L'IA entre justesse et divergence !
Quand on me suggère d'utiliser ChatGPT pour « aller plus vite », ma réponse, teintée d'humour, est double. D'abord, j'aime l'artisanat, ce plaisir de créer de façon authentique et humaine. Ensuite, il me semble essentiel de rappeler que l'intelligence artificielle, malgré ses prouesses, reste un outil et non une entité créatrice.
Je m'abonneSi elle peut imiter avec brio le style d'un Tim Burton ou d'un autre artiste, elle n'aura jamais « l'âme » qui caractérise un auteur, un journaliste, un réalisateur, un infographiste ou de manière plus générale, un véritable créateur. Cette incapacité tient en son essence : l'IA compile, agrège et statistiquement « prévoit », mais elle ne diverge pas. Or, c'est précisément dans cette capacité à diverger, à explorer des voies inattendues, que réside la créativité humaine.
La divergence, essence de la créativité humaine
Contrairement à une machine, l'esprit humain ne se limite pas à la logique ou à l'assemblage mécanique de données préexistantes. La créativité humaine jaillit souvent de l'imprévu, de l'erreur ou du conflit intérieur. En psychanalyse, Sigmund Freud théorise cette capacité sous le concept de sublimation : une transformation des pulsions primaires, souvent inconscientes, en réalisations culturelles, artistiques ou intellectuelles. Une oeuvre humaine porte ainsi la marque d'une expérience vécue, d'un cheminement intime. Un auteur, par exemple, ne se contente pas de réassembler des mots en fonction de leur probabilité d'occurrence. Bon, ok, quand je joue au scrabble, je fais plus des mathématiques et des statistiques que je ne m'amuse comme cela est prévu : je prends mon pied à chercher la meilleure combinaison de lettres et à regarder dans le dictionnaire si cela existe ensuite. Il déploie une vision du monde, imprégnée de sa subjectivité et de son vécu, en laissant parfois les contradictions ou les intuitions guider son cheminement. En ce sens, l'IA est comparable à une bibliothèque sans lecteur : elle contient des ressources inestimables, mais sans une conscience humaine pour leur donner un sens, elle reste limitée à une fonction d'archivage sophistiqué.
Entre oeuvre et travail
Dans La condition de l'homme moderne, Hannah Arendt distingue deux catégories fondamentales de l'activité humaine : le « travail » et « l'oeuvre ». Le travail, selon elle, est une activité répétitive, motivée par des besoins utilitaires immédiats et dépourvus de dimension durable. Il répond à des nécessités, comme celles de produire ou de consommer, mais reste éphémère. À l'opposé, l'oeuvre représente une création qui s'inscrit dans la durée, témoignant d'une intention et d'une capacité humaine à transformer le monde. Une peinture, un poème ou une composition musicale porte ainsi en elle une singularité propre et une signification durable, marquant l'empreinte d'une subjectivité sur le réel. L'intelligence artificielle, bien qu'impressionnante par ses performances, se situe plutôt dans le registre du travail tel que défini par Arendt. Elle peut produire des textes, analyser des données ou créer des visuels complexes, mais elle le fait en suivant des algorithmes préétablis, sans intention ou subjectivité.
Ce qui manque à ces réalisations, c'est la profondeur d'une réflexion personnelle ou le poids d'une expérience humaine. L'IA n'a pas le « choix » de créer, elle exécute des processus programmés, reproduisant des modèles statistiques basés sur des données passées. En cela, elle reste enfermée dans la mécanique de l'utile, sans jamais accéder à la sphère de l'oeuvre au sens arendtien. Un exemple frappant est celui des oeuvres d'art générées par des IA, qui ont parfois remporté des prix prestigieux, à mon sens, uniquement parce que l'oeil humain n'était pas vraiment habitué à y déceler des aberrations ou des hallucinations. Ces créations peuvent impressionner par leur esthétique ou leur technique, mais elles manquent d'une dimension essentielle : une histoire personnelle ou une intention émotionnelle. Elles ne traduisent pas un regard sur le monde, mais s'apparentent plutôt à des simulacres de créativité, des reproductions brillantes, mais dénuées d'âme. Ainsi, si l'IA peut imiter, elle ne saurait rivaliser avec la capacité humaine à investir une oeuvre d'un sens et d'une profondeur issus de son propre vécu.
En ce qui me concerne, je travaille donc devant mon ordinateur à optimiser mes textes et parfois je demande à ChatGPT d'aller me rechercher l'URL d'une source car cela fait longtemps que je ne fais plus confiance à Google pour la trouver instantanément. Pour ce qui est de la partie créative, elle est chez moi continue, tout comme chez vous, et il suffit d'un rien pour y accéder. Je crée donc aux toilettes, sous la douche, en marchant ; bien que me mettre mes youtubeurs préférés dans les oreilles amenuise cette appétence à la divergence et il m'arrive parfois de créer la nuit en dormant. En bref, quand j'arrive à lâcher prise, et comme je n'ai aucune recette spécifique pour générer mon flow créatif mais qu'il se manifeste à moi de manière assez régulière, je prends note de toutes mes idées, mes textes de slam et de poésie, de toutes mes lignes de chant, de guitare et de basse, pour développer plus tard celles qui font sens. L'IA n'a pas sa place à cet endroit de ma psyché !
