Fusion et Acquisition : préparer la diligence raisonnable de son entreprise avant-vente ?
Vendre son entreprise, c'est comme vendre une voiture. Même au meilleur prix, il vaut mieux toujours vérifier l'état du moteur. Votre moteur, c'est votre extra-financier. Nous allons voir comment en prendre soin.
Je m'abonneEn 2019, les directions exécutives interrogées s'accordent à dire que près de 60% des échecs de fusions acquisitions sont dus à une mauvaise diligence raisonnable (Bain & Company). Une tendance qui risque de se renforcer avec la part grandissante occupée par l'information extra-financière dans le rapport de Management annuel.
Le rôle de l'extra-financier
En effet, l'entrée en vigueur début 2024 de la directive Européenne sur les rapports de Développement durable des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive) rend la publication des données relatives à l'environnement, au social et à la gouvernance obligatoire pour les entreprises listées en bourse avec une extension à l'ensemble des entreprises non listés prévue à l'horizon 2027.
Ces informations deviennent donc publiques, et de facto évaluables par les futurs investisseurs. Les créances de dettes, les obligations et les taux d'assurance de l'entreprise s'indexent donc automatiquement sur cet élément extra-financier. Le futur acquéreur de l'entreprise cherchera donc à estimer leurs impacts via L'exposition au risque et l'histoire de la création de la valeur extra-financière de l'entreprise.
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L'exposition au risque
Le premier élément que va chercher à établir tout futur acquéreur est l'exposition au risque de l'entreprise. Pour cela, il convient de définir une période de surveillance sur laquelle les risques seront analysés. L'usage est souvent de considérer une période de 5 à 10 ans.
Une première bonne pratique pour qui souhaite céder son entreprise est donc de tenir un historique des risques : Poursuites judiciaires, Dégâts environnementaux, compensations de litige...
La clé dans la rédaction de l'historique est de toujours maintenir la temporalité de l'événement (date et durée), le niveau de d'exposition de l'entreprise (Litige, condamnation, arrêt de service...), les externalités négatives identifiées (Coût de reprise de service, Amendes...) et les remédiations mises en place par la direction (Plans d'actions, CapExp, OpExp).
Cependant, il existe une nuance capitale au concept d'externalité négative ; Elle désigne tout autant l'impact financier pour l'entreprise, que l'impact non-financier qu'à l'entreprise sur son environnement ou encore l'impact de l'environnement sur l'entreprise.
Par exemple, une entreprise textile subit une inondation la forçant à arrêter son activité. Seront alors consignés dans l'historique des risques les éléments relatifs :
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- Au coût d'arrêt de production et de remise en service (Business Continuity)
- À l'inventaire des dégâts matériels et humains
- À l'inventaire des pollutions causées par le sinistre
- Aux impacts sur les communautés affectées (Voisinage, territoire...)
Il y a bien consignation du risque financier, de l'impact de l'environnement sur l'entreprise et de l'impact de l'entreprise sur son environnement.
Ce type de catégorisation permet une visualisation claire du passif de l'entreprise et permet d'identifier les phénomènes récurrents afférents à l'entité.
La création de valeur
Un second aspect essentiel pour le futur acquéreur est la compréhension de la création de valeur extra-financière. Il est question alors de déterminer l'empreinte extra-financière de l'entreprise et ses effets de leviers potentiels.
On peut définir l'empreinte extra-financière d'une entreprise comme son impact immédiat et absolu sur son environnement (Emissions de CO2 et de Polluants, Pression sur les communautés...). L'effet de levier extra-financier quant à lui est la possibilité de changement de l'entreprise et sa capacité à changer son environnement (Réduction des émissions d'un secteur d'activité, Modification du PIB d'une région...).
Considérant cela, il est essentiel d'identifier son segment d'investissement.
L'entreprise A est une structure à fort effet de levier mais à faible empreinte extra-financière. Ce type d'entreprise va être limité dans l'amélioration de sa performance interne mais bénéficie d'un grand pouvoir d'influence sur son secteur. Elle va alors privilégier une approche de labélisation pour certifier son impact interne et mener des programmes en collaboration avec des parties externes pour augmenter leur crédit (ONG, Territoire, Clients...). Cela va être notamment le cas de certaines sociétés de service tel que les distributeurs de logiciel. Ces derniers ont une activité interne peu émissive avec des externalités négatives limitées, cependant ils opèrent dans un secteur d'activité extrêmement impactant sur le plan extra-financier (Usage de Data center, Manipulation de données sensibles...).
L'entreprise B est une entreprise à fort effet de levier et forte empreinte extra-financière. Ce type d'entreprise bénéficie d'un large éventail d'outils pour augmenter sa valorisation. Elle peut d'abord mener des actions internes pour augmenter sa performance générale (Programme d'efficacité énergétique, Système de gestion des personnes en situation de handicap...). Cependant, la mise en place de certification de cette activité interne sera souvent bien plus chalengeant pour l'entreprise. D'autre part, doté d'un fort effet de levier potentiel, l'entreprise va bénéficier d'un fort impact sur les communautés environnantes et sur son environnement (Création d'emplois, Génération de PIB, Attractivité du territoire.). Cela concerne par exemple les groupes industriels et pétroliers. Ceux-ci vont impacter fortement les acteurs de leur chaîne de valeur et les territoires qu'ils exploitent.
L'entreprise C est une entreprise à faible effet de levier et faible empreinte extra-financière. Ce cadran à une typologie unique. Il permet à l'entreprise de valoriser très rapidement sa performance extra-financière. Le faible impact extra-financier permet l'accès à des labélisations avec des efforts limités et le faible effet de levier extra-financier permet de concentrer la stratégie de valorisation sur l'activité interne. Dans cette configuration, l'entreprise peut tout de même chercher à être un partenaire d'autres entreprises afin de réduire leur propre impact extra-financier. Un certain montage pourrait même offrir des statuts financiers intéressant par l'off-setting carbone. Ces entreprises à faible impact et effet de levier pourraient correspondre à une entreprise de vente de fleur ou d'artisanat.
L'entreprise D est une entreprise à faible effet de levier et forte empreinte extra-financière. Une compagnie dont l'empreinte financière est prépondérante sur son effet de levier potentiel est une entreprise qui va valoriser les initiatives internes. Il sera alors question de se concentrer sur la formalisation des processus, la consolidation des données et le renforcement des actions de contrôle interne. Les programmes avec un large spectre d'action et un fort degré de formalisation sauront mettre en valeur les spécificités de ce type d'entreprise.
Conclusion
Préparer la diligence raisonnable extra-financière avant la vente de son entreprise est bien plus qu'un exercice de conformité réglementaire. C'est une opportunité stratégique de valorisation et de réduction des risques pour attirer les meilleurs investisseurs. En structurant un historique rigoureux des risques et en mettant en avant sa capacité à créer de la valeur extra-financière, une entreprise optimise son attractivité sur le marché des fusions-acquisitions.
Qu'il s'agisse de limiter les passifs environnementaux ou de démontrer un potentiel de transformation positif sur les territoires et les communautés, chaque entreprise doit connaître sa position dans la matrice extra-financière pour développer une stratégie sur mesure. Une diligence extra-financière bien menée est le moteur caché d'une transaction réussie, car elle éclaire les investisseurs sur la véritable valeur de l'entreprise au-delà de ses simples états financiers.
Références
AON. (2023, September 15). ESG Factors are Carrying Increasing Importance in Mergers and Acquisitions Dealmaking. Retrieved 2024, from https://www.aon.com/en/insights/articles/esg-factors-are-carrying-increasing-importance-in-mergers-and-acquisitions-dealmaking
Bain & Company. (2020). Due Diligence: Evolving Approaches Boost the Odds of Success. Retrieved from Bain & Company: https://www.bain.com/insights/due-diligence-global-ma-report-2020
Deloitte. (n.d.). Four ways ESG is reshaping M&A. Retrieved from https://www2.deloitte.com/us/en/pages/mergers-and-acquisitions/articles/esg-in-m-and-a.html
European Commission. (2023, September 20). New Energy Efficiency Directive published. Retrieved 2024, from European Commission.
Antoine Grondin est directeur exécutif en charge de l'ESG dans un groupe industriel international, spécialisé en stratégie d'entreprise et en relations avec les actionnaires et investisseurs. Ingénieur diplômé en génie énergétique de l'École des Mines,il a complété sa formation à la Harvard Business School en Strategy Execution. Modérateur du Comité extra-financier, il partage chaque mois son expertise sur les enjeux de durabilité et de performance extra-financière.