Les secrets entrepreneuriaux de 4 stars du web
Tous ont fait d'une bonne idée un incroyable succès. Tous ont osé l'innovation. Pierre Kosciusko-Morizet, Frédéric Mazzella, Céline Lazorthes et Guillaume Gibault, fondateurs de PriceMinister, BlaBlaCar, Leetchi et Le Slip français vous livrent les secrets de leur réussite entrepreneuriale.
Je m'abonneQuoi de plus logique que de confier la rédaction en chef d'un magazine consacré à l'innovation numérique à ceux qui l'impulsent, l'orientent et l'encouragent ? Car ces quatre entrepreneurs n'ont pas hésité à disrupter leur secteur, ni craint de plonger dans leur propre océan bleu. Ils ont su quitter leur zone de confort pour exploiter une idée qu'ils ont eu, souvent, en un éclair. "En trois minutes, j'ai su que j'allais me lancer. J'ai eu un véritable coup de foudre pour ce concept", se souvient Pierre Kosciusko-Morizet. Deux semaines plus tard, il quitte son poste chez Capital One, aux États-Unis, rentre en France et crée, en 2000, PriceMinister.com, plateforme de mise en relation d'acheteurs et de vendeurs.
Si quelques minutes ont suffi à Pierre Kosciusko-Morizet, il n'en a pas fallu beaucoup plus à Guillaume Gibault pour être convaincu de sa bonne idée. C'est d'un pari lancé entre potes, en 2012, dans un bar, que naît l'aventure du Slip français qui, deux ans plus tard, totalise un chiffre d'affaires de 1,5 million d'euros. Même éclair de génie du côté de Frédéric Mazzella, à la tête de l'une des plus belles réussites entrepreneuriales françaises du moment, BlaBlaCar. C'est la veille de Noël, en 2003, lorsqu'il prend, à la dernière minute, un train pour rejoindre ses parents en Vendée et qu'il ne trouve qu'une place à 115 euros à 5 heures du matin que l'idée lui vient. "Mes parents ont tout de suite adhéré, cette idée me permettant de venir les voir à moindres frais et donc plus souvent" , s'amuse le dirigeant, aujourd'hui à la tête de 350 collaborateurs.
Quant à Céline Lazorthes, c'est l'organisation du week-end d'intégration en master d'HEC et la galère pour collecter l'argent qui lui donnent l'impulsion de créer, en 2009, la cagnotte en ligne Leetchi.
Consécration
Pour autant, comment s'assurer que son idée soit la bonne ? "Moi, ce qui m'a conforté, c'est que tous les gens à qui j'en parlais étaient certains de l'utilité de cette application" , assure, de son côté, Céline Lazorthes. Pour Guillaume Gibault, c'était forcément plus évident. "Le marché est évidemment énorme, car tous les hommes portent des slips. N'étant pas intrinsèquement innovant, je devais faire la différence sur ma communication."
Plus sceptique, Pierre Kosciusko-Morizet a dû attendre les premiers retours clients pour se convaincre. "Ce qui est génial, c'est d'entendre des personnes à la terrasse d'un café vanter votre société. Là, vous savez que vous avez gagné" , assure Pierre Kosciusko-Morizet.
Entre-temps, que s'est-il passé ? Quelle stratégie a permis à Frédéric Mazzella de lever, en septembre, 200 millions de dollars ? Comment Céline Lazorthes est-elle parvenue à monter une entreprise de 30 salariés dont le Crédit Mutuel Arkéa vient de racheter, pour plus de 50 millions d'euros, 86 % ? Où Guillaume Gibault s'est-il différencié de ses nombreux et puissants concurrents ? Comment PKM a-t-il su capitaliser sur la vague numérique des années 2000 ? "Tout le monde aimerait croire au père Noël et penser que nous devons notre réussite à la chance. Or, tout se construit tel un architecte, "step by step". L'entreprenariat, c'est un grand escalier qu'il faut gravir sans ascenseur" , explique Frédéric Mazzella. Lancé dans la métaphore, le fondateur de la plus récente licorne française poursuit : "C'est comme si vous participiez à une course de haies, mais en vous prenant absolument toutes les haies."
