Les pistes évoquées pour déployer le design dans les entreprises
Le design, un levier de compétitivité ? C'est ce qu'estime en tous cas le gouvernement, qui a confié à Alain Cadix une mission sur le design, en juin 2013. L'expert a remis son rapport le 15 octobre aux ministres du Redressement productif et de la Culture. Interview.
Je m'abonneRéactualisé le 15 octobre 2013 - Faire de la France le leader incontesté du design à l'échelle mondiale. Telle est l'ambition du gouvernement. Pour ce faire, la mission Design menée par Alain Cadix, a rendu public son mémoire de préconisations sur la question, le 15 octobre 2013, lors de la deuxième édition du Rendez-vous du design, à Paris.
Intitulé "Pour une politique nationale de design", le rapport a été élaboré par un collège de designers. Il préconise, plusieurs actions clés pour faire du design un outil de redressement productif et de compétitivité pour l'Hexagone.
Parmi les priorités, convaincre les chefs d'entreprises de l'intérêt de cette nouvelle approche transversale de conception des produits et services axée non seulement sur l'esthétisme mais aussi et surtout sur les usages.
Alors, quels leviers le gouvernement compte-t-il actionner pour insuffler cette culture du design auprès de l'écosystème français ? Chefdentreprise.com avait rencontré Alain Cadix, lors de l'Université 2013 de CCI France, organisée à Bordeaux les 19 et 20 septembre derniers, sur le thème "Envie d'industrie".
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Voici son interview sur ses travaux et les différentes pistes envisagées pour inciter les entreprises à considérer le design comme un levier de croissance :
Depuis début juin 2013, vous êtes en charge de la mission Design. Où en êtes-vous aujourd'hui ?
Alain Cadix : Nous avons d'ores et déjà établi plusieurs propositions concrètes visant à encourager l'utilisation du design en France. Je dois ensuite veiller à ce que les actions retenues soient mises en place sur la durée, avec un effort particulier déployé les quatre premières années.
L'une de vos missions consiste à renforcer la diffusion du design auprès des entreprises, pour qui l'un des principaux freins est avant tout d'ordre financier. Concrètement, que proposez-vous pour les inciter ?
A. C. : D'abord nous préconisons que, dès janvier 2014, les dépenses de design soient intégrées aux conditions d'éligibilité du CIR. De même, nous appuyons le fait que Bpifrance prenne en compte ces dépenses dans le cadre de l'attribution de ses aides à l'innovation. Nous souhaitons également intégrer un volet "design et usages" dans la grille de critères des appels à projets des collectivités publiques. Ces mesures ne changent pas radicalement la donne mais elles peuvent jouer un rôle incitatif auprès des dirigeants d'entreprise.
Ensuite, il faut que l'on pousse le design à l'échelle des territoires. Pour ce faire, appuyons-nous sur nos 71 pôles de compétitivité et nos 126 grappes d'entreprises en régions. Nous pourrions reproduire des expériences déjà menées par le passé. Par exemple, en 2011, lorsque j'étais à la tête de L'École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI, Les Ateliers), nous avions installé un designer en résidence à mi-temps dans un pôle de compétitivité de la région Paca durant six mois. Il informait les dirigeants, les accompagnait dans leurs projets et jouait un véritable rôle moteur pas seulement sur le plan esthétique mais dès la conception des produits et services.
Nous proposons aussi de mettre en place des plateformes de projets transversaux impliquant à la fois des étudiants designers, chercheurs, ingénieurs et manageurs afin de créer le plus tôt possible des passerelles entre ces différents univers.
Ces mesures semblent avant tout cibler les entreprises innovantes. Or, la majorité des TPE-PME françaises ne sont ni membres de pôles de compétitivité, ni éligibles au CIR ou aux aides de Bpifrance. Que proposez-vous pour soutenir celles qui, comme les petits commerces de proximité, n'ont pas les moyens d'investir dans le design pour se développer et se démarquer ?
A. C. : Les territoires ont un rôle essentiel à jouer pour ces TPE-PME. L'exemple des chèques design pour les commerçants mis en place par la Ville de Saint-Étienne et la région Rhône-Alpes en est l'illustration. Il est primordial que les chambres consulaires, les présidents d'agglomération, les présidents de région ou encore les maires aient cette prise de conscience-là. Qu'ils se servent du design comme d'un outil politique pour les entreprises de leur tissu local.
À terme, deux structures - Le Lieu du design à Paris et la Cité du design à Saint-Étienne - sont là pour accompagner sur cette voie les collectivités et les entreprises qui le souhaitent. Tout ne viendra pas de Paris. Beaucoup reste à mettre en oeuvre aussi et surtout en régions.
Dans les faits, peu de chefs d'entreprise considèrent aujourd'hui le design comme un levier de croissance. Quels sont vos arguments pour leur démontrer le contraire ?
A. C. : Pour un entrepreneur, miser sur le design est une prise de risque, on ne peut pas le nier. Un tel investissement est coûteux et il faut réussir à trouver le bon designer. Mais, comme il est amené à travailler sur beaucoup de projets, d'idées, de concepts, le designer détient un rôle pollinisateur clé.
En réalité, dans notre environnement tout ce que nous voyons, tout ce que nous touchons, voire même tout ce que nous entendons est un produit du design. Le designer peut dans ce cadre apporter aux dirigeants une extraordinaire ouverture, les guider vers une autre façon d'approcher leurs marchés et leurs usagers, une autre façon de penser, et donc, une autre façon de faire et d'innover. Sur le plan commercial, le design participe aussi à la promotion des ventes, en éveillant le désir du consommateur.
C'est une évolution culturelle profonde et structurelle qui s'engage actuellement, touchant l'ensemble des écosystèmes. Elle ne se limitera pas seulement à la relation chef d'entreprise-designer mais va aussi concerner l'Éducation nationale et l'Enseignement supérieur. Cette mutation va demander de la constance, des moyens, de la cohérence, et surtout, du temps.