeur à réagir de façon efficace devant le mal-être : les actions mises en place doivent permettre d'éviter ou de faire cesser toute souffrance. Il ne suffit pas de tenter de protéger la santé des salariés mais il faut y parvenir. L'employeur doit dès lors choisir le moyen d'action permettant le plus sûrement d'aboutir effectivement à ce résultat.
Réagir vite
La médiation en entreprise peut être un moyen d'action lorsqu'elle est adaptée à la situation et est menée de façon professionnelle. La jurisprudence récente de la Cour de cassation confirme et précise cette nécessité pour l'employeur de faire le choix d'une action efficace.
Elle a ainsi mis en lumière une obligation à la charge de l'employeur de réactivité immédiate face à une difficulté relationnelle impliquant ses salariés. Son immobilisme est condamné (4). Il doit agir et prendre les mesures adéquates pour mettre fin aux difficultés relationnelles (5). La nature de ces mesures n'est cependant pas précisée, laissant opportunément à l'employeur la liberté de choisir les mesures les mieux adaptées à la situation (sanction disciplinaire, enquête, coaching, audit, médiation, etc.). Mais l'employeur doit agir vite. Ainsi, même s'il a choisi de prendre une mesure radicale, comme par exemple le licenciement d'un salarié accusé de harcèlement, sa responsabilité peut être mise en jeu dès lors que cette mesure n'a pas permis de mettre fin à la souffrance de la salariée qui se disait victime (6). Il aurait du agir efficacement, c'est-à-dire plus tôt et sans doute autrement, de façon à empêcher que le mal-être s'installe et altère la santé. Or, le licenciement n'avait pas en l'espèce empêché la souffrance de s'installer. C'est finalement au niveau préventif qu'il convient de se situer.
Mais comment savoir où et quand agir lorsque aucun fait n'a été porté à la connaissance de la direction ? Peut-on être tenu pour responsable alors qu'on ignorait une situation de souffrance ? La réponse est positive. Alors qu'une salariée en souffrance n'avait pas prévenu l'employeur ni le médecin du travail de ses difficultés, un employeur a été tenu pour responsable dès lors que la santé de la salariée était en cause (7). Il semble que l'ignorance se mue en indifférence coupable. En réalité, il se dégage une obligation de s'enquérir du bien-être de ses salariés... qui est somme toute une conséquence logique de la nécessité de trouver le moyen d'action préservant efficacement la santé des salariés.
Pour résumer, la Cour de cassation semble adresser aux employeurs le message suivant : " Assurez le bien-être au travail. Le choix des outils vous appartient mais faites en sorte que la souffrance au travail ne s'installe pas. Plus vous agirez en amont, plus efficace sera votre protection".La tâche semble colossale. Maintenant que les risques psychosociaux ont été identifiés dans le document unique, il faut mettre en place des dispositifs d'écoute et de dialogue permettant à tout salarié d'exprimer au plus vite un malaise relationnel et lui proposer des solutions adéquates.
(1) Exemple d'intervention : deux collaborateurs ne s'adressent plus la parole depuis six mois et ont décalé leurs heures de présence pour éviter de se croiser. Cette tension se propage petit à petit dans le service où l'ambiance est de plus en plus tendue. Le médiateur est intervenu pour réunir les deux collaborateurs. Il leur a proposé un lieu, un temps et un cadre confidentiel pour qu'ils expriment chacun librement leur situation et leurs besoins. Le médiateur a permis une compréhension mutuelle, ce qui ne signifie pas une acceptation. Une fois la communication rétablie, le médiateur a accompagné les collaborateurs dans la recherche de leur propre mode de fonctionnement pour qu'ils puissent continuer à travailler ensemble.
(2) La médiation n'est cependant pas une thérapie. Elle peut cependant avoir des effets thérapeutiques lorsque la relation restaurée a pour conséquence de rétablir la santé des salariés.
(3) Ch. Soc. 19 janvier 2012, pourvoi n°10-20935 : En l'espèce l'employeur, après une sanction disciplinaire prise à l'encontre de la salariée harceleuse dès connaissance des faits avérés, avait de surcroît procédé à une modification du contrat de travail en basculant d'un travail de nuit à un travail de jour afin d'éviter toute mise en contact. La Cour de cassation a cependant estimé que l'employeur manquait à son obligation dès lors qu'un salarié était victime, sur le lieu de travail, d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de les faire
cesser.
(4) Ch. Soc, 17 févr. 2010, pourvoi n° 08-44298 : l'employeur, pourtant alerté par la salariée en souffrance par plusieurs courriers, n'avait pris aucune mesure pour résoudre les difficultés qu'elle avait exposées. Comme la salariée a été victime d'un sérieux malaise à la suite d'un entretien individuel, les juges ont caractérisé un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat.
(5) Ch. Soc. 17 oct. 2012, pourvoi n°11-18208. Une salariée en conflit avec sa supérieure hiérarchique avait refusé d'accomplir certaines tâches. Elles ne communiquaient plus que par mail. L'employeur, alerté de ces difficultés et invité par l'inspection du travail à avoir recours à un médiateur, s'y était opposé parce qu'il était prévu que le directeur des ressources humaines n'y participerait pas car il était jugé trop impliqué. L'employeur n'avait pas non plus accédé à la demande de la salariée de changement de service. Il l'avait cependant reçue à plusieurs reprises, invité l'inspection du travail à faire les constatations utiles et convoqué une réunion extraordinaire du CHSCT. La salariée a démissionné et obtenu de la cour d'appel la requalification en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse en raison du manquement grave de l'employeur qui a laissé perdurer un conflit sans lui apporter de solution. La prise d'acte de la rupture à l'initiative de la salariée est jugée fondée.
(6) Ch. Soc. 19 janvier 2012 n°10-20935 et Ch. Soc. 23 janvier 2013, n° de pourvoi: 11-18855. En l'espèce, cette sanction était intervenue tardivement non pas en raison de l'indifférence de l'employeur car celui-ci avait été semble-t-il réactif et avait cherché à licencier le " harceleur " quatre mois plus tôt. Cependant, s'agissant d'un délégué syndical, l'inspection du travail s'était opposée dans un premier temps au licenciement.
(7) Ch. Soc. 13 mars 2013, pourvoi n°11-22082, alors que la salarié n'avait à aucun moment alerté son employeur ni la médecine du travail quant à l'existence d'une situation de stress anormal, la Cour retient que son absence prolongée pour cause de maladie résultait d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat.