Contourner les pratiques "genrées"
D'autres pistes sont à envisager. " Consciemment ou pas, les pratiques entrepreneuriales sont devenues genrées, remarque Séverine Leloarne-Lemaire, titulaire de la chaire "Femmes et Renouveau économique" à Grenoble École de Management. Pour progresser dans une carrière, il faut intégrer des réseaux, développer des tactiques, s'adonner à des jeux de pouvoir, ce qui demande du temps. "
Or, il est moins facile pour une femme de se libérer de ses obligations de mère de famille. " Il s'agit d'une auto exclusion ", lâche cette enseignante. Pour se sortir de l'impasse, les femmes doivent soit embrasser les mêmes pratiques que les hommes, soit innover en développant des pratiques parallèles, et surtout inviter les hommes à se les approprier. Par exemple, " la pratique qui consiste à lever systématiquement des fonds trouve son origine dans la Silicon Valley, elle est à la mode, mais pas obligatoire ", assure Séverine Leloarne-Lemaire.
Après deux premières levées qui ont servi à Nathalie Des Isnards, fondatrice de Madame Pee - concepteur et fabricant de toilettes urinaires pour femmes - à financer la R & D et le lancement de la production, la start-up s'autofinance. " J'ai procédé à deux levées de fonds. La plupart des business angels étant des hommes, il a fallu faire sauter le verrou lié à un sujet qui touche à l'intimité féminine. Lors d'un premier round, les investisseurs ont admis le caractère innovant du concept et son potentiel, mais ils n'ont accepté de l'accompagner qu'après avoir consulté leurs épouses ", s'amuse la chef d'entreprise. Depuis, l'entreprise s'autofinance notamment grâce à un partenariat très fort avec son premier client.
Exploiter son potentiel
Comment aider les femmes à voir leur business en grand ? En révisant, enfin, leur place au sein de la société et de la famille. " Dès leur plus jeune âge, on demande aux petites filles de faire attention, lorsqu'on invite les petits garçons à se montrer courageux ", rappelle Isabelle Calvar Madec, fondatrice du cabinet de conseil en développement d'entreprise Keep Cap. Une éducation qui offre un boulevard au manque de confiance en soi de la gent féminine. D'où une dynamique entrepreneuriale qui serait moins forte chez les femmes que les chez les hommes.
" En réalité, lorsque l'on interroge les intentionnistes, la proportion de femmes et d'hommes désireux de créer une entreprise est à peu près équivalente, voire un peu plus importante chez les femmes. En revanche la transformation du projet est plus forte pour les hommes ", observe Marie Adeline-Peix, directrice exécutive en charge des partenariats régionaux et de l'action territoriale de Bpifrance.
Les femmes porteraient des projets moins ambitieux. Cette hypothèse est par ailleurs confirmée par l'Observatoire de l'Agence France Entrepreneur. Les femmes inscrites dans une dynamique entrepreneuriale sont davantage dans une logique d'assurer avant tout leur propre emploi, au détriment d'un fort développement de leur entreprise en termes de salariés et d'investissements : 59 % des chefs d'entreprise déclarent avoir créé dans cet objectif (contre 47 % des hommes). " Les femmes ont encore du mal à trouver leur place dans un entrepreneuriat de haut vol, alors qu'elles semblent plus à l'aise dans la création de TPE indépendantes. Spontanément, elles se tournent vers un statut leur garantissant leur indépendance et leur permettant plus facilement de conjuguer vie privée et vie professionnelle ", commente Isabelle Calvar-Madec. Ce qui ne veut pas dire qu'elles ne s'engagent pas à 100 % dans leur projet. Et qu'il faut les cantonner dans ce champ.
L'approche de Sheryl Sandberg, numéro deux de Facebook et auteure à succès de En avant toutes*, décrit la façon dont les femmes se freinent elles-mêmes, et les invite à exploiter au contraire pleinement leur potentiel. Comment sortir de l'ornière ? " Les biais existent pour tout le monde, et nous enferment - hommes et femmes - dans nos rôles. La solution consiste donc à les contourner en travaillant sur soi pour comprendre ses forces et ses faiblesses. Et pour ça élargir son monde, vivre dans différents milieux, multiplier les expériences à l'international, s'entourer de personnes de confiance... ", affirme Camille Morvan. D'autant que " plus le temps passe, plus les différences se lissent et les écarts en matière de gestion et de développement diminuent ", note Laurence Tassone, responsable des observatoires PME et création d'entreprise de Bpifrance.
