Moins de 30 ans et déjà entrepreneurs
Qu'ils se voient serial entrepreneur ou chef de PME, les moins de 30 ans s'engagent dans des activités pour répondre à des problématiques sociétales ou environnementales. Ils prennent les commandes avec force et dynamisme.
Je m'abonneÀ 20 ans, Jules Simiand-Brocherie a fait parler de lui en entrant comme benjamin dans le classement "30 under 30" 2022 du magazine Forbes... Il dirige ExtraStudent, société fondée en 2021, qui édite un réseau social de partage scolaire et emploie cinq salariés. Le jeune homme qui a mûri son projet sur les bancs de l'école - il avait lancé la plateforme "Élèves solidaires" pendant le premier confinement - réussit à développer la base d'abonnés de son application mobile sans consentir d'investissements marketing.
« C'est révélateur de l'intérêt suscité », se réjouit-il. Il base son modèle économique sur la commercialisation de la data qualifiée collectée, la vente d'abonnements aux écoles et un concept de salon de l'orientation digital. Objectif ? « Réunir 1,5 million d'users fin 2024. Pour y parvenir, nous levons des fonds afin de recruter deux commerciaux, un développeur et un CMO », indique l'entrepreneur en herbe.
« Assez souvent, les étudiants en entrepreneuriat pensent à des concepts qui s'adressent à leurs pairs, nous les incitons à élargir le spectre », constate pour sa part Pascal Corbel, chargé de mission pour l'entrepreneuriat étudiant, professeur à l'université de Paris Saclay. C'est pendant sa formation qu'Alexandre Guenoun, 24 ans, a l'idée de développer Jobamax, le Tinder de l'emploi, dédié à la génération Z. « Je regardais mes amis naviguer sur Tinder avec sourire et décontraction, et je voyais bien que les autres, à la recherche d'emplois et de stages, surfaient sur les sites de recrutement avec peine, et peu de plaisir ! Pourtant l'équation est la même : aider deux parties à se trouver, à se découvrir et à s'entendre », confiera-t-il plus tard.
Entre temps, il rejoint HEC puis Cornell University et Yale pour acquérir les compétences nécessaires à la création de sa start-up, lancée en avril 2022. Un an plus tard, elle compte plus de 100 000 utilisateurs et emploie 12 salariés.
Un engagement RSE
L'autre grande thématique qui anime les vingtenaires concerne « l'environnement et plus globalement l'impact », note Pascal Corbel. Depuis une dizaine d'années, confirme Dominique Restino, président du groupe Twoo et fondateur du Moovjee (réseau d'accompagnement des jeunes et des étudiants dont le prix est ouvert aux 18-30 ans), « les jeunes s'intéressent aux thématiques d'impact, de care, de partage, l'engagement prend le pas ».
Le digital n'est plus un sujet tant il est intégré. Encore lycéenne, Lena Crolot, aujourd'hui âgée de 22 ans, réalise l'absurdité des tickets de caisse délivrés aux clients. « J'ai vu une dame recevoir un ticket de caisse de 50 cm de long pour l'achat d'un petit porte-clés. Je me suis dit qu'il fallait trouver une solution à tout ce gâchis. » Elle garde l'idée en tête, puis en parle à Ruben Raymond Kahloun, 24 ans, lorsqu'ils sont en troisième année à New York University. « Nous avons commencé à travailler ensemble sur le projet malgré les confinements, très vite, nous avons été rejoints par David El Malih (26 ans), un ami d'enfance de Ruben, qui venait de finir Centrale Supélec, puis nous avons intégré différents incubateurs comme La Ruche et Station F, ce qui nous a grandement aidés à lancer Billiv, ticket green et 100 % digital », témoigne Lena.
Billiv, créée en 2020, procède à une première levée de fonds deux ans plus tard (1,3 millions d'euros) auprès du fonds d'investissement à impact Astérion et emploie 13 personnes. « Nous avons aujourd'hui plus de 400 clients en France métropolitaine, à la Réunion, en Guadeloupe et en Suisse », assure sa dirigeante. Joseph Choueifaty, 25 ans, s'est lancé dans un tout autre domaine, la finance, constatant l'accumulation de l'épargne des Français pendant la crise sanitaire et surtout le fait qu'elle était mal investie. « De nombreux rapports de Reclaim Finance ou de Carbon4 Finance montraient que l'épargne reste massivement investie dans les énergies fossiles et que la finance n'a pas pris la mesure de l'urgence climatique », déclare-t-il.
Il décide de créer Goodvest en septembre 2021. 18 mois plus tard, Goodvest, l'assurance vie distribuée par la fintech éponyme, entreprise à mission, peut se targuer d'avoir collecté 25 millions d'euros et de compter 3 000 clients. Et ce n'est qu'un début. « 400 clients nous rejoignent chaque mois, nos équipes - une vingtaine de collaborateurs - font un travail formidable », salue ce dirigeant.
Réaliser un rêve
Développeur dès l'âge de 14 ans, Quentin Rozados, CEO de Sinao (logiciel Saas de comptabilité pour les TPE) et de Forgez (product studio), se voit déjà comme un serial entrepreneur plutôt que comme chef de PME. « J'aime être moteur du projet, ce qui m'amuse vraiment, c'est créer une machine et la mettre sur les rails, la partie management pur m'intéresse beaucoup moins que la création, c'est pourquoi je m'efforce de ne pas représenter l'homme clé de l'entreprise », avoue-t-il.
Dans leur ensemble, les jeunes seraient « très axés sur la créativité et beaucoup moins sur la gestion d'entreprise et la négociation », s'étonne Laurence Tassone, responsable de l'Observatoire de la création d'entreprise de Bpifrance Création. Si la question du revenu n'est pas la principale motivation des 18-30 ans à devenir chef d'entreprise, elle représente néanmoins la principale difficulté. « Les jeunes chefs d'entreprise souhaitent d'abord réaliser un rêve (29 %), affronter de nouveaux défis (19 %) ou être leur propre patron (19 %). L'augmentation des revenus ou du capital, qui arrive en deuxième place dans les motivations des chefs d'entreprise tous âges confondus, occupe seulement la cinquième position (18 %) chez les jeunes, ex æquo avec le souhait de changer de métier », remarque Laurence Tassone d'après les chiffres de l'IEF 2021 (1).
Assez paradoxalement, poursuit-elle, « autant l'attrait du revenu ne représente plus la motivation principale, autant l'insécurité financière devient la plus grande crainte ». Les freins suivants étant le risque d'échec (très présent dans l'esprit des intentionnistes avec 28 %), mais qui est remplacé par la crainte d'un certain manque de crédibilité chez les porteurs de projet (19 %) et d'un excès de responsabilités chez les patrons (16 %).
Du haut de ses 20 ans, Jules Simiand-Brocherie minimise les risques. « Je commence à vivre de mon activité », glisse celui qui a arrêté ses études faute de pouvoir concilier deux rythmes de vie. « La vingtaine est la meilleure période pour entreprendre, car la pression financière n'est pas trop importante, nous sommes mentalement plus libres que les trentenaires pour donner du temps au projet », affirme-t-il.
En construction, les jeunes sont aussi plus perméables. « J'ai quatre mentors qui m'aident de façon régulière, ils m'apportent leurs retours d'expérience sur chaque situation que je m'apprête à vivre, ils m'apprennent à m'organiser, je les consulte systématiquement avant de réagir à une problématique, enfin ils m'orientent vers les bons partenaires », ajoute le dirigeant d'ExtraStudent.
De nombreux accompagnements
En France, l'écosystème est en place pour soutenir les jeunes dans leur démarche entrepreneuriale, ce qui explique en partie leur engouement. La bataille de la sensibilisation à la création d'entreprise semble avoir été gagnée. « Nous mobilisons le collectif Cap Créa qui réunit 26 réseaux d'accompagnement partenaires de Bpifrance. Présents sur l'ensemble du territoire avec près de 3 000 implantations, en métropole et en outre-mer, ces réseaux ont sensibilisé 476 000 personnes en 2022 dont 190 000 jeunes », rappelle Marie-Adeline Peix, directrice exécutive en charge de Bpifrance Création. Au premier semestre 2022, plus de 37 000 porteurs de projet ont été accompagnés par des actions de sensibilisation, d'accompagnement pré et postcréation, de financement, d'accélération ou encore de reprise.
L'objectif de Cap Créa est de doubler d'ici cinq ans le nombre de créations d'entreprises accompagnées pérennes, génératrices de valeur ajoutée, d'impact et d'emploi. Avec un chantier à ouvrir dans les Quartiers prioritaires de la politique de la ville car, alors que près d'un cinquième des jeunes est intentionniste en France, leur proportion passe à un quart parmi les jeunes résidant en QPV.
