Fin de course pour Uber ?
Après Take Eat Easy, c'est à Uber de revoir son modèle. Dans un arrêt du 4 mars 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation met un coup de frein à l'ubérisation en requalifiant le contrat liant l'entreprise Uber à un chauffeur en contrat de travail. Est-ce la fin de l'ère Uber ?
Je m'abonneDepuis la requalification en contrat de travail d'un contrat liant l'entreprise Take Eat Easy à l'un de ses livreurs, les opérateurs de plateformes craignaient l'application de cette jurisprudence qui bouleverserait leur système économique. Il n'aura pas fallu attendre longtemps le tour du pionnier du genre. En cause : le contrat d'Uber n'offre pas les libertés suffisantes indispensables au statut du travailleur indépendant et place ses chauffeurs sous des contraintes caractérisant un lien de subordination au regard de la Cour.
Un lien de subordination caractérisé par les conditions de travail des chauffeurs Uber
Ce lien de subordination, consacré par l'arrêt " Société Générale " du 13 novembre 1996 et défini comme étant l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, a été reconnu pour les chauffeurs Uber puisque la Cour a constaté que ces derniers :
- Intègrent un service organisé entièrement par Uber dans lequel ils ne constituent aucune clientèle propre, ne fixent pas librement leurs tarifs, ni les conditions d'exercice de leur prestation de transport ;
- N'ont pas le choix de l'itinéraire sur lequel des corrections tarifaires s'appliquent s'ils s'en écartent ;
- Ne peuvent choisir librement leurs courses car ils n'ont pas connaissance de la destination avant de les accepter ;
- Peuvent être sanctionnés par Uber au moyen de déconnexions temporaires après trois refus de course ou perdre l'accès à leur compte en cas de dépassement d'un taux d'annulation de commandes ou de signalements de " comportements problématiques ".
Le manque de liberté des chauffeurs dans le choix des conditions d'exécution de leur travail et les sanctions applicables par Uber en cas de non-respect de celles-ci s'analysent en un lien de subordination. Dès lors, les chauffeurs Uber, étant tous placés dans ces conditions, pourraient donc demander la requalification de leur contrat. L'impact serait considérable pour Uber qui compterait plus de 30 000 chauffeurs en France.
La fin des faux travailleurs indépendants, le début d'un nouveau business model ?
Avec cet arrêt, Uber serait alors contrainte de se plier aux règles du droit du travail français et notamment de payer les cotisations patronales, ce qui remettrait en question la rentabilité de son système basé sur l'exploitation du travail indépendant. Car dans ce système, ce sont les travailleurs indépendants qui supportent tous les risques et s'acquittent de toutes les charges sociales. Une situation avantageuse pour Uber qui risque toutefois de ne pas durer.
Comment les entreprises comme Uber pourraient poursuivre leurs activités dans un cadre légal inadapté à leur modèle économique ? La première réponse serait de changer le modèle économique. Cela se traduirait certainement par une hausse du prix des prestations. Un changement qui ferait perdre un avantage concurrentiel que ces entreprises avaient sur leurs concurrents traditionnels.
La seconde réponse serait un changement du cadre légal avec, par exemple, un statut intermédiaire dans la binarité travail indépendant/salariat.
Enfin, une troisième solution serait de rééquilibrer la relation entre Uber et ses chauffeurs en donnant à ces derniers davantage de libertés, et à Uber un droit de contrôle suffisant pour maintenir son service, cela en évitant tout lien de subordination pour rester dans les clous du travail indépendant.
Raphaël BALJI, avocat du cabinet Redlink
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