Une fois l'histoire construite et l'entreprise sur les rails, les femmes peuvent enfin jouer leur partition. " Le genre n'a pas vraiment d'impact sur la pérennité parce qu'il ne représente pas un facteur déterminant, contrairement au niveau d'investissement initial par exemple ", ajoute Laurence Tassone. Au final, pour faire avancer la société, Marie Adeline-Peix pointe un autre axe : " aller à la rencontre des jeunes dans les collèges et les lycées afin de les sensibiliser tous, y compris les filles, à l'entrepreneuriat " et à battre ainsi en brèche les préjugés. Pour ouvrir la création d'entreprise à la diversité dans sa globalité.
Témoignage 3
" Je suis arrivée en m'excusant ", Fiona Fauvel, présidente d'Alterfina
" C'est mon associé, Laurent Chrétien, qui a eu l'idée de créer l'entreprise. Je ne m'étais jamais personnellement projetée dans l'entrepreneuriat ", déclare d'emblée Fiona Fauvel. Au départ, la dirigeante estime s'être mis elle-même des bâtons dans les roues. " Je suis arrivée dans un milieu d'hommes - la FinTech - en m'excusant. Je devais régler la question de ma légitimité puisque je participais à cette aventure par opportunité. " Elle dispose pourtant déjà d'une solide expérience dans une grande banque, or les salles de marché sont plutôt peuplées d'hommes...
Lorsqu'elle décide de prospecter et de créer son propre réseau, elle se heurte à des réseaux déjà en place. Pas facile d'y entrer. Trop jeune, trop polie, pas assez aguerrie au sujet... elle commence par prendre des claques. " Je n'aime pas échouer, je suis persévérante. " Le dépassement par l'échec.
Pour se hisser au niveau requis, elle met les bouchées doubles, suit des formations à la prospection commerciale, rejoint des réseaux de femmes dirigeantes, cherche des soutiens. Et finalement se réconcilie avec elle-même, accomplit son cheminement psychologique et prend confiance en elle. " Je ne souhaite pas entrer dans les clivages hommes/femmes, mais il faut bien reconnaître que les hommes savent très bien mettre en avant leur savoir- faire, les femmes ont davantage de difficulté. " Aujourd'hui, le binôme installé à la tête de l'entreprise fonctionne bien. " Nous nous complétons, nous avançons parce que nous sommes différents, à l'écoute ", ajoute-t-elle.
Alterfina
Plateforme de compliance, transaction,fusion, acquisition
Paris (9e)
Fiona Fauvel, présidente,35 ans
SAS > Création en 2010 > Effectif : NC
CA 2018 NC
Témoignage 4
" Nous attendions des discussions sérieuses ", Hortense Harang, présidente de Fleurs d'Ici
Lorsqu'elles se lancent dans l'aventure entrepreneuriale, Hortense Harang et son associée Chloé Rossignol, proposent de disrupter la vente de fleurs en B to B. Un marché colossal qu'elles choisissent d'adresser via une plateforme - fleursdici.fr - privilégiant les circuits courts.
La fleur est un produit frais qui provient principalement de l'importation. La filière française s'éteignant peu à peu, les deux entrepreneures misent sur les fleurs de saison, en privilégiant la production locale, et en mettant en relation producteurs et artisans, leur permettant d'industrialiser leurs échanges. Mais deux femmes qui se lancent dans la fleur... c'est imparable, les premiers interlocuteurs assimilent les entrepreneures à ce qu'elles ne sont pas. Sur le sujet du genre et de la diversité, les stéréotypes sont nombreux et tenaces. " Alors que nous proposions un nouveau modèle, nous étions essentiellement interrogées sur les moyens technologiques, sur l'algorithme ", déclare Hortense Harang. Des sujets typiquement masculins sur lesquels elles semblent devoir se justifier. " Nous attendions au contraire des discussions sérieuses autour de la finalité du projet, du marché, de notre stratégie, du retour sur investissement, mais nous ne sommes jamais parvenues à ce niveau-là d'échange ", précise-t-elle. Résultat, le projet a perdu une année.
Sur un marché caractérisé par des ventes en cycle long, les dégâts auraient pu être considérables.
Les Fleurs d'Ici
Vente de fleurs en circuit court
Paris (6è)
Hortense Harang,présidente, 40 ans
SAS > Création en 2017
CA 2018 NC
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