IA : entre fascination et dépendance !
Si la science-fiction nous a habitués à craindre une domination de l'humanité par des machines hyper-intelligentes, la réalité semble plus subtile, mais tout aussi préoccupante : ce n'est pas tant l'intelligence artificielle qui nous menace, mais bien la manière dont nous l'utilisons.
Je m'abonneLoin d'être une entité consciente capable de nous surpasser (voir la première partie de cet article : « Entre mythes et fantasmes, la réalité derrière l'IA »), l'IA est avant tout un outil qui, employé sans conscience et par automatisme, pourrait contribuer à un amoindrissement de nos capacités cognitives. Ce phénomène n'est pas dû à une intention malveillante des machines, mais bien à notre propre comportement, souvent marqué par des biais cognitifs profondément ancrés. Bref, l'enfer est pavé de bonnes inventions, et le danger est un cheval de Troie déjà très bien installé : l'appétence continue de notre cerveau à rechercher des « hacks » pour s'économiser de l'énergie et du temps.
Notre cerveau défonce ChatGPT
ChatGPT, c'est comme le crâne de cristal de tonton Spielberg, mais qui ne vous désintègre pas après avoir téléversé son omniscience dans votre cerveau. Ainsi ses connaissances ne vous submergent pas, et sont disponibles uniquement quand vous le souhaitez. Quant à notre cerveau, tout comme ChatGPT, il possède la capacité d'analyser un volume considérable d'informations. Certains affirment qu'il est capable de traiter plus de mille éléments par seconde, qu'ils soient visuels, auditifs, kinesthésiques, olfactifs ou gustatifs. Toutefois, ce chiffre est souvent hypothétique. Ce qui demeure certain, c'est que notre cerveau ne leur accorde pas la même importance. Il trie celles qui sont utiles pour les porter à la conscience, tandis qu'il classe les autres comme « à utiliser plus tard » ou « sans intérêt ».
L'information est traitée comme déclencheur et elle peut devenir soit agréable, soit désagréable. La réponse est soit un comportement, soit un état interne, qui échappe souvent à la conscience. Néanmoins, s'il devait accorder la même importance à toutes les informations, c'est à ce moment-là qu'il imploserait, car il ne supporterait la charge mentale ! Pour s'économiser - ce que l'IA générative ne peut pas faire (cf : la feuille de l'arbre qui tombe sur la route pendant que vous conduisez, voir première partie), il met en place des automatismes en place. Nos biais cognitifs se chargent ainsi de les relier en effectuant des raccourcis et des généralisations afin de donner un sens à ce que nous percevons.
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En bref, nos 188 biais, selon la classification établie de Buster BENSON[1] qui les répartit en quatre familles distinctes : « Trop d'information », « Pas assez de sens », « Besoin d'agir vite » et « De quoi doit-on se rappeler » agissent comme nos experts IT en cybersécurité pour vous éviter de tomber de fatigue, 10 minutes après notre réveil ! Si cela vous intéresse au passage, vous trouverez en bas de page de cet article, un lien d'une URL raccourcie par Tiny URL, pointant sur le codex des 188 biais cognitifs repérés par BENSON, sous la forme d'un mindmap interactif formalisé par John Manoogian III[2]
L'effet des outils technologiques sur notre cerveau
Parmi tous ces biais, il y en a un qui retient toute mon attention. Il s'agit du biais Google qui illustre parfaitement la manière dont notre cerveau s'adapte - ou plutôt se désengage - face à aux nouvelles technologies. Par exemple, depuis l'avènement des moteurs de recherche, une partie de notre mémoire à long terme est progressivement externalisée. Nous ne retenons plus les informations elles-mêmes, mais la manière d'y accéder. Une étude menée par Betsy Sparrow et ses collègues en 2011[3] a démontré que lorsqu'on sait qu'une information est disponible en ligne, nous faisons moins d'efforts pour nous en souvenir, préférant nous souvenir de « où » la trouver plutôt que de « quoi » elle est composée. De même, l'usage généralisé des GPS entraîne une diminution de l'intelligence spatiale.
Nos ancêtres naviguaient grâce à des cartes, des points de repère et des observations environnementales. Aujourd'hui, suivre aveuglément une voie et un plan qui se réactualise en temps réel, nous prive de l'opportunité de développer notre sens de l'orientation et de solliciter des zones du cerveau associées à la navigation spatiale, comme l'hippocampe. Ce désengagement cognitif pourrait à long terme affecter notre capacité à comprendre l'espace qui nous entoure et à résoudre des problèmes complexes impliquant des notions spatiales. Au-delà de ces exemples, d'autres biais exacerbent le danger d'une dépendance excessive aux technologies d'IA :
- Le biais d'automatisation : nous avons tendance à faire une confiance excessive aux outils automatisés, même lorsqu'ils se trompent. Dans Action Co, j'ai écrit un article qui met une petite charge contre les logiciels d'automatisation pour prospecter : « LinkedIn, IA... prospecter sans spammer »[4]. Mon propos tient dans le fait que le coût caché à développer des conversations qui ne mèneront à rien parce que vous démarchez à la truelle, est immense ! Et je continue à recevoir tous les jours 4 ou 5 messages « claqués au sol » sur LinkedIn de la part de vendeurs automatisés. Je me permets d'ailleurs de les renvoyer à la lecture du Vendeur augmenté de Vincent Caltabellotta, qui analyse la transformation du métier de vendeur face aux défis technologiques actuels. Vincent préconise une réinvention du rôle en s'appuyant sur les outils numériques et l'intelligence artificielle, tout en valorisant les qualités humaines. Et cela devrait les inspirer ! Bon après, ils pourront toujours accuser la crise ou leur secteur si sinistré, de leurs piètres résultats !
- Le biais de substitution cognitive : plus une tâche est prise en charge par une machine, moins nous avons tendance à la pratiquer nous-mêmes. Par exemple, l'écriture assistée par des outils comme ChatGPT peut entraîner une diminution de nos compétences rédactionnelles et de notre créativité, car nous sommes moins enclins à produire des idées nouvelles lorsque l'outil propose des solutions « prêtes à l'emploi ». Néanmoins, libre à vous de demander à l'IA de reformuler votre texte, mais je vous en prie, retravaillez-le ensuite et mixez avec votre propre style ! Corrigez aussi les erreurs d'interprétations, elles sont généralement nombreuses, et surtout, profitez de cet outil pour développer votre esprit critique autant que votre propos.
- Le biais de confort : enfin, la facilité d'utilisation des IA favorise la passivité intellectuelle. Pourquoi réfléchir longuement à une question complexe quand une réponse approximative est disponible en quelques secondes ? Cette tendance à choisir la facilité limite notre capacité à développer un raisonnement critique et une réflexion approfondie.
En bref, à mesure que les IA s'intègrent davantage dans notre quotidien, ces biais risquent de s'amplifier. Des applications toujours plus sophistiquées nous permettent de déléguer des tâches intellectuelles : gestion des emails, organisation d'agendas, synthèse d'informations. Cette externalisation constante, bien qu'efficace à court terme, nous prive de l'effort cognitif nécessaire à l'entretien de nos compétences. Les psychologues parlent ici de « désapprentissage » : un processus où l'absence de pratique régulière entraîne la perte d'une capacité acquise.
Une couche de culture du vide
Si vous vous gavez de TikTok et de chaînes YouTube qui feraient passer TPMP pour une émission littéraire, vous prenez le chemin d'un appauvrissement intellectuel et une réduction de la capacité à vous engager dans des réflexions profondes. Ces formats exacerbent notre tendance à rechercher des plaisirs immédiats et à surconsommer de l'information sans véritable assimilation. À long terme, cela peut affecter le cerveau en diminuant l'attention soutenue, la mémoire de travail et la pensée critique, tout en renforçant les biais cognitifs comme la dépendance à la gratification instantanée.
C'est ce que dénonce la « culture du vide », qui renvoie à l'idée d'une société moderne où les valeurs traditionnelles, les repères culturels et les grands récits fondateurs ont progressivement perdu leur sens. Gilles Lipovetsky, dans L'Ère du vide (1983)[5], explore cet individualisme exacerbé où le narcissisme remplace les idéaux collectifs. Les individus, centrés sur eux-mêmes, se désintéressent de la politique et des engagements collectifs au profit d'un consumérisme tourné vers le plaisir immédiat et la recherche de satisfaction personnelle. Jean Baudrillard, quant à lui, dans ses analyses sur la société de consommation et le simulacre[6], soutient que cette dynamique conduit à une réalité « vidéifiée », où l'authenticité cède la place aux illusions fabriquées par les médias et la surconsommation, accentuant le sentiment d'aliénation et d'absence de sens profond dans les rapports humains.
Ces réflexions dessinent un portrait critique de la modernité, où le vide existentiel est compensé par une quête effrénée de sensations et de possessions, sans véritable ancrage dans des valeurs durables. Il n'y a qu'à se souvenir de cette vidéo TikTok où un jeune homme déclare avec emphase « On va chez Quick manger un burger, wesh ! », devenue virale, transformant cette phrase en hymne populaire. Quick a ainsi rapidement saisi l'opportunité en collaborant avec l'auteur de la vidéo, renforçant sa visibilité auprès des jeunes. Oui, l'économie de l'attention, probablement motivée par la gratification instantanée et saupoudrée de la culture du vide, s'oriente vers une économie de l'attention... de poulpes neurasthéniques ! En d'autres termes, peut-être que le film Idiocracy sorti en 2006 avec Luke Wilson, était finalement plus une prophétie, qu'une fable légère mais amère !
Vers une responsabilité partagée
Le véritable danger de l'IA réside donc moins dans sa capacité à nous dépasser que dans notre propension à nous reposer sur elle. Cette réalité exige une réflexion collective sur la manière dont nous utilisons ces outils. Devons-nous accepter passivement cette dépendance croissante ou réinventer notre rapport à la technologie ? Des pistes de solutions existent. Par exemple, encourager un usage complémentaire de l'IA plutôt qu'une délégation totale. Dans le domaine éducatif, les technologies intelligentes pourraient être employées pour renforcer - et non remplacer - les compétences humaines. De même, des programmes visant à développer la « littératie numérique » et le sens critique dès le plus jeune âge pourraient aider à contrer les effets des biais cognitifs. Et puis surtout, face aux personnes qui nous entourent et que nous chérissons, ne pouvons-nous pas leur accorder l'attention qu'ils méritent ?
Je me rappelle m'être insurgé contre cette proposition de loi qui pointait la responsabilité de l'écran dans l'éducation, comme si cela nous permettait de ne pas assumer notre responsabilité de nous ancrer dans le rapport pour développer des relations authentiques. J'étais hors de moi, lorsque dans un magasin de jeux vidéo, je rencontrais une mère de famille avec sa descendance et voyait sa dernière progéniture manipuler un téléphone portable. À même pas un an ! Et quand je lui fais remarquer car elle s'incrustait dans une conversation que je tenais justement sur le sujet, elle prenait la parole pour me dire : « bah oui, mais on en fait quoi quand nous, on est occupé avec le nôtre ? ». Oui, j'ai eu « ça » en face de moi. Et quand je parle de « ça », je ne parle pas du clown qui fait peur... quoique ! Heureusement qu'une généralisation est à éviter, mais cessons une fois pour toutes, de chercher notre responsabilité ailleurs qu'en nous-même !
Une révolution à deux vitesses
Une fois, lorsque j'étais petit et que mon père voulait me traîner au carré Marigny afin d'assouvir sa philatélie ; vu que cela me passait au-dessus, voire me gavait franchement, je lui avais dit : « si au moins, on pouvait aller de stands en stands avec un tapis roulant » ; il m'avait alors répondu que si l'être humain bénéficiait de tapis roulant et ne s'entraînaient plus à marcher, selon « un truc » (j'avais 8 à 10 ans) qu'il appelait le darwinisme, l'être humain s'adapterait pour ne plus avoir de pieds, devenus inutiles ! Pensée absurde et dystopique, mais réaliste pour le sujet qui nous concerne. Car si l'IA peut nous offrir des opportunités formidables, elle nous impose également une responsabilité : celle de ne pas abandonner notre humanité, notre curiosité et notre esprit critique.
Comme le souligne une étude de l'Imperial Collège de Londres[7], c'est dans notre capacité à rester actifs dans le processus cognitif que réside notre avenir. La plasticité cérébrale et l'adaptabilité humaine jouent un rôle crucial, et c'est à travers des processus cognitifs actifs que nous pouvons nous prémunir contre la perte de nos capacités cognitives. En bref, ce ne sont pas les machines qui nous rendront stupides, mais bien notre propre complaisance qui nous les fera devenir supérieures !
Et si le véritable combat du XXI? siècle n'était pas contre une IA surpuissante, mais contre la facilité et la passivité qu'elle pourrait nous imposer ? Voilà une question que ni les algorithmes ni les dystopies hollywoodiennes ne peuvent résoudre à notre place.
[1] Buster BENSON est à l'origine du modèle organisationnel du codex et auteur du livre "Why are we Yelling ? »
[2] https://inertian.wixsite.com/codexbiais
[3] Sources Science.org : https://tinyurl.com/449j3vpy
[4] Sources Action.co.fr : https://tinyurl.com/4p6knmnu
[5] Sources, Wikipedia : https://tinyurl.com/2ztxvkrj
[6] Sources : la-philosophie.com : https://tinyurl.com/4asamhm3
[7] Sources imperial.ac.uk : https://tinyurl.com/4zmjfxpt
Hello je m'appelle Guillermo Di Bisotto et je suis l'auteur Eyrolles Business de "C'est où qu'on signe ? L'art de traiter les objections" (http://tinyurl.com/s93ufjx5) et de "Questions pour un champion de LA vente"(https://c3po.link/QJyHhbRRZa) | Mon dernier livre a remporté le prix du coup de coeur de l'IDRAC Business School et c'est un honneur que ce livre ait été plébiscité par ses étudiants. J'espère donc de tout coeur, en ayant écrit cet article, vous avoir donné envie de vous le procurer 😊(et surtout de le lire à votre tour)