Export : tirez parti de la récession chinoise
Digitalisation de l'économie, besoins en innovation, chute des cours de matières premières... Les répercussions du ralentissement de la croissance chinoise et de la crise boursière laissent présager de nouvelles opportunités pour les PME françaises.
Je m'abonne L'année 2016 a mal commencé pour la Chine. Le 4 janvier, les Bourses de Shanghai et de Shenzhen stoppent net. Tout simplement car une réglementation prévoit le blocage automatique des échanges pendant 15 minutes si l'indice CSI300 chute de 5 % après l'ouverture, et pour toute la journée s'il s'affaisse de 7 %. Cette mesure fait suite aux à-coups enregistrés sur les marchés boursiers du pays pendant l'été. Or, dès cette première journée, les cours ont atteint ces paliers fatidiques. Une situation qui témoigne du difficile redressement économique après une année 2015 marquée par une bourse en crise et par une croissance au plus bas depuis 25 ans. Après des décennies à plus de 10 %, le PIB chinois n'a progressé, au troisième trimestre de l'année dernière, "que" de 6,9 %.
De quoi inquiéter le monde économique, mais aussi laisser présager certaines opportunités pour les entreprises et PME françaises. Car face à ce ralentissement, le pays amorce un virage économique qui ouvre de nouvelles voies aux relations commerciales avec l'empire du Milieu. D'abord, il survient à l'aube du 13e plan quinquennal du Parti communiste chinois, dévoilé en octobre et portant sur la période 2016-2020. Le président Xi Jinping y assure sa volonté de faire évoluer le pays vers plus de consommation et de services.
Vers plus d'innovation et de consommation
Or, qui dit consommation dit débouchés pour les entreprises françaises du luxe, du lifestyle et de la culture, qui bénéficient de l'image positive de la marque France. Au-delà de ces secteurs, "la crise ouvre beaucoup de possibilités pour nos entreprises à forte valeur ajoutée" , estime Éric Tainsh, de la direction Export de Bpifrance. "La montée en gamme de l'économie chinoise devra nécessairement passer par plus d'innovation dans de nombreux secteurs, notamment la santé ou les technologies sur les smart cities, par exemple. Cela aura un impact positif sur les PME françaises à même de se positionner, seules ou en coopération avec d'autres PME européennes" , ajoute Karine Lisbonne-de Vergeron, directrice Europe du Global Policy Institute.
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Sans oublier le secteur industriel dans lequel les entreprises ont également une carte à jouer. Dans un pays bien décidé à s'affranchir de son image "d'atelier du monde" et confronté à des niveaux de salaire croissants, l'industrie de main-d'oeuvre laisse progressivement place aux usines du futur, où le savoir-faire français a toute sa place en termes de robotisation, d'automatisation, de supply chain, d'amélioration des flux et d'optimisation de la productivité.
Des besoins croissants dans les services
Encore plus, c'est dans les services que les opportunités d'affaires explosent. Pour compenser le fléchissement de la demande, les entreprises chinoises investissent massivement dans le marketing pour faire émerger et asseoir leur image de marque. "Par exemple, une agence comme Fred & Farid, installée en Chine, a pu pleinement bénéficier de ces nouveaux besoins générés par la crise" , cite Éric Tainsh.
Et le déclin de l'image manufacturière de l'entreprise chinoise s'accompagne d'un transfert vers le GAFA chinois : le BAT. Entendez les trois géants digitaux du pays : Baidu, Alibaba, Tencent. Avec 50 % de la population présente sur Internet, soit 700 millions de personnes qui surfent, achètent en ligne et sur mobile, ou interagissent sur les réseaux sociaux, les opportunités pour les entreprises spécialistes du business en ligne sont pléthore.
3 questions à Jean-Pierre Raffarin
Peut-on s'attendre à un ralentissement des investissements chinois dans les entreprises locales et à un report vers les entreprises occidentales, françaises en particulier ?
J.-P.R. : Les investissements chinois vont s'accélérer en Europe. C'est à la fois une stratégie de l'État annoncée par Xi Jinping, mais c'est aussi une stratégie personnelle pour les entrepreneurs particulièrement fortunés. Les entreprises européennes sont directement concernées, notamment les ETI à fortes capacités technologiques et les PME possédant des marques à haut potentiel. En Europe sur les dix prochaines années, on peut s'attendre à un rythme annuel de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Et la crise boursière accélère ce flux plutôt qu'elle ne le ralentit.
Le président Xi Jinping affirme vouloir engager son pays vers plus d'innovation. Quels impacts positifs peut avoir cette politique pour les PME françaises ?
La Chine fait de l'innovation sa première priorité économique. Elle compte avant tout sur l'intelligence ajoutée. Toutes les villes, petites ou immenses, multiplient les pôles de compétitivité et de compétences partagées. Il est nécessaire de mixer davantage nos équipes, nous avons passé le stade où nous avons autant à apprendre des Chinois qu'eux ont à apprendre de nous. Un jour, le Premier ministre chinois m'a dit : " N'ayez pas peur de nous, nous sommes aussi intelligents que vous mais nous travaillons plus. " Dans une PME française, un jeune ingénieur chinois, c'est aussi un atout pour créer de la valeur chez nous.
Les plus grands freins à la présence des entreprises françaises en Chine sont les contraintes réglementaires et administratives. Dans quelle mesure le ralentissement de la croissance chinoise peut-il renforcer la volonté d'harmoniser ces rapports ?
Il est vrai que le ralentissement de la croissance chinoise peut présenter pour nos PME quelques opportunités. En effet, il correspond aussi à une réorientation de la croissance vers une économie plus inclusive et plus qualitative. Des secteurs comme les technologies environnementales, les villes intelligentes, les diverses prestations sociales (vieillesse, santé, retraites) ou la sécurité alimentaire sont relativement ouverts aux étrangers. Même avec une croissance ralentie, la Chine reste le principal moteur économique du monde. Notre intérêt reste de bâtir avec elle les meilleurs partenariats possibles. L'avantage que nous attendons, c'est la réciprocité.
Les matières premières en chute
La crise ne profite pas qu'aux PME implantées en Chine. Dans l'Hexagone aussi, les répercussions se font sentir. Avec le ralentissement de la croissance chinoise et les mouvements boursiers de ces derniers mois, le prix des matières premières énergétiques, industrielles, agricoles et minérales a baissé considérablement. D'après l'Insee, le cours des matières premières industrielles a ainsi chuté de 12 % et le cours des métaux non ferreux de 13,9 % sur l'année 2015.
La raison? En absorbant à elle seule près de 45% de la production mondiale de métaux industriels, 60% de la production de ciment et 17% de la production mondiale de blé, la Chine est, en termes de demande, le déterminant-clé des marchés de matières premières. Ce phénomène, initié par la chute du prix du pétrole et accéléré par le krach de la Bourse de Shanghai, se traduit par un transfert de pouvoir d'achat vers les pays importateurs en matières premières, en particulier les États européens et la France.
Voici donc un appel d'air important pour la consommation dont les entreprises françaises peuvent tirer profit, en France et sur l'ensemble du marché européen. "De plus, les acheteurs y gagnent car c'est un moment où ils bénéficient d'une baisse de leurs coûts de production et donc d'un avantage certain en termes de compétitivité" , assure Nathalie Janson, économiste et enseignant-chercheur de Neoma business school.
Plus d'investissements chinois vers l'Europe
Du côté des investissements aussi la crise chinoise fait bouger les lignes, mais les plus gros effets restent encore à venir. "On doit s'attendre à ce que la situation économique et boursière chinoise actuelle modifie le type d'investissement et la répartition en mettant davantage l'accent sur le renforcement de la consommation interne, et donc de nouveaux vecteurs de croissance économique" , indique Karine Lisbonne-de Vergeron. Ce phénomène devrait profiter à une nouvelle vague d'investissements sur le marché chinois dans les secteurs des nouvelles technologies, des produits de consommation, du luxe, et à terme plus généralement des services. Et ainsi bénéficier aux PME positionnées sur ces offres.
Parallèlement, la chute de la rentabilité du capital dans le pays intensifie les investissements chinois en Europe. Ils ont ainsi doublé en 2014 pour atteindre 18 milliards de dollars, selon les chiffres du cabinet Baker&McKenzie de février 2015. De même, à l'échelle des particuliers, les épargnants, à la recherche de placement de plus en plus sûrs, délaissent le marché domestique de l'immobilier au profit de l'Europe et de ses entreprises.
Les bases d'un traité bilatéral sino-européen
Or, cette meilleure réciprocité en termes d'investissements est un enjeu essentiel pour les intérêts économiques sino-européens, et par là pour le projet de traité bilatéral entre l'Union et la Chine, dont les négociations ont été initiées en 2014. De plus, le ralentissement de la croissance chinoise devrait favoriser ces pourparlers en faveur de l'Europe et garantir un contexte concurrentiel plus homogène.
L'objectif : réduire, voire supprimer, les contraintes à l'investissement et l'accès au marché chinois qui persistent dans certains secteurs. Avec à la clé des avantages pour les entreprises françaises présentes sur ce marché ou celles qui souhaitent s'y développer. Si rien n'est encore joué, les prochaines années s'annoncent riches en promesses pour nos PME.
Le témoignage d'Arnaud Monnier, président d'Altima
"Nous développons sans cesse de nouvelles offres"
"En Chine, la France a une certaine cote d'amour. C'est vrai dans le luxe, mais aussi dans le numérique", remarque Arnaud Monnier, président de l'agence Altima, spécialiste du commerce digital. Présent en Chine depuis quatre ans, via deux bureaux installés à Pékin et Shanghai, il est en première ligne des évolutions fortes du secteur dans le pays. "L'économie chinoise se transforme et évolue vers de plus en plus de tertiaire. Là où ça a pris 25 ans chez nous, les transformations prennent cinq ans en Chine", constate-t-il. Or, c'est bien là qu'il a une carte à jouer car il fait face à une demande déjà étrennée sur nos marchés, plus matures.
"On a un vrai savoir-faire, mais ces évolutions très rapides rendent nos clients très exigeants et nous poussent à être agiles, à recruter et à former des nouveaux collaborateurs, et à développer sans cesse de nouvelles offres." Résultat : de 20 consultants dans leurs bureaux chinois, ils sont passés à 30 en 2015, et prévoient 20 nouvelles embauches cette année. Altima ouvrira une nouvelle antenne à Hong Kong d'ici juin, et compte ainsi presque doubler ses revenus en 2016, pour atteindre 2,75 M ¤ de marge brute réalisée sur le plus grand marché du monde. "C'est une accélération forte, équivalente à celle que nous avons connue début 2000 dans l'e-commerce en France."
Fiche repères:
Activité: Agence digitale
Ville: Roubaix (Nord)
Dirigeant: Arnaud Monnier, 43 ans
Forme juridique: SAS
Année de création: 1997
Effectif: 265 salariés
CA2015: 23 M€