DossierRebondir après une baisse du chiffre d'affaires
1 - Revoyez votre stratégie avec méthodologie
Redresser la barre après une chute des ventes suppose de connaître les causes qui ont mené au repli, de revoir ses pratiques et de dégager des pistes de développement. Premier volet de notre enquête sur le rebond : la stratégie.
En chiffres
5,8% : les défaillances de PME reculent de 5,8 % en avril 2018. Une bonne nouvelle pour les entreprises qui vendent en B to B ? (source : Banque de France).
75% : Les jeunes salariés veulent du sens - 75 % accepteraient une diminution de leur paie pour travailler dans une entreprise socialement responsable (source : Sodexo Global Workplace Trends, 2017).
7 salariés sur 10 jugent le management de leur entreprise comme peu ou pas innovant (source : BVA, décembre 2017).
Quel directeur commercial peut se targuer de n'avoir jamais vu son chiffre d'affaires vaciller ? Cet épisode douloureux de la vie des entreprises peut trouver sa source dans une cause sectorielle (quand un changement majeur affecte le secteur économique de l'entreprise comme, par exemple, une nouvelle directive européenne qui s'impose), conjoncturelle (quand un marché décline par exemple pour cause d'obsolescence technologique : quand l'argentique a laissé sa place à la photo numérique) ou quand la météo est défavorable.
La baisse de chiffre d'affaires peut aussi être due à un manque de compétitivité de l'entreprise, lequel repose à la fois sur son offre et sur ses forces vives, à savoir les commerciaux et, plus généralement, toutes les personnes au contact de la clientèle. En cause : un manque de motivation, de compétence ou encore de moyens.
Enfin, l'entreprise elle-même peut connaître des problèmes structurels propres à enrayer la bonne marche du business. "Défauts de qualité, retards de livraison, relation client ou SAV défaillante... Quand l'entreprise ne tient pas ses promesses, cela a pour effet d'éloigner les clients", observe Bertrand Décultot, fondateur du cabinet de conseil BD Consulting. La première tâche du directeur commercial sera donc d'identifier les causes de la baisse de performance, avec clairvoyance, mais sans alarmisme.
Revoir le marketing
"L'échec reste une notion taboue en France, déplore Francis Boyer, consultant en management, fondateur du cabinet Dynesens-Innovation Managériale. Aux États-Unis au contraire, il est positif d'avoir essuyé des revers et de montrer que l'on a su rebondir." Et de citer l'éditeur californien de logiciels Intuit, qui organise des "Fêtes de la défaite" pour dédramatiser la perte de business et repartir du bon pied. Un modèle inconcevable dans l'Hexagone ?
"Face à la difficulté, on a plutôt tendance, ici, à provoquer des réunions de crise, qui généralement interviennent in extremis. Or, il faudrait instaurer un management attentif et bienveillant en continu, transparent et authentique, fédérateur et qui privilégie le collaboratif."
On l'aura compris, le management est donc au coeur de la politique de changement qu'il faudra mettre en oeuvre pour sortir de l'impasse. C'est à lui de mettre sur pied une stratégie gagnante pour renouer avec le succès des ventes. Cela passe par une redéfinition complète des éléments du mix marketing.
En chiffres
1/4 des Français considère les challenges d'entreprises comme un levier de motivation (source : sondage Opinion Way pour Hub One, août 2017).
62 % des commerciaux, la vente doit être le fruit d'une collaboration entre les différents départements de l'entreprise, ce qui augmenterait de 25 % la productivité de chacun (source : Salesforce, mai 2017).
43% seulement des entreprises françaises paient leurs fournisseurs à l'heure (source Altares, 2017).
Analyser son portefeuille
Cela commence par une réflexion sur l'offre. Répond-elle toujours aux attentes du marché ? Comment se situe-t-elle face à la concurrence ? A-t-elle suffisamment et correctement évolué ? Manager des offres "vente et négociation" chez Cegos, Gaëlle Menin-Urien cite le cas des constructeurs automobiles, qui doivent actuellement faire face à l'interdiction progressive du diesel en ville : "Ils doivent effectuer des choix stratégiques pour s'adapter à ce nouveau contexte. L'analyse qui fait suite à une baisse des ventes doit aboutir, si besoin, à un repositionnement des gammes de produits."
Dans le même temps, il est utile de se pencher sur la segmentation de l'offre et du portefeuille, et de prévoir des actions de ciblage en fonction des profils et du gain de performance souhaité. À la tête d'une agence d'architecture, Arc.Ame, Carole Vilet explique comment, avec l'aide de Démos, elle a opéré un travail d'analyse de son portefeuille clients afin d'orienter son effort commercial sur les comptes les plus porteurs : "Jusqu'ici, nous ne savions pas très bien quels clients contribuaient le plus au développement de notre business. Entre les contrats rémunérateurs, ceux qui le sont moins, mais nous apportent un "plus" en termes de notoriété, ou encore les projets de long terme à l'aboutissement incertain, il a fallu identifier les gisements de valeur et en faire des priorités."
Bilan : dans un secteur en souffrance, alors que certains de ses confrères baissent le rideau, le cabinet Arc.Ame développe ses ventes et s'apprête même à fusionner avec une autre structure au sein d'un GIE pour se développer à l'international.
Focus
Faire phosphorer salariés et clients sur le développement
Tout le monde peut avoir de bonnes idées. Pour Francis Boyer, fondateur du cabinet conseil Dynesens-Innovation Managériale, une crise du chiffre d'affaires est l'occasion idéale pour réunir l'équipe commerciale et la mobiliser autour de la recherche de solutions.
"Pour ce faire, le manager doit adopter une attitude ouverte, faire appel aux volontaires pour créer des groupes-projets autour de l'innovation, dégager du temps pour la réflexion." Autre piste : la création d'événements, tels que des workshops ou des incentives autour de l'innovation, qui s'adressent à l'ensemble des collaborateurs.
"Il faut donc au besoin, allouer un budget à l'innovation, et définir un cadre de réflexion, pas trop strict afin de laisser libre cours à la créativité et à l'initiative". Le consultant suggère aussi d'impliquer les clients : "En les conviant de façon conviviale à la réflexion, l'entreprise montre qu'elle les valorise et accorde de l'attention à leur satisfaction." Les idées les plus intéressantes méritent ensuite d'être discutées et testées avant d'être déployées à grande échelle.
Organiser le temps
L'objectif de cet effort de ciblage ? Mettre la réponse de l'entreprise en phase avec les besoins du marché. "Tel client dormant a-t-il été oublié trop longtemps ? N'a-t-on pas négligé la conquête, au profit de l'entretien des clients existants ? Quels canaux sont utilisés pour toucher les cibles ? Ce sont autant de questions à se poser pour se mettre en mouvement", ajoute Bertrand Décultot, consultant chez Démos.
L'expert constate, par ailleurs, que "le temps de vente diminue progressivement, au fil des années, car il est grignoté par des tâches administratives, de gestion, qui le font passer au second plan. Dans une démarche de reconquête des clients, il faudra veiller à redonner du temps aux commerciaux pour la prise de contact et la vente, afin que ces derniers s'imprègnent des besoins de leurs clients, les anticipent et construisent une relation pérenne."
Face à la baisse des impressions du fait du boom du numérique, le secteur des imprimantes a ainsi sauvé sa peau, il y a une dizaine d'années, en passant des ventes d'appareils aux ventes dites "contractuelles", qui englobent tout une offre de services (remplacement des cartouches, etc.)
Pour garder leurs clients, les constructeurs ont donc changé de braquet et inventé un modèle de "relation commerciale durable", aujourd'hui généralisé à de nombreux secteurs : abonnements aux logiciels informatiques, aux jeux vidéo, etc. Bien sûr, une attention particulière doit être portée à l'entretien de la proximité relationnelle avec les clients et prospects.
"Il faut réactiver les modes de prospection éventuellement négligés, comme les réseaux sociaux, les clubs professionnels, les soirées de réseautage, conseille Arnaud Hautesserres, directeur associé chez Meltis, cabinet conseil en accompagnement du changement. Tous ces canaux relationnels, qui, certes, prennent du temps, se révèlent payants sur le long terme."
3 questions à :
Thierry Gordillo, consultant-formateur chez Démos
Quel lien peut-on établir entre la baisse du CA et l'attitude des clients ?
On constate, de façon générale, que les clients sont de plus en plus volatils. Ils n'hésitent plus à passer d'un fournisseur à un autre, assistés en cela par les différents comparateurs sur Internet qui les aident à faire des choix. En parallèle, les marques leur font des offres alléchantes pour les recruter, ce qui conduit à une aberration : un nouveau client peut se trouver aujourd'hui mieux traité qu'un client de longue date, car il paye moins cher et bénéficie de services sans lesquels il n'aurait pas signé le contrat.
Y a-t-il des secteurs plus impactés que d'autres ?
Le secteur de l'assurance, par exemple, doit batailler pour garder ses clients, qui peuvent aujourd'hui plus facilement résilier leurs contrats et disposent d'un vaste choix en ligne. La téléphonie, soumise à une rude concurrence, peine aussi à stabiliser ses clients et doit réinventer sans cesse ses propositions. C'est le cas aussi de l'audiovisuel avec les chaînes à péage, etc. Dans le B to B, on constate un phénomène de perte de clients dû à la mort des petites entreprises. Les impayés et les délais de paiement agissent comme des poisons de la relation commerciale.
Comment faire pour redonner confiance à sa cible ?
Il faut remobiliser les équipes et les recentrer autour d'un projet d'entreprise sur trois ans. Avec un plan d'actions, un suivi par les managers et une communication régulière sur les résultats obtenus.
Des développements mesurés
Enfin, le manager commercial en proie à une baisse de performances n'a d'autre choix que de proposer des développements. "Il devra s'interroger sur les opportunités de business : quelle nouvelle proposition, dans quelle région, auprès de quelle nouvelle cible, par quel nouveau canal, éventuellement à l'international", résume Bertrand Décultot (Demos). Et comme pour toute démarche de développement, qui nécessite des investissements, il faudra analyser les risques, au regard des bénéfices attendus.
En cas de développement dans tel pays : celui-ci est-il sûr, stable ? Faudra-t-il en passer par un intermédiaire, et avec quelles conséquences ? Le potentiel et les probabilités de succès clairement mesurées détermineront la démarche. Enfin, sortir d'une spirale de baisse des ventes ne se conçoit pas sans une reprise en main de l'équipe commerciale et une remise à plat des méthodes de management. C'est ce que nous verrons dans un second volet.