L'imperfection comme richesse humaine
La créativité humaine s'appuie également sur une caractéristique essentielle : l'imperfection. Dans ses travaux sur la sémiologie, Roland Barthes introduit la notion de « bruit » dans un texte, c'est-à-dire ce qui échappe à la logique pure et qui donne à l'écriture sa profondeur et son unicité. En bref, c'est ce qui caractérise votre style. Sans style, vous ne serez pas identifié. Il sera donc fait la même différence entre du copywriting et la création d'une oeuvre, car le copywriting ne peut s'imprégner que du style du copywriter et non de celui ou celle à qui le texte est destiné. Ce « bruit » peut être un style étrange, une métaphore inattendue ou une rupture volontaire dans le rythme du récit. L'IA, qui s'appuie sur des modèles probabilistes, tend à lisser ces aspérités. Elle produit un résultat optimal, mais dépourvu de la richesse de l'imprévu. Pour ma part, je parlais déjà des paravents de mon ego dans j'ai un pitch qui claque, ces petits mots qui viennent amenuiser mes résultats, les adoucisseurs comme « petit.e » ; « il me semble que... », « et » au lieu de « mais » ; ou au contraire les embellir au point de les rendre suspicieux, comme les superlatifs et adverbes inutiles. Ce qui est bien aussi avec le style, c'est qu'il se travaille et s'aiguise, s'affine avec le temps. L'IA pourra toujours avoir des combinaisons de plus en plus complexes, mais ne développera jamais un style. Certains d'entre vous diront qu'il peut être doué d'humour et transmettre des émotions, mais il ne pourra jamais en capter l'essence. Il ne pourra au mieux que les copier.
Cette limite fondamentale de l'IA éclaire pourquoi elle ne peut concevoir des idées radicalement nouvelles. Les concepts fondamentaux en psychologie, comme les profils psychologiques de Jung, les théories des biais cognitifs ou encore les mécanismes de réification dans le cadre du burnout, n'auraient jamais pu émerger sans la réflexion humaine. Ces notions ne sont pas des compilations de faits, mais le fruit d'intuitions, d'observations et de confrontations à l'expérience. En bref, vous pouvez éventuellement reformuler avec l'IA et dans un langage familier ou soutenu à votre convenance, mais jamais vous ne contribuerez à l'évolution de notre espèce avec. Sinon avec ses biais et au moins avec les biais de ceux et celles qui l'ont instruit.
Et pour diverger légèrement (presqu'une blague « méta »), qu'en est-il de votre point de vue ? Car c'est ce qui fera tout l'intérêt d'une oeuvre ! Tout le monde se rappelle bien des cours de français à l'école quand notre professeur nous disait que tel auteur voulait dire telle chose sans le dire tout en le disant ? Eh bien là, c'est la même chose ! Un des préceptes de la programmation neurolinguistique est « tout le monde a raison selon son point de vue, que l'on y adhère ou pas ». Seulement, si l'IA intègre toutes les idées, il intègre aussi tous les points de vue. Du coup, quel intérêt de lire un texte ou de contempler une oeuvre sans aspérité ?
L'instrument et ses aberrations
Les aberrations générées par l'intelligence artificielle mettent en lumière ses limites fondamentales et ses dérives potentielles. Si l'IA peut exceller dans des tâches précises comme le traitement de données ou la création de contenus visuellement impressionnants, elle reste dépourvue de conscience et d'intentionnalité, se limitant à un fonctionnement mécanique. Cela mène à des productions absurdes ou décontextualisées, dénuées de sens ou d'émotion, et incapables de générer une véritable créativité, comme l'illustre la distinction entre le « travail » et « l'oeuvre » d'Hannah Arendt. Par ailleurs, l'IA amplifie souvent les biais présents dans ses données d'entraînement, reproduisant des discriminations ou des stéréotypes, un phénomène que György Lukács qualifierait de « réification », réduisant les humains à de simples objets statistiques.
Vous rappelez-vous de l'expérience qui fut faite d'entraîner une IA avec les données de Twitter ? L'IA est devenue raciste en quelques jours ! Les « hallucinations » générées par l'IA - des erreurs factuelles ou inventions crédibles - et la prolifération des contenus faux, comme les deepfakes, posent aussi des risques éthiques majeurs, en particulier dans des domaines critiques tels que la médecine ou la politique. Enfin, l'IA tend à homogénéiser la création culturelle, favorisant les tendances dominantes au détriment de la diversité, ce qui soulève la question de la perte de singularité humaine. Ces anomalies reflètent les avertissements de Jacques Ellul sur l'autonomisation de la technique : sans régulation ni réflexion éthique, ces outils risquent de déformer la réalité qu'ils prétendent enrichir. Pour exploiter leur potentiel sans compromettre les valeurs humaines, il est essentiel d'encadrer leur usage par une approche philosophique et responsable, en gardant à l'esprit que l'IA n'est qu'un instrument, jamais une finalité.
Niveau de pertinence, de crédibilité et d'expertise
Pour susciter l'intérêt d'autrui, qu'il s'agisse de promouvoir une offre, de renforcer sa crédibilité personnelle, ou de susciter la curiosité sur un sujet particulier, il est essentiel de soigner son image en termes de crédibilité, pertinence et expertise. Ces qualités, combinées à un niveau de service adéquat, constituent des leviers fondamentaux dans des domaines tels que la vente, le marketing ou le management. C'est ainsi qu'on peut établir la confiance nécessaire pour provoquer une projection mentale favorable - un mécanisme clé dans toute prise de décision, notamment commerciale.
Un exemple marquant en ce sens est une expérience pédagogique souvent évoquée. Une enseignante, lors d'un exercice en classe, inscrivit des tables de multiplication au tableau, en insérant volontairement une unique erreur. Les élèves, bien qu'ayant correctement identifié les bonnes réponses, concentrèrent toute leur attention sur l'erreur. Ce phénomène illustre un biais cognitif humain fondamental : notre cerveau tend à se focaliser sur les imperfections, même dans des contextes globalement réussis. Une anecdote récente concernant la campagne marketing du film Wicked vient corroborer cette observation. Malgré un travail promotionnel irréprochable de la part des actrices principales, une erreur sur l'emballage des produits dérivés - mentionnant un site pornographique (wicked.com) au lieu du lien officiel (wicked-lefilm.com) - fit grand bruit, au point de transformer ces objets en pièces de collection revendues par des scalpeurs peu scrupuleux (1000$ tout de même !)
De même, dans l'écriture d'articles ou d'analyses, veiller à l'exactitude des informations est une exigence incontournable. Il m'est ainsi arrivé de solliciter ChatGPT pour obtenir des résumés ou des références précises sur des oeuvres, comme un ouvrage de Vincent Caltabellota que je souhaitais citer pour appuyer mon propos. Même s'il me l'avait pitché à la remise de nos prix littéraires respectifs, et conscient de la nécessité de vérifier la fiabilité des informations fournies par un outil d'intelligence artificielle, j'ai pris soin d'abord de lui demander son avis sur les deux lignes que je désirais introduire dans mon texte, puis de lire l'ouvrage en question afin de m'assurer de l'exactitude des informations. Une telle démarche est essentielle pour préserver ma crédibilité auprès de mes lecteurs, mais également vis-à-vis de mes pairs et de mon éditeur. La construction d'une image de marque repose, en effet, sur un style affirmé et une rigueur exemplaire.
Le fantasme de l'IA créatrice
Imaginer que l'IA puisse un jour remplacer la pensée humaine relève d'un fantasme, mais aussi d'un malentendu. Derrière cette croyance se cache une projection anthropomorphique : nous attribuons à l'IA des qualités humaines qu'elle n'a pas. Ce phénomène, connu en psychologie sous le nom de paréidolie cognitive, consiste à percevoir une intention ou une humanité là où il n'y en a pas. Plus largement, ce fantasme s'inscrit dans une tradition de fascination et de crainte face aux créations humaines : de la tour de Babel au mythe de Frankenstein, les récits sur les dangers de l'hybris technique abondent.
L'IA n'échappe pas à cette dynamique : elle nous force à interroger nos propres limites et à redéfinir ce qui fait de nous des êtres humains. L'intelligence artificielle, aussi performante soit-elle, ne remplace ni l'âme ni l'intention qui sous-tendent les créations humaines. Elle demeure un outil puissant, capable d'amplifier nos capacités, mais limité à une logique d'optimisation. Ce qui distingue l'humain de la machine, c'est sa capacité à rêver, à errer et à trouver du sens là où il n'y en a pas encore. À ce titre, l'IA nous offre une occasion précieuse : celle de redécouvrir la richesse de notre propre créativité et de la protéger face à une automatisation croissante. Comme le dit Bernard Stiegler, il nous faut apprivoiser la technique, non pour qu'elle nous domine, mais pour qu'elle nous aide à « rejouer notre singularité dans un monde automatisé ».
Hello je m'appelle Guillermo Di Bisotto et je suis l'auteur Eyrolles Business de "C'est où qu'on signe ? L'art de traiter les objections" (http://tinyurl.com/s93ufjx5) et de "Questions pour un champion de LA vente"(https://c3po.link/QJyHhbRRZa) | Mon dernier livre a remporté le prix du coup de coeur de l'IDRAC Business School et c'est un honneur que ce livre ait été plébiscité par ses étudiants. J'espère donc de tout coeur, en ayant écrit cet article, vous avoir donné envie de vous le procurer 😊(et surtout de le lire à votre tour)