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Jacques Attali : "Je crains que la France ne se vide de ses entrepreneurs"

Publié par Eloise Cohen le - mis à jour à
Jacques Attali : 'Je crains que la France ne se vide de ses entrepreneurs'

Jacques Attali mise sur l'avenir. Au-delà de son engagement pour l'économie positive, l'économiste, écrivain et essayiste lance France 2022, un vaste projet collaboratif visant l'élaboration, pour 2017, d'un programme présidentiel.

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La croissance repart, + 0,6 % selon l'Insee, tout comme la consommation des ménages. Quant aux dirigeants d'entreprise, même si leur moral remonte légèrement, ils restent prudents vis-à-vis de la reprise. Pourquoi ?

C'est un peu le paradoxe de la poule et de l'oeuf. Il s'agit actuellement d'une croissance de consommation, avec une accélération des importations ; elle ne se traduit pas autant qu'elle le devrait dans les carnets de commande. Ne la ressentant pas, les patrons, pessimistes face à l'avenir, n'investissent pas. Or, pour gagner cette confiance et susciter ce désir d'investir, il faut que les dirigeants voient dans ce redémarrage non pas un feu de paille, mais un mouvement pérenne et durable. Et cela ne sera pas le cas tant que la reprise ne sera pas tirée par les achats intérieurs.

Vous craignez que la France ne se vide de ses entrepreneurs, que vous comparez volontiers à des aventuriers. D'où vient ce danger ?

Les entrepreneurs sont des aventuriers : ils prennent des risques pour mener et réussir leur aventure personnelle et pour ne dépendre de personne. Or, si la France est un pays magnifique, l'esprit d'entreprise est souvent gêné par des réglementations, des obstacles, des rentes, des privilèges, des monopoles. C'est également une nation qui accueille mal la nouveauté. Les entrepreneurs partent donc chercher à l'étranger ce qu'ils n'ont pas trouvé ici : le financement, les incitations fiscales et le soutien. Il s'agit d'ailleurs de l'une des principales menaces pesant sur l'avenir de l'emploi en France.

Au sein de la Fondation Positive Planet, organisation de solidarité internationale que j'ai fondée, nous aidons les jeunes des quartiers à créer leur entreprise. Nous les accompagnons notamment dans la réalisation de leur étude de marché et l'établissement de leur business plan.

Comment pourrait-on inciter les entrepreneurs à rester en France ?

Avant toute chose, il n'est pas toujours mauvais qu'ils partent. Historiquement, la France est l'un des pays dont la diaspora, à travers le monde, est la plus faible. Or, nos talents sont, à l'étranger, les ambassadeurs de notre savoir-faire. Ce qui est d'ailleurs très intéressant, c'est que souvent, ils partent pour vendre des produits français. Enfin, il est toujours intéressant de partir pour mieux revenir.

Ce qui, en revanche, est catastrophique, ce sont les départs définitifs. Il faut donc tout faire pour, indistinctement, inciter au retour ceux qui sont partis et accueillir les talents étrangers souhaitant s'installer. Comment ? En poursuivant la simplification des démarches de création d'entreprise, en allégeant la fiscalité sur les TPE et les PME, en favorisant les financements en capital des petites structures qui sont, il est vrai, très risqués. Ce qui fait également défaut, ce sont les financements de second tour qui couvrent les besoins en fonds de roulement d'une société en croissance. Un rôle que pourraient endosser la BPI ou des fonds totalement privés.

Vous dites qu'il faut alléger la fiscalité des TPE. Concrètement, quels dispositifs permettraient aux PME françaises de développer leur activité ?

La difficulté, c'est que souvent, alléger la fiscalité coûte de l'argent, et pose le problème de savoir où et à qui on le prend. Il vaut donc mieux préférer des mesures fiscalement neutres. Pour autant, il serait souhaitable que les charges et profits des 3 premières années d'existence d'une société soient les moins taxés possibles.

Vous avez impulsé le projet France 2022, qui vise à proposer un programme pour l'élection présidentielle de mai 2017. Ont déjà participé de nombreux dirigeants. Quelles sont leurs propositions ?

Les chefs d'entreprises nous ont donné de très intéressantes propositions visant à simplifier les réglementations et les normes, ainsi que les aides. Dans les prochains mois, je vais aller à leur rencontre, partout en France, pour recueillir leurs idées. Notre objectif est de mobiliser l'ensemble de la société pour élaborer le programme le plus riche possible. Nous le dévoilerons avant la fin du mois de novembre 2015, pour susciter le débat tout au long de l'année 2016. Notre objectif, c'est que la prochaine élection présidentielle s'anime autour d'un véritable programme de réformes. J'incite d'ailleurs vos lecteurs à participer via notre site Internet.

