Marc Simoncini : "Je suis cash et sans filtre"
À 55 ans, Marc Simoncini vient d'écrire Une vie choisie, un livre retraçant son parcours. L'occasion de faire le point sur les activités de l'un des entrepreneurs préférés des Français , mais aussi un homme direct, qui n'a pas la langue dans sa poche.
Je m'abonneQuel moteur vous a poussé à créer votre première entreprise ?
C'est simple, je n'avais pas le choix. Je n'avais pas de travail, aucune compétence et pas vraiment de diplômes. J'ai alors emprunté mon capital et je me suis lancé dans les années 80. Ça m'a permis de me payer un salaire pendant six mois jusqu'à la signature de mon premier client. Mais je crois, inconsciemment, que j'avais envie de liberté et de prendre des risques.
Entrepreneur, est-ce vraiment un métier ?
Non, on ne décide pas d'être entrepreneur juste pour être entrepreneur. Tout comme on ne devient pas entrepreneur pour être riche. C'est une conséquence heureuse mais pas un but en soi.
L'entrepreneuriat a le vent en poupe auprès des jeunes. Est-ce que vous le ressentez ?
Non seulement je le ressens mais j'en suis très heureux. C'est ma quête depuis des dizaines d'années ! Je veux favoriser l'entrepreneuriat en France et inciter les jeunes à se lancer.
J'aimerais que nous arrêtions de jeter la pierre sur ceux qui réussissent et d'accabler ceux qui échouent. Nous sommes enfin passés de six jeunes sur dix voulant devenir fonctionnaires à six jeunes sur dix voulant entreprendre. C'est une bonne chose pour notre pays.
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Comment l'expliquez-vous ?
C'est très compliqué et je n'ai pas vraiment la réponse. Je pense que cinq ans de socialisme ont beaucoup aidé à développer une idée simple : il vaut mieux prendre son destin en main plutôt que de le laisser dans celles des hommes politiques ! Plus sérieusement, nous vivons le point d'orgue d'un mouvement qui a démarré il y a assez longtemps.
Est-ce plus facile d'entreprendre aujourd'hui ou il y a 30 ans ?
C'est beaucoup plus facile aujourd'hui. De nombreuses structures de financement ont été créées, le numérique simplifie tout et il y a moins de complexité pour créer son entreprise. Surtout, la peur de l'échec a été vaincue.
À l'époque, une personne qui se lançait et qui se plantait, perdait sa maison et souvent son mariage. Heureusement, ce n'est plus le cas. Il faut dire que nous avons vécu une quantité d'explosions de start-up dans les années 2000. C'est presque devenu normal d'en avoir connu une dans sa vie.
En tant qu'investisseur, qu'est-ce qui vous donne envie d'entrer au capital d'une entreprise ?
Cela dépend. Si j'investis mon argent, c'est la passion et l'intérêt pour le produit. Car, aujourd'hui, je ne veux faire que des projets qui me passionnent. Si c'est avec de l'argent en gestion, c'est la crédibilité du projet, le business plan et évidement les perspectives de sortie. J'ai plusieurs grilles de lecture.
Après, il y a bien sûr l'équipe, et c'est presque le point le plus important. Je dis toujours qu'un bon projet peut être raté si l'équipe est mauvaise et, inversement, un mauvais projet peut être réussi si l'équipe est bonne. La raison ? Une bonne équipe pivotera et réussira à transformer le projet pour en faire une réussite.
Comment détectez-vous une bonne équipe ?
C'est super difficile. C'est l'expérience et le feeling. Souvent je déstabilise l'entrepreneur pendant 20 minutes, en mettant en l'air sa présentation. Je vois alors s'il est capable de s'en sortir et de rebondir, ou s'il est totalement perdu. Un projet entrepreneurial ne se passe jamais comme prévu !
Il y a une grande part d'humain ?
Le business, ce n'est que de l'humain et c'est avant tout des rencontres. Une entreprise est essentiellement constituée de personnes qui se mettent autour d'un projet pour le faire avancer. Le reste est bien souvent accessoire.
Accompagnez-vous les dirigeants des entreprises dans lesquelles vous investissez ?
Je l'avais promis mais, faute de temps, je ne l'ai pas beaucoup fait, sauf sur quelques entreprises comme Molotov TV, un service de distribution de chaînes de télévision, OuiCar, que nous avons revendu à la SNCF ou Devialet. Nous avons une cinquantaine de sociétés dans le portefeuille de Jaïna. S'ils n'ont pas besoin de moi, c'est une bonne nouvelle !
Votre bureau en dit beaucoup sur vous...
Bien sûr ! Chaque objet est lié à l'une de mes activités. L'intégral de Clint Eastwood est lié à mes sociétés de production de films. Les trois nains qui cachent leurs oreilles et leur bouche et qui font un doigt d'honneur, c'est la bourse. Car il ne faut jamais parler, ne pas écouter et ... faire ce que l'on veut.
Il y a aussi des livres, des publicités pour Sensee, pour Devialet et, là-bas, une maquette de notre vélo Héroïn...
Quel est votre quotidien ?
Aujourd'hui j'ai quatre métiers. Je fabrique des lunettes et des vélos, je suis également investisseur et, enfin, je produis des films. Ce que je ne veux plus, c'est ne travailler que sur un seul sujet. Je n'y arrive plus. Je n'ai plus l'âge, ni l'énergie pour redévelopper une société en y passant 20 heures par jour.
Qu'est-ce qui vous a attiré dans le cinéma ?
Ma passion, c'est la littérature mais je n'ai jamais réussi à créer un business autour. Finalement, je me suis dit que le théâtre, c'est aussi des mots et j'ai eu envie de lire et produire des pièces.
J'ai eu la chance d'investir dans une société qui est devenue un producteur de théâtre important. Mais cela reste un petit business. Alors je suis passé au cinéma avec, aujourd'hui, deux boîtes de production.
Vous avez créé la marque de vélo Heroïn en 2016. C'est une passion ?
Tout à fait. Mais c'est aussi un pari business. La raison ? Toutes les personnes de plus de cinquante ans font du vélo ou en feront ! Surtout celles qui ont pratiqué du sport toute leur vie et qui, un jour, ont des problèmes avec leurs genoux. Quand je crée une entreprise, j'essaye de mettre en avant les atouts de la France. Nous sommes très bons dans de nombreux secteurs d'activité, comme le vin, la nourriture, la montagne et ... le vélo !
Nous avons le plus grand événement au monde dans ce sport. Nous devons donc être capables de faire l'un des meilleurs vélos de course dans notre pays. Et nous y sommes arrivés ! Ce n'est pas moi qui le dis, mais les journalistes spécialisés qui ont pu le tester. Nous sommes donc très heureux et moi je trouve, aussi, subjectivement, que c'est le plus beau.
Pourtant, il est fabriqué en Italie...
Le vélo est pensé, dessiné et conçu en France. Il a fallu trois ans de R & D au total. Il est composé de tubes en carbone fabriqués ici. C'est là-dessus que nous avons le plus travaillé. Après, nous l'assemblons en Italie car, malheureusement, ils possèdent un savoir-faire que nous n'avons plus.
Il s'agit d'un produit de luxe ?
Notre vélo est positionné sur le haut de gamme, avec un prix maximum de 15 000 euros. Il s'agit du tarif pour un cycle appartenant à notre série numérotée de 350 pièces. Nous le déclinons aussi dans différentes versions, moins chères, mais nous avons préféré commencer par une version très performante. Nous venons de lancer une nouvelle gamme début avril et il est encore plus beau !
Quels sont les chiffres d'Heroïn ?
C'est secret. Nous ne révélons rien car nous sommes un nouvel entrant. Soit nos chiffres sont bons et nous allons être copiés. Soit nos chiffres sont mauvais et quelqu'un m'expliquera que nous n'y arriverons jamais. Je ne dévoile plus rien. Je travaille.
Autre cheval de bataille, votre site d'optique Sensee. Où en êtes-vous aujourd'hui ?
