Pour autant, y a-t-il un bon âge pour se lancer ? Frédérique Génicot, coach et auteur du livre Adieu salariat, bonjour la liberté ! est catégorique : l'âge n'est certainement pas une barrière à l'entrepreneuriat.
D'ailleurs, pour elle, à chaque âge ses qualités et ses atouts : " Les jeunes sont souvent plus désinhibés, plus flexibles car ils n'ont pas encore connu le moule du salariat et de l'entreprise. En revanche, plus tard, on a plus de réseaux, plus de compétences : le projet peut aller plus vite et être facilité. " Olivier de La Chevasnerie, président de Réseau entreprendre, va dans le même sens : " Avec l'expérience, on acquiert une vraie maturité professionnelle en matière de développement commercial, de management, de relations avec les partenaires. Cela peut donner plus confiance aux partenaires financiers, mais aussi aux clients. "
C'est bien d'ailleurs ce qu'a pu constater Julien David. L'entrepreneur a créé en 2016 la Fabrikathé, un atelier artisanal d'assemblage de thés et infusions. Parti tout seul, il peut désormais s'appuyer sur une équipe de 14 salariés, avec une croissance annuelle significative. Il avait auparavant mené une première partie de carrière comme commercial export dans l'industrie. " Je m'étais constitué un important réseau en Asie, sur lequel je peux m'appuyer aujourd'hui pour acheter mes matières premières ", souligne-t-il.
Cependant, il ne faut pas non plus imaginer que se lancer après 35/40 ans est la panacée absolue. " Le risque quand on est plus âgé, c'est en quelque sorte de s'être endormi dans son confort. Beaucoup de créateurs et repreneurs, des ex-cadres de grands groupes, ne se rendent pas compte qu'ils ont été formatés par leurs expériences passées avec l'habitude de s'appuyer sur une logistique et des équipes. Il faut absolument, pour réussir, qu'ils aient gardé une certaine souplesse, qu'ils soient capables de repartir et recréer un nouveau modèle, de faire face à ce qu'on appelle la solitude du dirigeant, d'être prêt à tout faire de A à Z, de la logistique au secrétariat, y compris quand on a été un cadre important avec une armée d'assistants ", prévient Éric Angelier, cofondateur de GreenPact, studio de start-up tournées vers la transition écologique. D'autant, signale-t-il, que ces néo-entrepreneurs plus âgés prennent plus de risques que de jeunes diplômés en quittant des jobs souvent bien rémunérés, malgré des emprunts financiers, des frais de scolarité à assumer et une vie familiale à repenser. Il est donc encore plus que primordial pour ce public de bien préparer son projet.
Prendre le temps
Isabelle Cham, la coach en développement de carrière, glisse un conseil précieux à ceux qui pourraient décider de tout lâcher pour foncer tête baissée dans leur projet : " Il n'est pas utile de tout plaquer du jour au lendemain. Mieux vaut prendre le temps de bien prototyper son projet et d'endosser tranquillement le costume de dirigeant. " Car de nombreuses questions vont se poser : quel est le secteur vers lequel je souhaite aller ? Mon domaine d'expertise ou une reconversion ? Comment mener ce projet : seul, avec des associés, en toute indépendance ou en franchise ? Créer mon activité en partant d'une feuille blanche ou plutôt reprendre une société et la développer ? Et puis, sur quels moyens m'appuyer ?
Évidemment, il est impossible d'avoir toutes ces réponses d'un coup de baguette magique. Il est donc recommandé d'échanger avec des entrepreneurs, des membres de son réseau, de tester son idée, de se promener dans les salons professionnels pour engranger des bonnes pratiques. Finalement, c'est bien en entreprenant qu'on devient entrepreneur. D'autant plus que la législation française est plutôt favorable avec des possibilités de démarrage en douceur : par exemple, le congé pour création d'entreprise, l'Accre ou, moins spécifiquement, la rupture conventionnelle.
Et s'il n'y a pas de recette miracle pour devenir un entrepreneur à succès, l'accompagnement est une clé essentielle, comme le soulignent Olivier de La Chevasnerie pour Réseau entreprendre et Patricia Lexcellent, nouvelle déléguée générale d'Initiative France. " Les chiffres le prouvent : les projets accompagnés par les réseaux ont beaucoup plus de chances de passer l'épreuve des trois ans ", assure cette dernière.
