DossierFaut-il avoir peur d'ouvrir son capital ?
1 - Investisseurs : du mythe à la réalité
Les craintes des chefs d'entreprise face à l'ouverture de leur capital relèvent parfois de l'irrationnel. Si l'entrée d'un nouvel actionnaire, quel qu'il soit, suppose un certain nombre de contraintes, le jeu en vaut souvent la chandelle... Revue de détail.
Près des trois-quarts des PME de croissance sont restées indépendantes à 100 %, selon le panorama de l'évolution des PME depuis 10 ans, publié en juin 2012 par KPMG et la CGPME. "Elles ont une réticence à ouvrir leur capital et leurs dirigeants peuvent nourrir une certaine méfiance à l'égard d'investisseurs extérieurs", justifie l'étude. Peur de perdre leur indépendance, de devoir rendre des comptes à chaque prise de décision, de passer leur temps à faire des reportings et à répondre à des audits... Ces craintes sont-elles justifiées dans le cas d'un actionnaire minoritaire, par nature moins intrusif ?
Du côté des investisseurs en capital développement (la branche du capital investissement qui investit en minoritaire dans des entreprises matures), le prisme d'évaluation des risques est forcément différent : " Chacun peut avoir peur : les chefs d'entreprise d'ouvrir leur capital, et les investisseurs de miser leur argent dans une PME sur la base d'un business plan, nécessairement hypothétique dans le climat d'incertitude actuel. S'associer, c'est un acte de confiance réciproque ", fait remarquer Louis Godron, président de l'Association française des investisseurs pour la croissance (Afic), qui assure pourtant que les acteurs du capital développement ne versent pas dans la frilosité ambiante. Au cours des cinq dernières années, le capital-développement a fait progresser ses investissements en moyenne de 15 % en nombre d'entreprises et de 17,4 % en montants, d'après les statistiques publiées par l'association en novembre 2012. En 2011, ces investisseurs minoritaires ont injecté quelque 3 milliards d'euros dans le capital de près d'un millier d'entreprises, dont les deux tiers sont des PME de moins de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires et de moins de 100 salariés.
Un élan qui s'est toutefois essoufflé au premier semestre 2012, où les investissements du capital-développement ont reculé de 7 % en nombre d'entreprises et de 40 % en montants par rapport au premier semestre 2011. Ce fléchissement serait essentiellement dû au tarissement de la demande du côté des PME qui, en période de crise, et malgré les difficultés d'accès au financement, gèlent leur projet d'ouverture de capital.
Ouvrir ou non son capital : le prix de l'indépendance
" Les réticences face à la dilution qu'entraînerait une ouverture du capital sont amplifiées en période de crise ", souligne Fabienne Saugier, associée d'Aforge Finance, qui accompagne les entreprises familiales dans leurs opérations de haut de bilan. Or, pour saisir des opportunités de croissance, même ou surtout en période de crise, l'autofinancement et l'endettement ne suffisent pas. " Avec les restrictions liées aux normes prudentielles, les banques sont moins enclines à prêter à des entreprises sous-capitalisées et sont de plus en plus exigeantes sur les ratios d'endettement/ fonds propres pour accorder des crédits, mêmes à des PME à l'historique irréprochable, poursuit l'experte. Accueillir des investisseurs institutionnels à son capital est aussi un moyen de rassurer ses banquiers. "
Brider sa croissance pour rester seul détenteur de son capital ? Le prix de l'indépendance peut paraître cher payé, si on y réfléchit bien... " Quand on demande à quelqu'un de risquer son argent, on doit s'attendre à avoir des obligations. Si c'est une banque, on doit rembourser et si c'est du capital, on s'engage à être transparent : informer, partager la prise de décision et assurer la liquidité, prévient clairement Louis Godron (Afic). Ce mode de fonctionnement ne convient peut-être pas à tout le monde mais, ce qu'il faut savoir, c'est que cette proximité est un accélérateur de croissance et que beaucoup de success stories de ces dernières années ont été accompagnées par le capital-investissement. " Une étude publiée récemment par l'Afic montre que, trois ans après le premier investissement par une société de capital développement, les taux de croissance des entreprises sont significativement supérieurs par rapport à ceux des entreprises de l'échantillon témoin : croissance multipliée par 1,42 pour l'effectif et par 1,65 pour le chiffre d'affaires. La vraie question à se poser en l'occurrence est la suivante : est-ce que je préfère avoir 100 % d'une entreprise qui vaut 100 (et qui ne vaudra guère plus), ou 60 % d'une entreprise qui pourrait bien valoir 200 dans cinq ans ?
Ouverture du capital : les instruments anti dilution
Vous avez tout de même peur d'être progressivement dilué dans le capital de votre entreprise ? Sachez que la segmentation est généralement claire entre investisseurs minoritaires et majoritaires. Les premiers, même s'ils souhaitent être des "minoritaires significatifs" pour peser sur certaines prises de décision, demandent rarement à passer dans le camp des majoritaires... Ce n'est pas le même métier. " Les investisseurs minoritaires sont très attentifs à préserver la motivation du dirigeant dont dépend la réussite opérationnelle de l'entreprise (et in fine la rentabilité de leur investissement), rappelle Fabienne Saugier (Aforge Finance). Ils veillent donc, naturellement, à ne pas trop diluer le ou les hommes-clés de leur participation et préfèrent utiliser tout un arsenal d'instruments financiers pour panacher leur investissement entre capital et quasi fonds propres. "
Ainsi, la plupart des investisseurs apportent une partie de leur mise en obligations convertibles, avec des mécaniques de conversion souvent exerçables à la sortie de l'investisseur, ce qui limite mécaniquement sa participation au capital. Vous disposez aussi de quelques instruments de "relution" qui vous permettent de remonter au capital de votre entreprise, comme les BSPCE (bons de souscription de parts de créateur d'entreprise) qui fonctionnent sur le même principe que les bons de souscription d'actions. Ils permettent au dirigeant qui en bénéficie de les transformer en actions, le moment opportun, à un prix fixé au départ.
Ça y est, vous êtes psychologiquement prêt à ne plus être le seul (avec votre conjoint, cousin, enfant ou meilleur ami) à détenir 100 % du capital de votre entreprise... Oui, mais jusqu'à quelle hauteur êtes-vous prêt à opérer une ouverture en dehors du cercle des intimes ? 10 %, 25 %, 33 %, 49 %... Évidemment, cette part est proportionnelle aux montants que vous souhaitez lever : jusqu'à quelques centaines de milliers d'euros, vous pourrez faire appel à des business angels, des structures de capital investissement régional ou des gestionnaires de Fip (Fonds d'investissement de proximité), voire des individuels assujettis à l'ISF en quête de défiscalisation. Vous pourrez aisément les cantonner à la détention d'un petit pourcentage de votre capital, excédant rarement les 10 %, et oublier ces "sleeping partners" qui ne s'immisceront probablement jamais dans la vie de votre entreprise... C'est ce qui s'appelle entrouvrir son capital. L'opération est quasi indolore, mais son apport est limité. Et si vos ambitions de croissance appellent une nouvelle augmentation de capital, ces investisseurs aux poches serrées ne pourront pas renouveler leur mise et il vous faudra repartir à la recherche de nouveaux actionnaires avec le risque, cette fois-ci, de vous retrouver avec un millefeuille actionnarial complexe. En revanche, si vous souhaitez lever des montants plus importants et que vous ciblez des investisseurs qui misent des tickets supérieurs à 500 000 euros, il faudra être prêt à concéder plus de 25 % du capital.
Slideshare : La levée de fonds du capital investissement
La Levée de fond du Capital investissement from BIC Provence