"Je gère l'Olympique lyonnais comme une entreprise"
Président-fondateur de Cegid, leader en progiciels de gestion en mode cloud, Jean-Michel Aulas dirige depuis 29 ans l'Olympique lyonnais. Appliquant au football les recettes entrepreneuriales de Cegid, il a fait du club une entreprise dotée de son propre outil de production : le Stade des Lumières.
Je m'abonneChef d'Entreprise : Le match inaugural du Stade des Lumières s'est tenu le 9 janvier. Quelles sont vos premières impressions?
Jean-Michel Aulas: Concevoir pendant neuf ans un tel projet et le voir se réaliser, c'est déjà fantastique. Et quelle fierté de concrétiser ce que j'avais imaginé pour l'OL après l'avoir vu dans les grands autres clubs européens. Quelle émotion après des nuits d'angoisse, des mois d'incertitude et une énergie déployée incroyable!
Mais maintenant, on rentre dans la compétition. Nous devons, sur ce terrain, celui de l'infrastructure, être là aussi les plus performants. Nous avons tout fait pour. Ce stade est novateur à tout point de vue. Financé par des fonds privés exclusivement, il est entièrement numérisé, notamment avec la carte sans contact "My OL". Incroyablement polyvalent, il peut accueillir du foot, du rugby, des concerts et même du hockey sur glace.
Nous avons affirmé cette ambition, voire cet orgueil d'être les meilleurs, en créant autour un hôtel 3 étoiles, 15 000m2 de bureaux, un business center, la clinique du sport, un centre de remise en forme... C'est un ensemble unique !
Êtes-vous confiant sur sa rentabilité, notamment au vu des résultats sportifs de l'Olympique lyonnais?
Oui car, justement, ce stade vise à atténuer l'impact des scores du samedi soir ! Sa rentabilité dépend certes des performances du club résident, mais également de tous les services qu'il offre. Nous avons tablé sur un amortissement à 30, voire 35 ans, qui pourra effectivement être réduit si l'OL a des performances européennes fantastiques. Mais soyez certain que pour clore le business plan, les banquiers ont imaginé tous les pires scénarios possibles. J'ai même dû en signer un qui intégrait une descente de l'OL en deuxième division. Moi qui suis superstitieux, c'est une sacrée malédiction!
Aux sceptiques, je répondrai deux choses. Déjà qu'il ne faut pas oublier que le financial fair-play a très largement régulé le modèle. De 1,5 milliard d'euros de pertes dans le secteur, nous avons pratiquement atteint l'équilibre l'an passé. Et d'autre part que les 20 autres clubs européens propriétaires de leur stade affichent des taux de rentabilité exceptionnels.
Nous sommes très confiants. D'ailleurs, nous avons réalisé, sur le dernier match joué à guichets fermés, 25 % du CA annuel en billetterie dans l'ancien stade de Gerland. Et rien que pour le premier semestre 2016, aux onze matches de l'OL s'ajoutent six matches de l'Euro, deux de Coupe d'Europe de rugby, deux de Championnat d'Europe de football féminin, ainsi que le concert de Rihanna. Et ce n'est pas tout : le catering passe, sur un match, de 70 000 euros de marge dans l'ancien stade à 200 000 euros... Tandis que nous avons renforcé la dimension B?to?B en passant les places d'hospitalité, dont les prix sont moins encadrés que dans le B to C, de 1 800 à 6 000 euros.
Comment, en tant que chef d'entreprise, avez-vous vécu, au moment de l'inauguration du stade et donc à l'aboutissement d'un projet d'une très grande envergure, les instabilités liées à votre changement d'entraîneur (Hubert Fournier a été remplacé au pied levé par Bruno Génésio) et aux difficultés rencontrées par votre équipe suite à ses résultats?
J'évolue dans un métier à spirales, positives quand tout vous réussit... mais aussi négatives lorsque les choses commencent à aller mal. Je devais donc casser cette spirale négative. Ce qui implique déjà de composer avec l'environnement médiatique, en se munissant d'un compte Twitter efficace qui fasse contrepoids. Il faut aussi puiser dans son expérience pour trouver en interne les solutions.
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Notre chance, dans ce cas précis, c'était de prendre ce type de décisions avant une opportunité et un risque. Nous avons écrit, avec ce nouveau stade, une nouvelle page et, depuis, les résultats se sont améliorés. Nous sommes revenus à la sixième place du championnat à cette heure.
Mais j'ai l'habitude. Tandis que dans une entreprise traditionnelle une crise peut arriver dans le pire des cas tous les trois à cinq ans, dans le foot c'est toutes les semaines !
