Le contrat de génération : des ambitions sous contraintes
Le contrat de génération est la traduction d'une promesse de campagne de François Hollande pour favoriser l'embauche des jeunes et le maintien des seniors en activité. Il a été adopté en première lecture, le 23 janvier 2013 par l'Assemblée Nationale et par le Sénat, le 6 février 2013. Ces premiers effets sont attendus courant mars 2013.
Le contrat de génération a été conçu comme un instrument voué à stimuler le recrutement des jeunes et à préserver l’emploi des plus âgés. Pour y parvenir, il s’appuie sur deux leviers : tantôt il punit (c’est la fonctionnalité du « bâton »), tantôt il incite (c’est la fonctionnalité de la « carotte »).
La carotte et le bâton
Le contrat de génération comprend des mesures coercitives. Il s’inscrit ainsi dans la lignée des « pénalités sociales ». Les entreprises qui s’engagent sur une valeur sociétale singulière ne sont plus récompensées par le biais d’un dispositif incitatif. En revanche, celles qui, à l’inverse, ne s’engagent pas sur les différentes priorités sociétales sont sanctionnées. Ainsi, le contrat de génération crée une sanction financière de 1 % des gains et rémunérations plafonnée à 10 % du montant des allègements Fillon, en cas d’inactions intergénérationnelles pour les entreprises de plus de 50 salariés.
En parallèle, le contrat de génération comprend des mesures incitatives. Il renoue ainsi avec les dispositifs « d’allègements de charges ». Une aide financière est créée pour les entreprises de moins de 300 salariés qui mettraient en place la mixité générationnelle. Le versement sera assuré par Pôle Emploi. Le montant de cette aide n’est pas fixé par la loi. Le ministère indique qu’il s’agirait de 2 000 euros par an pendant trois ans pour le jeune, cumulés avec 2 000 euros par an pour le senior, jusqu’à ce que ce dernier soit éligible à sa retraite à taux plein.
Avec ce mixte incitatif et punitif, le contrat de génération est supposé générer 500 000 embauches ciblées en cinq ans. Sont spécialement concernés par cette politique de l’emploi, les jeunes de moins de 26 ans (30 ans en cas de handicap) et les seniors de plus de 57 ans (55 ans en cas de handicap). Mais ces ambitions ne sont pas sans contraintes. Celles-ci sont deux ordres : les contraintes administratives et les contraintes introspectives.
Les contraintes administratives en direction des TPE
Pour les entreprises de moins de 50 salariés, le contrat de génération n’emporte que peu d’obligations. La taille de l’entreprise ne nécessite pas de « radiographie » de la situation. Aussi, à partir du moment où un jeune est recruté et que l’entreprise comprend un senior dans ses rangs (ou inversement), elle est éligible à l’aide financière. Le chef d’entreprise travaillant seul peut être considéré comme senior.
Toutefois, si le dispositif se veut simple et efficace, les modalités d’obtention de l’aide ne le sont guère. Il appartient en effet à l’entreprise de constituer un dossier auprès de Pôle Emploi afin d’exposer sa situation en vue de bénéficier des aides. Si la formalité peut sembler dérisoire, on peut légitimement penser qu’elle engendrera des oublis, des traitements hors délais ou des allers-retours qui, in fine, rendront la procédure chronophage pour le dirigeant.
Sous ce rapport, on ne peut que regretter que le dispositif n’ait pas été simplifié à l’extrême. Il aurait sans doute été plus simple et plus efficace qu’à l’occasion d’un tel recrutement, l’entreprise puisse procéder, par exemple, à une imputation immédiate des 4 000 euros d’allègements sur ses déclarations Urssaf. Cela aurait eu le mérite de générer de la trésorerie pour l’entreprise et aurait, sans aucun doute, renforcé les élans de recours à ce dispositif. La confiance n’excluant pas le contrôle, l’Urssaf aurait pu procéder à un contrôle a posteriori comme elle le fait pour d’autres dispositifs comme la réduction Fillon.