Le problème, c'est que les demandes de chefs d'entreprise de simplification se heurtent au principe de précaution, souvent encouragé par le législateur et la société civile....

Nous sommes allés beaucoup trop loin du côté de la protection. Appliqué à tort et à travers, ce principe est un obstacle au développement et protège, non plus l'environnement, mais les rentes. C'est ce qu'il faut essayer de modifier.

Quel conseil donneriez-vous aux chefs d'entreprise ?

Penser que leur marché, leur terrain de jeu est mondial. Et ce quelle que soit leur taille. Le géant Alibaba propose ainsi aux TPE (l'exemple des Etablissements Ferrand ICI) d'ouvrir une boutique virtuelle pour vendre directement leurs produits en Chine, à des consommateurs chinois et sur un site chinois. C'est très habile. Mais attention car si les opportunités sont désormais planétaires, leurs menaces le sont également.

Le principal trait de votre management
Inscrire notre action quotidienne en perspective sur un projet à 5 ans.

Votre principale source d'inspiration
L'intuition.

Si vous deviez explorer un nouveau métier
La paresse. Je n'ai jamais essayé.

Votre meilleur souvenir professionnel
C'est celui que je n'ai pas encore vécu. Car, j'en suis certain, le meilleur reste à venir.

Et le plus mauvais
Il ne m'intéresse plus ! Sauf peut-être pour ne pas le reproduire.

La qualité que vous appréciez le plus chez vos collaborateurs
La franchise.

Le défaut vous n'acceptez pas chez vos collaborateurs
La courtisanerie.

Vous proposez, régulièrement, qu'une partie des 32 milliards d'euros de la formation permanente soit allouée à la création d'entreprise. Dans un pays qui a vu naître, en 2014, 550 000 entreprises, est-ce bien nécessaire ?

La France crée en effet beaucoup d'entreprises. À ce niveau, c'est un bien meilleur pays qu'on ne le croit, même du point de vue de la fiscalité. Celle des plus-values est ainsi l'une des meilleures du monde.

Et s'il faut naturellement continuer de dédier une part importante de ces 32 milliards d'euros à la formation professionnelle, cette dernière devrait être orientée vers entrepreneuriat, notamment pour les demandeurs d'emploi. Sur les 5 millions de chômeurs, entre 500 000 et 1 million pourraient lancer leur entreprise. C'est considérable ! D'autant que ces structures seraient viables. L'expérience que mène Positive Planet, depuis 7 ans, dans trente quartiers, montre que 80 % des entreprises qu'elle a accompagnées sont pérennes pendant plus de 3 ans.

Croyez-vous au crowdfunding comme source de financements alternatifs pour les PME ?

Oui, et je dirais même qu'il ne s'agit déjà plus d'une solution alternative. Le métier bancaire va exploser du fait des nouvelles technologies, mais également des taux d'intérêt si bas. Les banques vont en effet avoir un mal fou à se rémunérer ! Le crowdfunding est une nouvelle façon d'orienter l'épargne vers les investisseurs. Avec Positive Planet, nous avons créé un organisme de crowdfunding qui sera accessible à La Réunion courant juin et en France d'ici l'année prochaine.

Vous faites la promotion de l'économie positive. Selon vous, est-ce là que se joue l'avenir du business français ?

L'économie positive est celle des entreprises qui oeuvrent dans l'intérêt non seulement de leurs clients, mais également de leurs collaborateurs, de leur environnement, de la société civile et des générations futures. Ni marginale, ni subventionnée, elle crée des emplois et dégage du profit. Ce marché de l'économie durable - qu'il s'agisse du recyclage, de la santé ou du bien-être - représente déjà entre 5 et 10 % du PIB mondial, et offre de grandes opportunités de développement.

Comment encourager cette économie positive ?

Nombreux sont ceux qui n'ont pas attendu qu'on les aide pour construire de véritables success stories. J'en cite de nombreux exemples dans mon ouvrage "Devenir soi". Car attention, il faut sortir de la logique de résignés/réclamants et ne pas prendre comme prétexte de son propre échec l'absence d'aide. Pour autant, il faudrait imaginer de nouveaux statuts d'entreprises pour attirer d'autres sources de financement.

Ses dates

1979
Il fonde Action internationale contre la faim, organisation non gouvernementale désormais appelée Action contre la Faim.

1981
Il devient le conseiller spécial du président François Mitterrand, poste qu'il occupera 10 ans.

2008
Il préside la Commission pour la libération de la croissance française, qui propose un mode d'emploi pour 316 réformes majeures et urgentes.

2012
Commandé par Français Hollande, son rapport sur l'économie positive propose 44 réformes pour mettre fin au court-termisme au profit de l'intérêt des générations futures.

 
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