Sauf que l'épreuve ne se réussit que rarement seul. Déjà, grâce à l'appui et l'expertise d'un cofondateur, Pierre Krings pour Pierre Kosciusko-Morizet, ou d'un bras droit technique, Francis Nappez pour Frédéric Mazzella. Et ensuite, grâce à l'effervescence de son équipe formée, là encore, pas à pas. " Je n'ai jamais compris ceux qui ne s'entouraient, à leurs débuts, que de stagiaires. C'est l'échec assuré. Car à l'amorçage, vous avez besoin de meilleurs que vous dans chacun de vos axes de développement", assure Frédéric Mazzella, vite rejoint par Pierre Kosciusko-Morizet. "Lors de cette phase cruciale de création, entourez-vous de collaborateurs aussi engagés et impliqués que vous, conseille-t-il. Lorsque j'ai créé PriceMinister, à 23 ans, il était clair que j'étais moins expert que les personnes que je recrutais."
Un point de vue partagé par Céline Lazorthes : "Étant plus jeune que le reste de mon équipe, j'ai délégué très vite et super facilement. Avec un objectif : ne manager en direct que cinq ou six personnes."
Cohésion
Ensuite, tout n'est plus question que d'animation des ressources. "Je suis celui qui pousse au cul tout le monde" , plaisante le fondateur du Slip français. Certes, mais pas que. Car entre une équipe qui fonctionne et une équipe qui détonne, il y a souvent un dirigeant qui encourage. "L'architecture doit être suffisamment claire pour que chacun, au sein de son périmètre et de sa fonction, se sente libre d'essayer, de proposer, d'innover" , pense Céline Lazorthes.
Pour Frédéric Mazzella, le secret passe également par la responsabilisation des salariés. Pour cela, celui que Xavier Niel surnomme "la plus grande star française de l'Internet" évite les process "qui ont tendance à tuer toute prise d'initiatives" au profit de valeurs. "Lorsqu'une structure croît rapidement, les salariés doivent pouvoir prendre seuls des décisions, sans avoir à solliciter leurs managers. Les valeurs leur servent de repères." Au total, l'ex-chercheur en physique et en informatique en a formalisé dix, probablement tirées de ses trois ans passés à l'université américaine Stanford. "Même si c'est le fruit du hasard, elles sont très inspirées du lean start-up" , avoue-t-il. Parmi elles : "Fun & serious", "We are passionnate, We innovate", "Done is better than perfect", "The member is the boss" ou encore "Fail, learn, succeed".
C'est qu'il est bien placé pour croire aux vertus de l'échec, lui qui a tenté, pour covoiturage. fr puis BlaBlaCar, six modèles économiques avant de trouver le bon. À ce moment-là, ses homologues et lui ont-ils été épaulés par les organismes et dispositifs publics ? En France, encourage-t-on, stimule-t-on, aide-t-on suffisamment l'innovation ?
Et demain ?
"Il existe un écosystème très efficace pour favoriser l'entrepreneuriat. Dès le départ, les banques nous ont prêté de l'argent et la BPI a été très efficace" , assure Guillaume Gibault. Même son de cloche du côté de Céline Lazorthes : "Les aides publiques fonctionnent très bien. Elles permettent de catalyser les forces. Elles ne peuvent pas aller beaucoup plus au-delà." En effet, tous s'accordent sur le constat. "La limite est très ténue, car un entrepreneur assisté est un entrepreneur foutu , assure Frédéric Mazzella. Vous devez résoudre les problèmes seuls... C'est là que réside votre valeur ajoutée en tant que dirigeant." Pierre Kosciusko-Morizet en a même la preuve : "En 2000, c'était plus compliqué, mais déjà très facile. Et ceux qui accusaient le manque d'aide pour ne pas se lancer n'ont finalement jamais rien fait."
Rien faire... c'est ce qui n'arrivera probablement jamais à chacun de ces quatre entrepreneurs, rédacteurs en chef de ce numéro spécial de Chef d'Entreprise. Fort de sa levée de fonds historique, Frédéric Mazzella poursuit son développement international, tandis que Guillaume Gibault multiplie les déplacements aux États-Unis et en Asie pour étoffer la part de ses ventes à l'export. Et si Céline Lazorthes compte bien sur son nouveau partenaire bancaire le Crédit Mutuel Arkéa pour développer ses services Leetchi et Mangopay, Pierre Kosciusko-Morizet a structuré une équipe, avec son associé de la première heure Pierre Krings, à la recherche de la bonne idée. "Maintenant que j'ai eu mon premier coup de foudre, je suis plus exigeant..."