Se réaliser en s'impliquant
Tous s'accordent sur un point : le contexte en France est favorable à la création d'entreprise. Les dispositifs d'accompagnement sont efficaces, les financements sont nombreux, les bassins de talents réels et la technologie élargit le champ des possibles. Mais " les chances de bénéficier d'un accompagnement ou d'un financement sont très inégalement réparties et dépendent fortement des caractéristiques sociales des porteurs de projet ", mentionne la doctorante en sociologie Marion Flécher dans son étude "Des inégalités d'accès aux inégalités de succès : enquête sur les fondateurs et fondatrices de start-up", publiée dans le n° 159 de Travail et Emploi (2019).
Ceux qui réussissent parient sur les levées de fonds et bénéficient d'aides sur mesure (pépinières, incubateurs, France Tech...), se font accompagner, sont soutenus par leurs écoles et jouent collectif. Aussi, la jeune génération se démarque par sa pugnacité, son envie d'en découdre pour imposer son idéal. Elle n'a cure du parcours semé d'embûches habituellement décrit lorsque l'on évoque la création d'entreprise. Ne leur parlez pas de difficultés. " Je vois plutôt des points d'apprentissage, chaque obstacle représente une opportunité d'apprendre et de tester des choses ", répond Lucie Basch. Comment passer outre ? " Je n'ai jamais eu l'impression d'être bloquée ", ajoute-t-elle encore.
Quel que soit leur terrain de jeu, ils cherchent à imposer leur vision du monde. Les jeunes femmes autant que les jeunes hommes. " La parité n'est pas un sujet pour nous ", atteste Émeric Oudin. Même si, dans son étude, Marion Flécher fait état de témoignages de fondatrices de start-up victimes de propos sexistes et discriminatoires de la part d'investisseurs... Dans tous les cas, l'envie de construire les anime.
Gilles Bertaux (29 ans) dirige la SAS Livestorm, plateforme de webinars et génération de leads B to B créée en 2016 (50 collaborateurs). Ce fils de fonctionnaire n'était guère prédestiné à s'orienter vers l'entrepreneuriat. C'est en suivant les cours de l'Hetic (l'école des métiers du Web) qu'il se passionne pour les projets et rencontre ses futurs associés. " Nous avions très envie de faire partie de la dynamique autour de l'écosystème de la Tech ", se souvient-il. Se lever tous les matins pour continuer d'apprendre et partager.
S'investir dans des projets tiers
Prix Moovjee 2019, Jean-Baptiste Maillant a fondé en 2015 Wing, une start-up qui propose une solution logistique aux PME, soutenue par VeePee. À 29 ans, il dirige une entreprise rentable, qui réalise 10 millions d'euros de chiffre d'affaires et emploie une cinquantaine de salariés en France. Non content de révolutionner la logistique - Wing s'est spécialisée dans la gestion du premier kilomètre, elle collecte, emballe et expédie les produits vendus en ligne -, Jean-Baptiste Maillant s'investit dans l'entrepreneuriat. Le virus l'a piqué très tôt : il a créé sa première affaire avant ses 20 ans, une marque de prêt-à-porter revendue depuis. " J'aime créer, le développement m'excite moins, mais cela fait du bien de se poser un peu. J'ai connu les années de garage, aujourd'hui je profite, je prends du recul et je m'implique. Je suis membre du Galion Project, think tank des entrepreneurs de la Tech, présent au board de la French Tech Aix Marseille et j'investis dans des start-up depuis deux ans. Je passe de l'autre côté de la barrière pour accompagner les porteurs de projet ", résume-t-il.
Plus jeune président d'une section du CJD (celle du Val d'Oise), Olivier Fougues, 24 ans, autodidacte, dirige Fourmi 327, son agence de marketing digital et de production audiovisuelle créée en 2016 : " J'ai fondé mon entreprise pour la liberté, et j'ai découvert au CJD un espace d'expérimentation. Par exemple, nous allons prochainement visiter un tiers lieu et assister à une plénière sur le télétravail. Nous pouvons ainsi prendre ces sujets et les adapter à nos entreprises, en faire bénéficier nos salariés, tirer tout le monde vers le haut... et échanger entre nous. " L'idée ? Passer le flambeau.
Témoignage
"L'enjeu est d'apprendre très vite"
Nicolas Bustamante, CEO de Doctrine
Doctrine s'engage pour un idéal?: celui de l'ouverture et la transparence du droit qui bénéficiera à tous, professionnels du droit comme justiciables " , affirme Nicolas Bustamante. Depuis qu'il a cofondé Doctrine, il n'a rien cédé. Son pari?? La transformation numérique de la justice. " La crise sanitaire n'a fait qu'accélérer ce besoin de transformation numérique souhaitée par trois avocats sur quatre en France, selon une enquête IFOP parue en juin 2020. La fermeture des tribunaux pendant le confinement, qui a entraîné un quasi-arrêt de la justice, a montré l'urgence d'avancer sur ce point ", argumente-t-il aujourd'hui. Pour développer son projet, Doctrine a levé 12 millions d'euros depuis sa création en 2016. Avant de se lancer dans l'aventure, et après un parcours à l'École Normale Supérieure (ENS) en droit et économie, Nicolas Bustamante a suivi un programme entrepreneurial à Berkeley (États-Unis). Pour lui, entreprendre, " c'est adresser une problématique de marché et proposer un service innovant qui sert des besoins sociétaux ". L'atout numéro 1?? " La connaissance de son marché et de ses besoins, mais aussi comment bâtir une équipe pour construire un projet commun, assure-t-il . Plus on a d'informations sur un sujet, plus on est à même de prendre de bonnes décisions. " Le jeune âge pourrait représenter un frein... mais, " nous vivons une époque formidable, beaucoup d'informations sont disponibles en ligne pour toute personne qui cherche à approfondir la maîtrise d'un sujet. L'enjeu est surtout d'apprendre très vite et savoir se réinventer au quotidien pour toujours avoir un coup d'avance sur les problématiques d'une entreprise grandissante ", estime-t-il. L'évangélisation du marché est en cours et du côté des sources, le décret sur l'Open data adopté en juin dernier représente une première étape.