Les contraintes introspectives en direction des PME
Pour les PME de plus de 50 salariés, le contrat de génération comporte des contraintes plus importantes. Les entreprises seront invitées à réaliser un diagnostic de situation intergénérationnel. Ce diagnostic devra respecter un contenu que le Ministère du Travail communiquera ultérieurement par décret. Il faudra donc que les entreprises réalisent une radiographie de la situation et que cette radiographie soit « réelle et sérieuse » car elle devra figurer en annexe de l’accord ou du plan d’action intergénérationnel.
La question est de savoir à qui les entreprises vont confier ces diagnostics : selon leur taille et leurs moyens, on peut imaginer que ce soit le chef d’entreprise, le DRH, ou un cabinet extérieur. Il faudra simplement ne pas oublier que le diagnostic sera le point d’ancrage de la politique intergénérationnel de l’entreprise. Une analyse erronée ou insuffisante pourra donc avoir des répercussions importantes en terme de coûts induits, conséquents ou afflictifs.
Une fois le diagnostic réalisé, les entreprises seront invitées à négocier un accord intergénérationnel et, à défaut, d’adopter un plan d’action. A ce titre, elles devront prendre des engagements en faveur de la formation et de l’insertion des jeunes, de l’emploi des salariés âgés et de la transmission des savoirs et des compétences. Les entreprises seront leurs propres maîtres. Elles fixeront leurs propres objectifs, les indicateurs chiffrés de référence et leurs grilles d’évaluation.
Une fois encore, les conséquences engendrées par un accord ou un plan d’action sous-évalués pourront être extrêmement contraignantes car le législateur a prévu un dispositif innovant : il conviendra d’évaluer les mesures entreprises et d’en formaliser le contenu chaque année. Cette évaluation devra être transmise à l’inspection du travail qui pourra ainsi procéder à un contrôle annuel. En cela, le dispositif intergénérationnel complète une lacune des obligations seniors nées en 2010 (dont le contenu et les effets n’étaient pas suivis). Autre parade notable : les aides de 4 000 euros ne seront allouées aux entreprises de 50 à 300 salariés qu’après que l’inspection du Travail ait validé l’accord ou le plan d’action ! Reste qu’une question se pose naturellement : quid des conséquences éventuelles des délais de traitement …
La carotte sera-t-elle suffisamment appétissante ?
Pour les entreprises de plus de 300 salariés, la question ne se pose pas car elles sont, par nature, non-éligibles au dispositif incitatif même si, pour autant, elles sont sous le coup du dispositif coercitif.
Pour les entreprises de 1 à 300 salariés les 4 000 euros d’aide seront-il suffisants ? Avec un SMIC à 1 430,22 euros bruts mensuels non chargés en 2013, les 4.000 euros d’aide représentent :
- Pour un senior et un jeune au SMIC, une diminution du coût du travail de 7,9 % ;
- Pour un senior à 2 500 euros bruts mensuels non chargés et un jeune au SMIC, une diminution du coût du travail de 5,8 %.
Ces montants sont significatifs en temps de crise. Mais pourront-ils à eux seuls être à l’origine de créations d’emplois directs ? Il semble que ces allègements du coût du travail ne puissent réellement profiter qu’aux entreprises ayant déjà planifié le recrutement d’un jeune ou d’un senior. Les pouvoirs publics voulaient éviter les effets d’aubaine mais en réalité, les aides associées au dispositif intergénérationnel ne sont pas suffisamment significatives pour créer de l’emploi.
Oscar Wilde considérait que « aujourd’hui les gens savent le prix de tout et ne connaissent la valeur de rien ». Il ne reste plus qu’à espérer qu’en dépit d’un prix peu attrayant, le jugement personnel des chefs d’entreprises et des recruteurs rejoindra celui de la majorité représentative pour que l’insertion pérenne des jeunes et le maintien dans l’emploi des seniors deviennent la priorité de tous.