Nous avons déployé notre modèle définitif en 2017. Concrètement, nous fabriquons nos lunettes en France, dans le Jura. Je précise que c'est réellement le cas, contrairement à ce que je peux entendre à droite ou à gauche. Nous vendons nos lunettes dans nos quatre showrooms situés à Marseille, Paris, Lyon et Toulouse. Mais aussi sur Internet et, depuis peu, dans des corners implantés dans la Fnac Montparnasse à Paris et dans celle de Bordeaux.
À noter que le marché des lunettes est énorme, il pèse 6 milliards d'euros en France.
Vous faites également de la vente de lentilles ?
Effectivement. Nous avons une seconde marque qui est LentillesMoinsChères.com. D'ailleurs, historiquement, nous avons commencé par ce produit. Il nous aura fallu six ans pour enfin avoir le droit de vendre des lunettes sur Internet. C'est incroyable car dans tous les pays c'était possible, sauf en France !
Aujourd'hui, nous faisons environ 30 millions d'euros de chiffre d'affaires grâce à nos lentilles. Cependant nous projetons de vendre ce département pour nous consacrer uniquement à celui des lunettes.
Pourquoi est-ce si difficile de développer Sensee ?
Les raisons sont multiples. Tout d'abord, il s'agit d'un secteur médical, donc réglementé. Ensuite, le secteur est complètement verrouillé par les acteurs historiques. En France, il y a un verrier, deux fabriquant de montures, dont un vient de se faire racheter, et six ou sept de grandes chaînes de distribution. C'est la caricature absolue du marché verrouillé. Quand nous sommes arrivés, nous avons eu l'intégralité des acteurs de l'optique contre nous. Cela va des opticiens, en passant par les ophtalmologues jusqu'aux verriers.
Quelle est la solution ?
Nous sommes dans le sens de l'histoire car, oui, les lunettes sont trop chères en France. Certaines marques d'optiques proposent même de les payer en douze fois. Elles sont aussi assurées contre le vol ou la perte. Pourtant, ce n'est pas un produit de luxe, je le rappelle. C'est aberrant !
Sauf que les Français ne regardent pas vraiment le prix de leurs lunettes...
Oui, mais mon pari, c'est que les Français vont y faire attention tôt ou tard. C'est déjà un peu le cas depuis le 1er janvier 2018 car, sur les contrats de mutuelle solidaire, une paire n'est remboursée que tous les deux ans. Pour la première fois, nous allons avoir des clients qui vont faire attention. Mais c'est vrai que l'argument prix est très difficile à faire valoir sur le marché français. C'est pour cette raison que nous mettons en avant notre marque qui est jeune, moderne et dont les produits sont fabriqués en France.
Êtes-vous confiant ?
Bien sûr ! Nous ne sommes pas pressés car nous courrons un marathon, pas un sprint. Le marché est énorme et notre modèle fonctionne quand les clients veulent acheter moins cher. A contrario, tous nos concurrents vont souffrir si cela devient une tendance de fond. Nous sommes assis sur le bon arbre, celui du physigital et avec un modèle qui nous permet de vivre avec des prix de ventes deux à trois fois inférieurs.
Quel regard portez-vous sur les réformes portées par le gouvernement ?
Pour l'instant, Emmanuel Macron fait ce qu'il a dit lors de la campagne présidentielle. Concernant la loi Travail, je ne peux pas me prononcer. Je ne suis pas vraiment concerné car je ne m'occupe que de start-up. En revanche, ne pas embaucher une personne car il est trop difficile de la licencier en cas d'échec, c'était hélas vrai et très fréquent. C'est horrible à entendre, mais c'est la réalité. J'ai d'ailleurs écouté une interview de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet qui m'a bien fait rire.
C'est-à-dire ?
Il a recruté des membres de son équipe sous le statut d'auto-entrepreneur pendant la campagne présidentielle. Un statut qu'il n'a eu de cesse de critiquer. Son explication : si son mouvement politique ne marchait pas, il n'avait pas les moyens de licencier. Et bien c'est exactement la même chose pour un dirigeant d'entreprise. Il vient de découvrir le problème du CDI. C'est bien, même s'il lui a fallu 45 ans pour y arriver.
Quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?
J'en ai deux usages. L'un personnel, avec Facebook, qui est un peu trop envahissant, c'est vrai. Et aussi Instagram. L'autre est professionnel, avec Twitter. Je ne suis pas sûr de rester sur les réseaux sociaux toute ma vie. Mais il s'agit d'un moyen de communication direct très important en tant que chef d'entreprise.
Il faut dire que vous n'avez pas peur de donner votre avis...
C'est vrai que je n'hésite pas à parler. C'est dans ma nature. Si vous me demandez mon avis, je vous le donne, sans filtre. Je viens d'écrire un livre, Une vie choisie chez Grasset, dans lequel je raconte mon histoire, sans détours et sans storytelling.
Quand je tweete que je pense que Sapin est un con, c'est vraiment mon sentiment. Certaines personnes trouvent que je vais trop loin et que ce n'est pas le rôle d'un chef d'entreprise... Peut-être, mais je m'en fous totalement.
Avez-vous conscience d'être un modèle pour les jeunes porteurs de projet ?
De fait, peut-être. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai écrit ce livre. Je ne l'ai pas fait pour mes parents ou mes amis, mais pour tous les entrepreneurs qui veulent connaître une histoire d'entrepreneur avec ses succès et surtout ses échecs.
Tout ce que je raconte dedans est totalement vrai. Mes erreurs, mes plantages et quelques succès. Sinon, ça n'a aucun intérêt. J'incite d'ailleurs mes camarades entrepreneurs à faire de même, à raconter leur histoire.
Quelle erreur vous a particulièrement marqué ?
J'en ai fait tellement... Quand j'ai commencé dans le secteur du Minitel en 1985, il fallait acheter des serveurs et cela coûtait une fortune, environ un million de francs pièce. En plus, il saturait très vite. Il fallait donc en acheter plein.
Mon erreur, c'est que je n'ai pas osé emprunter de l'argent aux banques pour investir, d'un coup, dans de nombreux serveurs. J'attendais d'en avoir remboursé un avant d'en acheter un autre. J'ai mis des années à constituer mon centre d'hébergement tandis que mes concurrents arrivaient tout de suite avec des plateformes de cent cinquante serveurs. Je n'ai pas compris qu'il fallait utiliser le capital et la dette et prendre des risques dès le départ.
Comment l'expliquez-vous ?
Je viens d'un milieu où la notion de risque n'existe pas. Nous n'avions pas grand-chose donc nous ne pouvions pas nous permettre de prendre des risques. C'était culturel. Et c'est pour cette raison que ma première boîte n'a pas décollé. C'est d'autant plus dommage qu'à cette époque le business était porteur et ma structure aurait pu devenir plus grande.
La crainte d'ouvrir son capital n'est-elle pas très répandue ?
Oui, c'est traumatisant d'ouvrir son capital. Mais c'est nécessaire. Ce qui est très frappant, c'est que les gens s'attachent aux pourcentages. En clair, quand ils font entrer un actionnaire, leur première réaction consiste à dire : "je n'aurais plus que 25 %, 33 % ou 48% des parts de l'entreprise". C'est un raisonnement idiot.
Même avec 48 % de parts, ils auront plus d'argent à la sortie que ce qu'ils peuvent en avoir avec 100 % ! Une personne m'a dit un jour : "Monsieur, on n'achète pas son pain en pourcent". Cette phrase est géniale. Il ne faut jamais compter en pourcent, mais en argent.
Bio
1963 : naissance à Marseille.
1985 : création de Communication Télématique Bourgogne, entreprise de services pour Minitel.
1996 : création de IFrance, hébergeur gratuit de pages web personnelles.
2002 : création de Meetic, site de rencontres sur Internet.
2010 : création du fonds d'investissement Jaïna Capital.
2011 : lancement du site d'optique Sensee.
2015 : développement de Reborn Production, spécialisé dans la production de pièces de théâtre et de films.
2016 : création d'Heroïn, fabriquant de vélos haut de gamme.