Doctrine/Forseti
Base de données juridique
Paris (17e)
Nicolas Bustamante, CEO, 25 ans
SAS > Création en 2016 > 100 collaborateurs
CA 2019 : NC
Témoignage
"Améliorer la prise en charge des jeunes patients"
Léa Moukanas, présidente d'Aïda
Léa Moukanas s'est engagée à 15 ans, après le décès de sa grand-mère, atteinte d'une leucémie. Cherchant à venir en aide aux patients, elle frappe à la porte de structures... qui lui suggèrent de revenir lorsqu'elle sera majeure. Mais Léa est une jeune fille pressée, alors elle fonde son association, Aïda, initialement pour faire entrer les adolescents dans les hôpitaux à la rencontre des jeunes malades. Concrètement, il s'agit de permettre à une classe de seconde de s'engager dans l'établissement hospitalier le plus proche de son lycée. L'idée séduit. Aujourd'hui, Aïda s'est fixé trois missions?: l'aide aux patients de moins de 25 ans par des visites à l'hôpital et par le financement d'équipements contribuant à améliorer leur qualité de vie, le soutien à la recherche, la sensibilisation des jeunes aux maladies qui touchent d'autres jeunes. L'association rassemble 2?500 adhérents. " Nous intervenons dans 35 structures hospitalières en France et disposons d'antennes dans 15 villes pour accueillir les jeunes ", détaille la jeune Franco-Libanaise qui, bac en poche, a suivi des études à Sciences Po Paris (finances et stratégies) puis un cursus à Harvard sur la sociologie des organisations. " Je veux contribuer à améliorer la prise en charge des jeunes patients en France ", résume-t-elle. Pour y parvenir, l'association fait appel aux dons de ses partenaires - plusieurs dizaines d'entreprises - et gère un budget de l'ordre d'un million d'euros en 2020. Parallèlement, Léa a déjà publié deux romans ("La Machine à remonter le temps" en 2014 et "Ulysse chez les Phéniciens" en 2015 aux Éditions du Net). Elle donne aussi des conférences en entreprises sur l'engagement des jeunes et monte une boîte de conseils?!
Aïda
Association de soutien des jeunes atteints de cancer
Léa Moukanis, présidente, 21 ans
> Création en 2015 > 20 salariés, 450 bénévoles > 2 500 adhérents
Témoignage
"Nous fonctionnons comme une maison d'édition"
Camille Pichon, CEO de Rocambole
Rocambole, c'est le Netflix du livre ou la start-up qui se propose de sérialiser la littérature... ou plutôt le roman-feuilleton?! Un genre que Camille Pichon, 26 ans, a étudié en Lettres Modernes. Elle a ainsi cofondé Rocambole - avec trois associés -, une plateforme qui réunit des jeunes écrivains et des lecteurs autour d'oeuvres à lire en une dizaine de minutes pendant les transports ou dans une salle d'attente. " Je m'interroge sur les nouvelles pratiques de lecture numérique, avec l'ambition de proposer des contenus de qualité, littéraires, divertissants dans un format adapté ", explique l'entrepreneure. Pendant le confinement, la start-up a collaboré avec la presse, des feuilletons ayant été publiés par le journal 20 Minutes . Sur le même modèle que les plateformes en ligne de musique ou de séries, Rocambole propose un abonnement mensuel de 6,99 ¤ pour accéder au catalogue (une soixantaine d'oeuvres). " Notre objectif est de développer le pôle de production, nous fonctionnons comme une maison d'édition et nous souhaitons faire appel à des auteurs plus connus du grand public, ainsi que nous orienter vers une littérature plus proche de l'actualité ", confie Camille Pichon. Un premier tour de table (350?000 euros ) permet à Rocambole d'améliorer son application, une seconde levée plus importante devrait l'aider à s'exporter. En France, le public suit. " Avec deux profils, des grands lecteurs qui utilisent les moindres instants disponibles pour lire et des utilisateurs occasionnels qui profitent de Rocambole parce que le service est facile, peu coûteux et pas très engageant ", précise la dirigeante.
Rocambole
Plateforme de lecture de séries
Avignon (Vaucluse)
Camille Pichon, 26 ans, présidente
SAS > Création en 2019 > 10 collaborateurs
CA 2019 : NC
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