Des t-shirts ultra-connectés
Alors peut-on dire que le textile français se tisse un avenir radieux ? Les consommateurs, de plus en plus en quête de sens dans leurs achats, veulent savoir où sont fabriqués les produits. Pour cela, des labels fleurissentun peu partout en France pour certifier l'origine des tissus et promouvoir le savoir-faire local. Le premier d'entre eux, " Vosges Terre Textile ", est une sorte d'AOC industrielle qui a essaimé à d'autres régions, emblématiques du textile en France, comme l'Alsace, le Nord, la Champagne-Ardenne ou les Rhône-Alpes. France Terre Textile regroupe ces labels et coordonne l'ensemble des actions à travers les régions. "On sent bien qu'on est dans un monde changeant, où on remet en cause un ultralibéralisme et certains avantages douaniers (à l'instar du Pakistan qui bénéficie d'une exonération de taxes en Europe depuis des années). Au final, la tendance est à la revalorisation de certains métiers, favorisant ainsi la reconquête industrielle en France", poursuit Paul de Montclos.
Pour le président de France Terre Textile, l'atout de la filière réside également dans sa capacité à se moderniser. "La plupart des entreprises ont doté leur outil industriel d'une productivité assistée et font un fort usage de l'informatique. Chez nous, il y a plus d'ordinateurs que de salariés ! L'usine du futur prend tout son sens avec le secteur du textile car c'est une filière qui innove beaucoup", assure-t-il. L'innovation se retrouve également dans la proposition de produits inédits, avec l'émergence de plus en plus importante de tissus dits techniques. Désormais, on parle même de " d-shirt ", un t-shirt digitalisé imaginé par la start-up tricolore Cityzen Sciences. Les fibres intègrent des capteurs qui permettent de remonter des données telles que la vitesse, la température ou l'hydratation. L'habit intègre même un GPS. "Tous les indicateurs sont au vert, résume Emmanuelle Butaud-Stubbs, déléguée générale de l'UIT (Union des Industries Textiles). D'ailleurs, pour la première fois depuis 40 ans, 2018 a été une année de création nette d'emplois dans le secteur. Cela est dû notamment aux tissus techniques qui peuvent apporter beaucoup au secteur. On peut donc envisager une renaissance durable, mais ce ne sont pas les start-up qui vont la financer." La solution selon elle résiderait dans les partenariats entre public et privé, plus précisément au niveau local.
Des investissements d'acteurs privés aussi sont nécessaires, auprès d'intervenants issus d'autres secteurs qui recherchent une diversification. L'effort doit être général pour assurer un avenir pérenne à la filière. "Le textile qui demeure se porte mieux, mais ça ne veut pas dire qu'il va bien, confirme Paul de Montclos. Les entreprises ont des projets, des savoir-faire, des équipes qui se battent, mais le moindre grain de sable peut ébranler le modèle économique, qui n'est pas complètement stable." Ces PME du textile doivent aussi retravailler leur image de marque, pour faire oublier cette mauvaise image de filière meurtrie aux yeux des candidats.
Séduire le consommateur c'est bien, mais attirer et fidéliser les nouvelles recrues qui feront tourner l'outil industriel, c'est encore mieux. "Disposer des bonnes compétences permettra de répondre dans la durée aux commandes. Cela va dans le sens d'une production industrielle plus efficace, plus rapide qui permet de servir au mieux cette demande de local", souligne Emmanuelle Butaud-Stubbs.
Dans sa région, le label Vosges Terre Textile annonce en mars 2019 que 150 postes sont à pourvoir dans les trois prochaines années. L'objectif ? Répondre aux remplacements des départs à la retraite, mais aussi se doter des compétences nécessaires liées à l'informatique et à une intégration plus poussée dans l'économie mondiale. A défaut de posséder un centre de formation local, les entreprises se chargeront elles-mêmes de former les nouvelles recrues. Un travail cousu main pour assurer l'avenir du secteur.
Témoignage " Adopter des modes de distribution plus courts, c'est la clé de tout " Thomas Huriez, gérant de 1083 C'est à Romans-sur-Isère (Drôme), la ville capitale de la chaussure qui a connu plusieurs vagues de délocalisations, que Thomas Huriez lance un pari osé : proposer le premier jeans 100 % français. " Je voulais créer une marque autour d'un produit très populaire, mais avec l'impact le plus vertueux possible tant sur les gens que sur l'environnement. Je voulais faire ma part pour relocaliser ", commente-t-il. En 2013 nait 1083. 1083, c'est l'équivalent de la distance qui sépare les deux villes à l'opposé en France, Menton (Côte d'Azur) et Porspoder (Finistère). Avec ce nom de marque, Thomas Huriez inscrit clairement son entreprise dans une démarche éthique, responsable et locale. L'idée plait : lors du financement participatif lancé en 2013 pour une durée de deux mois, il espère vendre 100 jeans. 1000 jeans en tout seront commandés. " Pour que le Made in France soit compétitif, il faut retrouver des modèles de distribution plus raisonnables, qui apportent plus de marge. En fabriquant mes propres jeans, je réduis les intermédiaires. A la condition bien sûr de trouver le bon sous-traitant pour réaliser la production... " souligne Thomas Huriez. 1083 commence l'aventure avec un atelier de confection basé à Marseille. Un an plus tard, il aide Thomas Huriez à monter son propre atelier pour compléter sa production. Pour le tissage, c'est-à-dire la fabrication du denim, Thomas huriez se rapproche de deux tisseurs : les Tissages de Charlieu (Loire) et Valrupt Industries (Vosges). " Ils ont accepté de m'aider au démarrage du projet en produisant en petite quantité ", reconnait Thomas Huriez. En 2018, 1083 compte désormais 65 salariés. Et c'est elle qui donnera un coup de pouce à Valrupt Industries, placée en redressement judiciaire. 1083 intègre l'entreprise pour qu'elle ne ferme pas et la rebaptise Tissage de France " Chez 1083, nous avons réussi à remonter une filière complète. Maintenant, nous cherchons à devenir producteurs de coton. Le climat ne nous permet pas de faire pousser des champs de coton alors nous faisons avec celui que nous avons déjà en France...." ajoute Thomas Huriez. Pour cela, une solution : extraire le coton de vieux vêtements usagés. Pour Thomas Huriez, qui prévoit la sortie, en mai 2019, d'un jean issu de déchets plastiques, ce sont " la diversification, l'innovation et la proximité qui permettront au textile français de réussir. " 1083 / Modetic Fabrication prêt-à-porter Roman-sur-Isère (Drôme) Thomas Huriez, gérant, 38 ans SARL, 2013 65 salariés CA 2019 prévisionnel : 8 M€
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