L'entrepreneuriat vous démange mais vous attendez l'idée du siècle pour vous lancer ? Il vous faudra trouver une autre excuse. " Innover est toujours une bonne chose mais ce n'est pas indispensable. Une idée en soi, ne vaut rien. C'est sa mise en oeuvre qui compte. Facebook par exemple a émergé en super leader alors que plusieurs personnes avaient eu la même idée au même moment. Le plus important est de trouver un bon positionnement : faire la même chose mais en mieux, cela marche très bien aussi ! ", insiste Éric Angelier, le spécialiste de l'innovation. Alors prêts pour le grand saut ?
Témoignage
" À 50 ans, j'ai appris les codes des start-upper "
Tristan Daube, président de Travel Assist
Contrôleur de gestion de formation, devenu expert des centres d'appels pour lesquels il a managé des sites de plus de 1 000 collaborateurs, Tristan Daube a eu, en 2013, envie de se poser. " Je venais de passer 15 ans de ma vie sans être vraiment à la maison ", confie-t-il. Il décide donc de se lancer dans l'entrepreneuriat, même s'il n'a alors pas de projet bien défini. Le déclic se fait, par hasard, à l'occasion du voyage d'un couple d'amis, en situation délicate à New York. Bon connaisseur de cette ville, il les guide depuis la France, via les messageries instantanées et leur reconstruit le déroulé de leurs vacances. L'idée chemine... jusqu'à la création en 2019 de la start-up Travel Assist. Le concept : une conciergerie de voyage disponible 24h/24 via une messagerie instantanée.
En 2021, près de 200 000 euros de chiffre d'affaires devraient être réalisés et 15 recrutements sont prévus.
Objectif à quatre ans : un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros (soit l'équivalent de 500 000 voyageurs accompagnés), pour une soixantaine de salariés. " J'ai dû tout apprendre de la vie du start-upper : les pitchs, les réseaux sociaux, les concours, l'incubation, les levées de fonds, etc. Je dois franchir tous les rites d'initiation, sourit le quinquagénaire, expliquant côtoyer plus de jeunes ingénieurs de 20 ans que des personnes de son âge. Pourtant, je ne me sens pas en décalage. Tout s'apprend. Et puis, il y a des avantages : mon expérience rassure les partenaires. " Sa famille, elle, n'est pas encore tout à fait sereine. " Quitter une activité confortable pour un saut à l'élastique (sans savoir si l'élastique va tenir) peut faire peur. La situation peut être temporairement difficile, tant humainement que financièrement. "
Travel Assist
Conciergerie de voyages
Saint-Étienne (Loire)
Tristan Daube, président, 50 ans
SAS > Création en 2019 > 4 salariés
CA 2020 NC
Témoignage
" J'avais envie de me lancer, mais aussi des doutes "
Virginie Rivière, présidente de Leora
À l'approche de la quarantaine, Virginie Rivière est épanouie. La Bordelaise a fondé il y a trois ans son entreprise, Leora, spécialisée dans la conception et la fabrication d'écharpes de portage. Ingénieure agronome recrutée directement à l'obtention de son diplôme par le Crédit agricole (pôle viticulture), elle a eu envie de donner une nouvelle orientation à sa vie. " Après dix ans dans le monde bancaire, je n'avais plus vraiment de passion pour mon métier. Je suivais une carrière confortable bien tracée devant moi, or j'avais besoin de redonner du sens à mon travail. "
Elle profite d'une mission d'un an à l'étranger de son époux pour l'accompagner sur place et réfléchir à son avenir. " Le fait de prendre du recul physiquement et psychologiquement avec mon quotidien habituel a créé les conditions nécessaires pour une prise de décision. "
Maman de deux jeunes enfants, elle s'était prise de passion peu de temps auparavant pour le portage en écharpe. " J'avais fait beaucoup de recherches pour mes enfants. Et puis, mon cerveau d'ingénieur s'est mis en route... J'ai commencé à imaginer comment je pourrais concevoir des écharpes de meilleure qualité ", raconte Virginie Rivière.
À Québec, elle part alors à la rencontre d'artisans du textile qui lui enseignent les premiers rudiments. À son retour en France, elle démarre seule, dans son salon, dans le cadre d'un congé pour création d'entreprise. Une vraie sortie de secours potentielle dont elle avait besoin pour se sécuriser. " Je doutais beaucoup, j'avais peur de me lancer, car financièrement cela représentait quand même un risque. Je n'avais pas plus d'ambition que celle de créer mon propre emploi. " Trois ans plus tard, Virginie Rivière dispose de locaux dédiés et peut s'appuyer sur cinq salariés. Leora vend plus de 1 500 écharpes par an.
Leora
Écharpes de portage
Bordeaux (Gironde)
Virginie Rivière, présidente, 38 ans
SASU > Création 2018 > 5 salariés
CA 2020 NC
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