Mohed Altrad: "Je suis un bâtisseur"
Vous encouragez à intégrer la passion dans la représentation de l'entreprise. Quelle est la vôtre?
Je sais que c'est utopique, mais c'est de créer le bonheur dans l'entreprise. Concrètement, il s'agit de nous adapter à chacun de nos 22000 collaborateurs pour leur donner exactement ce qu'ils attendent, tout en restant en synergie avec tous les autres. Et ce quelle que soit leur origine, leur culture ou leur ambition. L'objectif, c'est qu'ainsi acceptés pour ce qu'ils font et ce qu'ils sont, ils soient tous performants et créateurs de richesses.
Ce modèle vertueux est-il transposable à toutes les entreprises françaises quel que soit leur secteur ou quelle que soit leur taille?
Oui, mais ce n'est pas le cas dans 99 % des entreprises. Or, c'est la clé de la réussite. Un salarié satisfait de sa vie dans l'entreprise y apporte toute sa contribution. Sauf que bien des dirigeants ou des actionnaires ne pensent pas comme ça. Ils recherchent plutôt à maximiser leurs profits pour leur propre compte. C'est l'erreur qu'il ne faut pas commettre. Il faut créer la richesse, mais surtout il faut la partager ! C'est ce que nous essayons, chaque jour, de faire chez Altrad, amalgamer l'ensemble des cultures et des identités pour en faire le mélange le plus riche possible.
Pourquoi avoir choisi de prendre la présidence de l'AFE, Agence France Entrepreneur?
Je ne m'attendais pas à ce que le président de la République me sollicite. D'emblée, j'ai été séduit par cette mission noble, celle qui consiste notamment à réduire les inégalités dans les territoires les plus fragiles, dans les quartiers mais pas seulement, dans certaines zones rurales ou dans les Outre-mer. Il y a ainsi 11,5 millions de personnes en grande difficulté pour lesquels l'action de l'État doit être non seulement maintenue, mais renforcée. Il y a beaucoup d'intentions et de générosité dans les idées, des budgets considérables qui sont alloués, sauf que les canaux par lesquels les moyens devraient irriguer ces territoires sont insuffisamment efficaces. Je vais apporter ma contribution d'homme d'entreprise mais aussi celle de quelqu'un qui, je crois, du fait de son parcours, est reconnu pour avoir une certaine légitimité à s'adresser à des habitants qu'il connaît bien et respecte profondément.
Qu'avez-vous découvert de l'écosystème des porteurs et créateurs de projets?
Quand on pense à la puissance économique de la France au niveau mondial, il est alarmant de constater que près de 9?millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Quant à l'efficacité du système, il est indispensable de l'améliorer. On m'a demandé de créer dans les territoires fragiles 10 000 entreprises par an. Nous ne parviendrons à ce chiffre que progressivement. Nous devons veiller à?l'efficience de la dépense publique. Si la création d'entreprise est plus soutenue dans les quartiers par les réseaux d'accompagnement des créateurs d'entreprise, les faillites sont encore très importantes dans les deux ans suivant leur création. Nous devons réfléchir à une démarche consolidée, à faire mieux et sur le long terme.
"Dans 80 % des faillites d'entreprises, le projet était vicié dès le départ"
On parle beaucoup de l'importance de reconnaître les vertus de l'échec. Pour autant, nombre de dirigeants refusent d'en parler. En faites-vous partie?
Je n'ai pas eu beaucoup d'échecs. J'ai fait des tentatives dans certains pays qui se sont révélées infructueuses. Mais ce n'est pas un échec. Mieux vaut envisager la trajectoire globale qui, je trouve, est plutôt satisfaisante.
Par ailleurs, tout dépend de ce qu'on entend par le mot échec. Dans 80 % des faillites d'entreprises, le projet était vicié dès le départ : soit le produit n'était pas bon, soit il était trop cher, lancé trop tôt ou trop tard... Bref, ce n'est pas véritablement un échec. Et enfin, tandis que pour les uns, la réussite, c'est accumuler et s'approprier des richesses, pour moi, j'y vois plutôt un échec. Tout est question de point de vue.
Vous venez de changer d'entraîneur au Montpellier Hérault Rugby : Vern Cotter remplace Jake White, qui suivait le club depuis deux ans. En sport, comme en entreprise, quelles sont les qualités d'un bon leader?
Là comme ailleurs il faut une vision, ainsi qu'un horizon. Ensuite, vous devez réfléchir à une culture. J'attends de Vern Cotter qu'il apporte cela au club. Nous avons fait des progrès considérables, mais ils ne restent qu'une promesse dans le rugby français. Et avec l'apport de Vern Cotter qui voit dans le sport un formidable vecteur d'intégration, nous avons toutes les chances d'y arriver. J'ai d'ailleurs bâti une charte pour le club qui se base sur les valeurs, la solidarité, le courage et l'humilité.
Quel sera le thème de votre prochain livre?
L'identité dans la littérature. Mais je prévois sa sortie plutôt vers 2018. En l'état, je ne suis pas très avancé.
Vous n'êtes pour l'instant encarté à aucun parti politique. Allez-vous, en cette année d'élection, apporter votre soutien à l'un des candidats à la présidence?
Certes, je ne fais pas de politique dans le sens où je ne suis ni élu ni adhérent d'une formation politique. Mais, et ce n'est pas simplement une posture, c'est une conviction, je fais de la politique dans son sens ancien et grec, celui qui signifie se mettre au service de la cité. Je ne sais pas encore si je vais m'engager auprès d'un candidat. Pour l'instant, je n'ai pas été sollicité !
NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles