Commerce de proximité : Internet, bourreau puis tremplin
Internet n’a pas tué le commerce de proximité. Par un effet de boomerang, après avoir affaibli certains secteurs, Internet renvoie l’ascenseur, et s’appuie sur le développement de nouveaux réseaux de proximité. Explications.
Je m'abonneLa diabolisation de l’e-commerce est terminée. A la fois gourmand en parts de marché et rouleau compresseur, le commerce en ligne remet de l’humain dans sa façon de pratiquer le commerce. Pour certains secteurs, traduire dans la réalité son succès en ligne nécessite forcément dans un maillage territorial resserré. Une évolution rapide, faite en deux temps. D’abord en parallèle à un phénomène d’ubérisation de la grande distribution, et ensuite par une réappropriation des commerces de proximité. Avec, comme symbole, Amazon.
Grande distribution : proximité et service premium
L’année écoulée est historique : en 2017, le groupe Amazon est devenu nº2 de la distribution dans l’habillement aux Etats-Unis, derrière Walmart. 2017, ou la stratégie de la pyramide inversée : un groupe qui diffuse sur la planète entière pour livrer des biens de proximité, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Avec son service Prime, le géant américain a visé juste et raflé la mise, puisque 65,5% des abonnés ont acheté au moins un article de mode dans l’année écoulée. Cette stratégie premium simplifie l’expérience client, et fidélise en masse. Amazon va même plus loin, en imaginant la fabrication sur site, à la demande, d’articles de prêt-à-porter ou sur-mesure. L’entreprise américaine vient de breveter une technologie de fabrication automatisée, via un service en ligne. Pour asseoir ses ambitions, Amazon a racheté une start-up, BodyLab, spécialisée dans la simulation du corps humain. Nous assistons à l’invention du sur-mesure de masse. C’est l’un des nomberux facteurs qui ont fait glissé l’e-commerce vers une ubérisation de la vente de prêt-à-porter. Cela couplé à ses investissements colossaux dans la supply chain – comme en témoigne le futur super-entrepôt en cours d’installation sur une ancienne base aérienne à Bretigny-sur-Orge –, le leader américain boucle la boucle, et couvre presque tous les canaux de distribution. « Brétigny-sur-Orge joue un rôle crucial pour servir Paris, qui est la deuxième ville en Europe qui commande le plus, se félicite le directeur des opérations d’Amazon France Ronan Bolé. De plus, la plateforme a aussi une place centrale pour desservir l’Europe. Nous estimons qu’environ 10% des flux sortiront hors de l’Hexagone. Le site a été dimensionné pour accueillir un peu moins de 200 camions par jour. L’entrepôt devrait stocker une vingtaine de millions d’articles, sachant que celui de Lille en a 18 millions. » Depuis 2010, Amazon a ainsi investi deux milliards d’euros en France, avec comme principal objectif la maîtrise de toute sa chaîne logistique. Amazon a franchi une dernière étape en ouvrant aux Etats-Unis, puis au Royaume-Uni et en Allemagne, des points de vente physiques. Et bientôt en France, en s’inspirant sur le modèle des magasins sans caisse Amazon Go.
Outre les grandes enseignes en ligne comme Amazon ou PriceMinister, le meilleur canal de recherche pour des biens et services reste l’inévitable requête sur Google. Le moteur de recherche vous proposera des solutions venant de plateformes de commerce en ligne, ainsi que des offres locales issues de boutiques de votre quartier, en fonction de votre géolocalisation si vous ne faites pas ces recherches en navigation privée.
Ces deux facteurs combinés, stratégiques, ont relancé le commerce de proximité, les résultats fournis par les algorithmes des géants d’Internet influençant grandement nos choix. Cela a contribué à redynamiser les circuits courts, rapprochant de plus en plus le lieu de fabrication et le consommateur. Elle est là, la force des grandes chaînes : leur sens de l’expérience client. Service de proximité et approches personnalisées sont aujourd’hui essentiels.
Les commerces de proximité vivent un renouveau après de longues années où la grande distribution a mis à mal les enseignes indépendantes. Même avec un Amazon tout puissant, des enseignes comme la Fnac, Boulanger ou Darty fonctionnent aussi très bien. Pour les petites enseignes, la tendance est également encourageante. Le chiffre d’affaires du commerce de proximité croit de 1,1% par an depuis le début du siècle. Les consommateurs semblent toujours à la recherche de conseils, d’un cadre authentique, d’un service attentif et personnalisé… Un ensemble formant l’expérience client, ou « comment se démarquer de façon positive » est devenu un mode de vie. Le contact humain a donc encore de beaux jours devant lui.
« Dans le modèle fast-fashion, avance Bruno Fauchet, fondateur du cabinet de conseil Intuitu Novae, c’est la supply-chain qui est au cœur du dispositif : en rendant possible le renouvellement ultra-rapide de l’offre, elle stimule la fréquence de visite et d’achat des clientes, avec pour résultat des ventes par m2 plus élevées. La gestion au plus juste des stocks par magasin permet aussi de réduire les remises, et donc d’augmenter les marges. Cette formule économique favorable finance l’implantation dans des emplacements de qualité et de fort trafic, et permet la mise en place du cercle vertueux de croissance, de profitabilité et d’investissement. » Cette nouvelle organisation, volontairement vertueuse, s’appuie sur une bonne implantation géographique et sur l’accent porté à l’expérience client.
La révolution du digital a tout emporté, et mieux valait prendre le train dès le début. Si un géant comme Amazon, qui ne distribuait que des livres à l’origine, peut être aujourd’hui quasiment omnipotent, de nombreuses enseignes ont su valoriser leur image de marque auprès du grand public. Ces enseignes ont développé une approche omni canal, et se concentrent aujourd’hui sur le web-to-store (ndlr : de la page web à la boutique). Une approche qui nécessite, par définition, des points de vente physiques. Pour devenir incontournables, ces marques – souvent constituées en réseaux – se devaient de ne pas laisser de trop grandes distances entre chaque point de vente, de peur de perdre des parts de marché. Une explication proche du terrain qui corrobore la définition donnée par l’INSEE du commerce de proximité : « Il se compose de commerces de quotidienneté. Il s’agit des boulangeries, boucheries, alimentations générales, boutiques de prêt-à-porter, magasins d’optique, cafés, pharmacies, salons de coiffure… Ces commerces peuvent être indépendants (isolés, franchisés…) ou intégrés (comme nombre de supérettes). Le commerce de proximité se situe principalement en centre-ville, centre-bourg et cœur de quartier. » Les attentes des consommateurs ayant beaucoup évolué au cours de quinze dernières années, le tissu économique des centre-villes a lui aussi changé. Un changement sur fond d’appétit grandissant pour de nouveaux types de construction, pour le bio et le développement durable.
C’est pour cela par exemple que les centre-villes de communes de taille moyenne ont vu se multiplier des détaillants spécialisés (comme les magasins bio), des agences franchisées (assurances, immobilier…) et des boutiques d’opticiens. Dans le domaine de l’optique, se démarquer de la concurrence peut passer par une approche humaine du travail, comme le proposent les coopératives mutualistes. C’est le cas d’Optic 2000 par exemple. Cette coopérative s’appuie sur un maillage intense du territoire, avec 1200 points de vente. Disposer d’une telle implantation territoriale permet aussi de « sentir » le pouls du public et d’anticiper ou d’accompagner les modes, en temps réel. Pendant longtemps, le critère de choix nº1 a été le prix dans le bras de fer entre grande distribution, Internet et commerce de proximité. Mais de plus en plus, les consommateurs français complètent leurs achats sur Internet par davantage d’achats en boutique.
Ce retour des acheteurs en boutique est aussi synonyme d’une toute nouvelle expérience client. Restons chez Optic 2000 qui a, par exemple, massivement investi dans ses boutiques connectées. Didier Papaz, président de cette chaîne d’opticiens et également président de l’école de commerce ESC Troyes, défend l’idée que le « commerce associé » – dont sa chaîne est membre – appartient au secteur de l’ESS (économie sociale et solidaire). «Les coopératives de commerçants représentent 29% de parts de marché de la distribution, affirme le PDG. Cela représente 30000 chefs d’entreprises appartenant à l’économie sociale et solidaire, particulièrement impliquées dans le tissu local. Nous avons pour mission de soutenir l’emploi en France. Nos ennemis sont les fonds de pension, dont les profits ne sont pas localisés en France ». A grande échelle, la bataille pour la réputation fait rage ; à une plus petite, le rôle de conseil et les prestations sur-mesure font de plus en plus la différence. Aujourd’hui, Internet se met au service des commerces de proximité. Un modèle également synonyme de concurrence, et donc de la bonne santé du portefeuille du consommateur.
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