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Industrie française : au croisement de l'innovation et de la souveraineté !

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Industrie française : au croisement de l'innovation et de la souveraineté !

Face aux défis d'une transformation numérique et écologique accélérée, l'industrie française se trouve à un tournant décisif. Entre innovation technologique, montée en compétences et enjeux éthiques liés à l'IA, les entreprises doivent agir rapidement pour ne pas se laisser distancer par la concurrence mondiale. Mais l'engagement financier et stratégique actuel est-il suffisant pour préparer les ETI et PME à cette révolution ? Eclairage de Salim Nassur, fondateur de maars.

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L'industrie française est-elle prête pour les prochaines étapes ? Les engagements sont-ils à la hauteur ?

L'industrie française est à un croisement stratégique. Les grandes entreprises ont déjà pris le virage de l'innovation technologique, mais les ETI et PME, qui constituent le coeur de notre économie, avancent à des vitesses très variées. Dans La Désindustrialisation de la France, Nicolas Dufourcq décrit bien les erreurs passées qui ont freiné notre souveraineté industrielle. Aujourd'hui, il est urgent d'agir pour ne pas répéter ces erreurs.

Les engagements publics sont louables : le Plan France Relance et les fonds européens montrent une réelle volonté d'accompagner cette transformation. Mais l'engagement ne doit pas être uniquement financier. Ce qui manque, c'est une vision stratégique partagée entre dirigeants et décideurs publics. La France a le potentiel, mais pour être prête, elle doit accélérer l'adoption de la technologie à tous les niveaux et investir dans la montée en compétences de ses talents.

Quels sont les axes stratégiques majeurs à prendre en considération aujourd'hui ? Est-il encore possible de sauver celles en risque de décrochage ?

Les axes stratégiques à privilégier aujourd'hui sont la numérisation, la durabilité, la collaboration et la formation des équipes, dirigeants compris. Les ETI doivent moderniser leurs infrastructures, intégrer des outils comme l'IA et repenser leurs chaînes de valeur pour les rendre plus durables et résilientes. La durabilité n'est plus une option, c'est une nécessité. Par ailleurs, la collaboration avec des startups, des universités ou d'autres entreprises reste essentielle pour accélérer l'innovation et mutualiser les risques.

Mais rien ne sera possible sans investir dans la formation. Les collaborateurs, comme les dirigeants, doivent développer les compétences nécessaires pour comprendre et exploiter pleinement ces nouvelles technologies. Une équipe bien formée, capable d'utiliser l'IA ou de mener des projets digitaux, devient un atout décisif.

Pour celles en risque de décrochage, il est encore temps d'agir, mais il faut aller vite. Cela commence par un diagnostic précis pour identifier les priorités et exploiter les aides disponibles, comme les subventions à la numérisation ou à l'innovation. Cela dit, il est essentiel de ne pas rester dépendant des aides. Les entreprises les plus résilientes avancent en mobilisant leurs ressources internes et en initiant des projets ciblés, comme l'automatisation ou la digitalisation d'une partie de leurs opérations. Ces petites victoires enclenchent souvent un cercle vertueux.

Comment est-ce que l'IA peut apporter à cette industrie si avide de productivité ?

L'IA est un accélérateur puissant de productivité. Elle permet de faire plus, plus vite, et souvent mieux. Prenez la maintenance prédictive : grâce à l'analyse des données, l'IA peut anticiper les pannes, réduire les arrêts et prolonger la durée de vie des équipements. Dans la logistique, l'IA optimise les chaînes d'approvisionnement en prévoyant les variations de la demande.

Mais son véritable atout est sa capacité à libérer les collaborateurs des tâches répétitives et à leur permettre de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée. Avec l'IA, ce n'est pas juste la productivité qui augmente, c'est la qualité globale du travail.

À quoi peut ressembler l'entrepôt connecté du futur ? Et quelles seront les limites de l'IA ?

L'entrepôt du futur sera un environnement entièrement connecté et automatisé. Les robots collaboratifs travailleront aux côtés des humains pour optimiser le tri, le stockage et l'expédition. Les capteurs IoT fourniront une vue en temps réel de l'inventaire, permettant de réduire les erreurs et les gaspillages. Et grâce à des jumeaux numériques, on pourra simuler différents scénarios pour maximiser l'efficacité.

Cependant, l'IA a ses limites. Elle dépend de la qualité des données qu'elle reçoit. Si les données sont incomplètes ou biaisées, les résultats le seront aussi. Par ailleurs, l'autonomie des systèmes pose des questions éthiques et de sécurité. L'humain doit rester au coeur de la prise de décision pour éviter des dérives.

L'UE travaille sur les premières réglementations sur le plan mondial visant à assurer la gouvernance de l'utilisation de l'IA dans 27 pays membres. Quelles seraient les dérives possibles (plus spécifiquement dans nos industries) ?

Je soutiens l'IA Act depuis son origine. Cette réglementation européenne vise à encadrer l'utilisation de l'intelligence artificielle pour assurer une gouvernance éthique et sécurisée dans les 27 pays membres. Les enjeux économiques et sociétaux liés à l'IA sont tels que nous ne pouvons laisser cette industrie se développer sans régulation, tout comme nous le faisons pour l'industrie pharmaceutique.

Dans le secteur industriel, plusieurs dérives potentielles de l'IA méritent notre attention. Les biais algorithmiques peuvent conduire à des décisions injustes ou à des pertes économiques. L'hyper-surveillance des employés, facilitée par l'IA, risque de créer un climat de méfiance au sein des équipes. De plus, une dépendance excessive aux systèmes automatisés sans plan de secours peut entraîner des interruptions massives. Nous l'avons récemment constaté lors de la panne mondiale de Microsoft, causée par une mise à jour défectueuse du logiciel de sécurité de CrowdStrike, qui a paralysé de nombreuses infrastructures critiques.

Il est donc crucial d'établir une gouvernance forte et transparente pour encadrer ces risques, tout en permettant aux entreprises de continuer à innover et à expérimenter.

Même si l'IA crée de l'innovation et de la valeur pour les organisations du monde entier, elle doit nécessairement être utilisée pour le bien de l'humanité. Pensez-vous que ce soit aujourd'hui le cas ?

Pas toujours. L'IA peut être un formidable levier pour améliorer la santé, réduire les émissions de carbone ou éduquer les populations. Mais elle peut aussi être utilisée de manière abusive, par exemple pour manipuler des comportements ou surveiller excessivement. C'est très exactement pour ces raisons qu'il est impératif de mettre en place des réglementations au niveau mondial.

Ce qui manque souvent dans les organisations, c'est un cadre éthique solide et partagé. L'IA n'est qu'un outil ; c'est à nous de décider comment l'utiliser. Je suis convaincu que les entreprises ont un rôle clé à jouer ici : elles doivent adopter des pratiques transparentes et mettre l'humain au coeur de leur stratégie IA.

À quels types de challenges pensez-vous que nous aurons à faire face ? Des challenges moraux ? Humains ? Économiques ?

Nous allons effectivement affronter ces trois types de challenges. Moral, d'abord, car l'IA doit être utilisée de manière responsable et transparente, avec un souci constant de ne pas nuire aux individus ou de biaiser les processus décisionnels. Humain, ensuite, parce que la transformation digitale bouleverse profondément les habitudes de travail et suscite des peurs légitimes, notamment liées à l'évolution des rôles et à la sécurité de l'emploi. Enfin, économique, car les entreprises devront investir massivement, non seulement dans la technologie elle-même, mais aussi dans la formation, les infrastructures et la montée en compétences, pour rester compétitives.

Ces défis peuvent sembler intimidants, mais ils sont loin d'être insurmontables. Ce sont des sujets sur lesquels j'échange régulièrement avec des dirigeants, comme récemment avec Olivier Lange, Directeur général de SEEB Automation, un acteur clé des solutions industrielles automatisées. Olivier est pleinement conscient de ces challenges et incarne parfaitement la devise de son groupe : "Valoriser l'humain et le process." Une phrase qui résume bien ce que doivent faire toutes les entreprises face à ces transformations. Car oui, la technologie est un levier puissant, mais elle doit être mise au service de l'humain, et non l'inverse.

Avec une approche claire, une vision partagée et des actions coordonnées, ces défis peuvent devenir des opportunités. L'IA peut non seulement transformer nos entreprises, mais aussi les rendre plus humaines, plus durables et mieux adaptées aux exigences d'un monde en mutation.

Quid de son impact inévitable sur les emplois ?

L'IA va-t-elle signer la fin du travail humain ? Pas du tout. Mais elle bouleversera nos métiers comme jamais auparavant. Oui, certains emplois disparaîtront, surtout ceux axés sur des tâches répétitives ou standardisées, mais d'autres apparaîtront. Des métiers liés à la gestion des données, à la cybersécurité ou à la conception d'outils d'IA prennent déjà de l'ampleur. Cependant, il reste difficile de prédire si ces créations compenseront totalement les destructions. Ce que l'on sait avec certitude, c'est que la technologie progresse à une vitesse fulgurante, et que le meilleur moyen de ne pas se faire disrupter par la machine est d'investir dans le développement de nos compétences humaines.

Ce que j'explique souvent aux dirigeants d'ETI, c'est qu'il faut adopter un Growth Mindset, cette capacité à apprendre et à évoluer, popularisée par Carol Dweck. Ce changement d'état d'esprit, qui encourage à voir chaque défi comme une opportunité d'apprentissage, est crucial pour faire face à cette transition. Pour les entreprises, cela signifie miser autant sur le développement des soft skills - comme la créativité, la collaboration, la pensée critique et l'intelligence émotionnelle - que sur la maîtrise des outils technologiques.

Prenons un exemple concret : un opérateur sur une ligne de production automatisée. Avec l'intégration de l'IA, son rôle pourrait évoluer. Il passera d'un travail répétitif à un rôle de superviseur, où il analysera les données générées par la machine et optimisera les processus. Ce qui était une tâche physique devient un métier valorisant, centré sur l'analyse et la prise de décision.

Pour réussir cette transition, les entreprises doivent investir dans la formation continue. Il est impératif de soutenir les collaborateurs les plus anciens pour qu'ils montent en compétences et restent compétitifs. Parallèlement, elles doivent attirer les nouvelles générations, comme la génération Z, en leur offrant des environnements de travail modernes et stimulants, où innovation et développement personnel sont au coeur des priorités.

En somme, l'IA ne remplace pas les humains, mais elle redéfinit les compétences nécessaires pour rester pertinent. Le vrai défi, pour les entreprises comme pour les collaborateurs, est de se préparer à cette évolution. Les entreprises qui sauront transformer leurs équipes en "collaborateurs augmentés" - armés de technologie mais portés par des compétences humaines uniques - seront les grandes gagnantes de cette révolution.

Les industries françaises ont-t-elles à rougir de leur position sur la scène internationale ?

La France n'a pas à rougir, mais elle doit réagir. Nous sommes leaders dans des secteurs stratégiques comme l'aéronautique, le luxe et les énergies renouvelables. Nous avons des talents de classe mondiale, une créativité reconnue et un écosystème industriel riche. Mais ces atouts ne suffiront pas à garantir notre compétitivité si nous ne prenons pas conscience, rapidement, des enjeux liés à l'IA et aux conséquences de l'inaction.

L'IA n'est pas un "bonus" technologique : c'est un levier incontournable pour répondre aux défis de demain, qu'ils soient économiques, environnementaux ou sociaux. Chaque retard pris dans son adoption accentue l'écart avec des pays comme les États-Unis ou la Chine, qui investissent massivement pour façonner l'industrie de demain. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester spectateurs.

Pour garder notre avance dans certains domaines et rattraper notre retard dans d'autres, il faut impérativement former, et vite. Cela concerne tous les collaborateurs, de l'opérateur en atelier au comité de direction. La formation doit être massive et rapide, et aller au-delà des outils techniques. Il faut aussi renforcer les soft skills, comme la créativité, la résolution de problèmes complexes ou l'intelligence émotionnelle. Ces compétences, intrinsèquement humaines, compléteront la technologie et permettront à nos équipes de tirer parti de l'IA de manière optimale.

Enfin, il faut une audace collective pour accélérer. Trop souvent, nous adoptons une posture d'attentisme, en attendant des signaux externes ou des aides de l'État. Certes, des dispositifs d'accompagnement existent, mais l'innovation ne peut pas dépendre uniquement de subventions. Elle exige du courage, des expérimentations et une volonté forte de faire bouger les lignes. Par exemple, dans l'aéronautique, imaginez le potentiel de l'IA combinée aux jumeaux numériques pour optimiser les chaînes de production et réduire les déchets. Ce type d'approche audacieuse pourrait faire de la France un modèle à suivre, non seulement en Europe, mais aussi à l'échelle mondiale.

La France a tout pour réussir : des talents, un écosystème innovant et des secteurs d'excellence. Mais l'avenir appartient à ceux qui agissent. Si nous relevons ces défis avec ambition, nous ne serons pas seulement compétitifs demain, nous deviendrons des leaders dans une industrie réinventée.


Fondateur de maars, conférencier et ex-Directeur Marketing de Google Cloud, Salime Nassur est avant tout un passionné de l'impact des nouvelles technologies sur le monde de l'entreprise, et du bien-être au travail. Il intervient régulièrement auprès des dirigeants d'entreprises, en expert en conduite du changement (Digital | People | Business) pour partager son expertise, faire bouger les lignes et inspirer.



 
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