Mon intérêt pour l'économie circulaire et ma curiosité intellectuelle m'ont encouragé » Yacine Kabeche, CEO de Circul'Egg
En 2023, Yacine Kabeche, ingénieur diplômé d'AgroParisTech, 28 ans, qui a lancé une activité de valorisation des coquilles d'oeufs, entend passer à l'échelle industrielle en ouvrant un premier site près de Rennes. Le procédé, breveté en 2021, consiste à décontaminer, broyer et séparer la coquille externe de la membrane interne, afin de produire de la poudre de coquilles riche en carbonate de calcium et de la poudre de membranes (source de protéines et contenant plusieurs substances comme le collagène, l'acide hyaluronique, etc.) Sa stratégie : "Ouvrir le site de production et commercialiser nos produits auprès des 130 clients qui nous attendent", confie-t-il.
Avec notamment trois débouchés : l'alimentation animale, la cosmétique et la nutraceutique. Environ 40 000 tonnes de coquilles d'oeuf issues des casseries sont jetées chaque année, Circul'Egg y voit une véritable ressource. Yacine Kabeche veut également maîtriser l'impact environnemental de l'activité. "Nous prévoyons d'installer des modules compacts à la sortie des casseries afin d'implanter le process au plus près de son gisement et d'éviter le transport", précise-t-il.
Deux levées de fonds (2 millions d'euros en equity pur, 5 millions d'euros au total) financent les investissements et les recrutements nécessaires. Yacine a-t-il endossé le costume de chef d'entreprise ? "Aujourd'hui, oui, car l'aventure est passionnante, je commence à manager des managers, à déléguer, mais au départ je ne souhaitais pas forcément entreprendre, j'avais plutôt une casquette de scientifique, puis l'opportunité s'est présentée", répond-il. L'idée est née, suivant une approche un peu naïve, lors d'un week-end start-up auquel Yacine a participé alors qu'il était encore étudiant. L'activité a pris corps plus tard. "Mon intérêt pour l'économie circulaire et ma curiosité intellectuelle m'y ont encouragé".
Témoignages d'entrepreneurs de moins de 30 ans
Quentin Rozados, 26 ans, serial entrepreneur
Quentin Rozados a fondé Forgerz après avoir répondu à une demande spécifique d'un client de sa première start-up, Sinao (logiciel SaaS de comptabilité pour artisans et TPE), qui emploie 6 salariés. Ce pur autodidacte de 26 ans s'est plongé dans l'univers du gaming et du développement web dès son plus jeune âge, et a transformé cette passion en énergie entrepreneuriale. Il a fondé avec Julien Dussauge Forgerz en 2022, un "product studio" actuellement en plein développement (6 collaborateurs).
À 28 ans, William Simonin propulse l'assistant vocal Vivoka
Tel Tony Stark d'Iron Man et son assistant virtuel Jarvis, William Simonin rêve de créer son propre assistant vocal basé sur l'IA... 7 ans plus tard, il réussit à équiper des petits robots éducatifs (le modèle Miko à destination des enfants), des lunettes de réalité virtuelle et d'autres appareils. Eiffage, Thalès ou Suez font confiance à son entreprise qui emploie 35 personnes et recrute 13 nouveaux talents.
Ophélie Vanbremeersch, 23 ans, offre une seconde vie aux lunettes
Reconditionner les lunettes, telle est la mission de Lunettes Zac. Ophélie, CEO, a créé l'entreprise alors qu'elle était étudiante. À date, Zac emploie 8 salariés, a ouvert un point de vente à Lille, noué des partenariats avec 25 opticiens et vient de négocier des accords avec l'enseigne Écouter Voir (750 magasins). Zac réalise un CA de 120 000 euros en 2022 et cartonne en 2023.
Matthias Croset, 25 ans, implante des bornes de produits d'hygiène
Matthias Croset, CEO de MyNifty, lauréat du prix Pépite Île-de-France 2022, développe des mini-distributeurs connectés de produits d'hygiène (déodorants, sticks à lèvres, protections menstruelles, etc.) Ces bornes réfrigérées consomment peu et contiennent des produits durables. Fondée en 2022, My Nifty (4 collaborateurs) a déjà déployé sa solution chez 4 clients dont Station F et vise les 40 bornes installées fin 2023.