Vous dites qu'un club de foot se gère comme une entreprise. Quand vous avez récupéré l'OL, le club était criblé de dettes. Comment l'avez-vous transformé en un acteur incontournable du football français puis européen? Plus généralement, comment fait-on d'une entreprise en difficulté un leader de son marché?
Il faut admettre qu'aucun secteur n'échappe aux règles du marché, y compris le football professionnel. J'ai déposé une plainte contre l'État français à Bruxelles pour être introduit en Bourse, car les autres clubs européens avec qui l'OL était en concurrence pouvaient le faire.
Et même si, à l'époque, le club était une association, j'ai tout de suite essayé de trouver des parallèles avec le monde que je connaissais le mieux, celui de l'entreprise. Ce faisant, j'ai peut-être un peu anticipé le mouvement en France, mais je n'ai fait que suivre une évolution inéluctable.
Aux États-Unis, les clubs étaient déjà organisés comme des entreprises avec, notamment, des franchises. Puis le sport européen, et notamment le football, a suivi les mêmes règles. Aujourd'hui, on le constate encore : aucune profession, même dans des secteurs protégés, n'échappe aux règles de l'européanisation et de la mondialisation.
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Quelles sont les stratégies éprouvées chez Cegid que vous avez pu appliquer à l'OL?
Courir sur un terrain et développer des algorithmes ou des webservices dans le Cloud peut paraître différent... Et pourtant, les deux activités recherchent la performance, obéissent aux règles du marché et doivent être construites autour d'un modèle durable. D'ailleurs, les deux se rapprochent de plus en plus. En 1987, l'OL était une association. Aujourd'hui, le football professionnel est structuré en entreprises qui sont toutes des SA.
Lorsque j'ai lancé Cegid, non pas dans un garage mais dans une cave, notre métier consistait à écrire des programmes. Il est maintenant totalement différent. Et en passant de la licence au SaaS, nous nous sommes assuré des revenus récurrents.
C'est exactement le même objectif avec le Stade des Lumières. Le club devient une société d'investissement dans lequel il y a plusieurs équipes, l'une masculine, l'autre féminine, mais aussi une infrastructure permettant d'être moins dépendant des résultats et de créer une valeur ajoutée inédite. Nous avons rompu avec une longue tradition, celle des stades construits par l'État et les collectivités territoriales à des coûts très supérieurs aux règles du marché. La conséquence était alors que nous faisions toujours moins bien que les autres qui, eux, évoluaient dans un secteur concurrentiel normal avec des financements privés.
À l'inverse, quelles actions auriez-vous pu mener dans une entreprise comme Cegid qui ne sont pas envisageables dans un club de foot?
Ce qui est très différent, c'est la pression médiatique que l'on subit dans le football professionnel. Et qui peut avoir une incidence sur le management de sa structure. Pour reprendre la main, il faut non seulement faire oeuvre de crédibilité, mais également se servir des outils numériques. On m'a souvent raillé d'utiliser Twitter, mais il s'agit, dans la gestion d'un club de foot, du contrepoids indispensable à une presse monopolistique. J'en avais marre d'apprendre, en lisant le journal à 7?heures du matin, ce que je n'avais pas fait ou ce que j'aurais dû faire. Avec Twitter et mes centaines de milliers de "followers", je suis plus réactif que réactif!
L'autre grande différence que, justement, le Stade des Lumières tend à estomper, c'est la vision court-termiste du football. Cegid, leader français et mondial de 2 100 personnes, déploie une stratégie à long terme. C'est le même objectif avec l'OL Groupe qui, en devenant une grande entreprise, fera cette année fera près 200 millions de CA et qui a investi dans son propre outil de production, le stade.
Que répondez-vous à certains de vos détracteurs qui vous reprochent de faire du football business?
Que les temps ont changé et que celui de l'olympisme sans partenaire économique n'existe plus. Il n'y a plus d'ultramédiatisation et d'appétence pour des sports et des activités sans qu'il y ait, autour, une économie pérenne et durable.
Ils ont donc le droit de le croire, mais moi j'ai celui de penser qu'ils sont en retard et qu'ils ont raté le train de la compétition et de la mondialisation. À l'image d'une entreprise qui n'aurait pas compris que pour que les produits se développent, ils doivent être normalisés mondialement. Le foot, c'est exactement la même chose ! Et cela n'est pas incompatible avec l'émotion et l'enthousiasme que suscite le sport en général.
Vous travaillez en étroite collaboration avec les entraîneurs. Quelles sont, selon vous, les qualités d'un bon manager?
Quelle que soit la taille de l'entreprise, il doit être sur le terrain, avec ses clients et auprès de ceux qui font le produit, les chercheurs et les développeurs. Dans une époque de disruption et de raccourcissement des cycles, le manager doit trouver des projets très rapidement rentables. Le bon coach doit être agile donc, et doté d'une foi et d'une conviction permanentes.