[Interview] Laurent Legendre : "Les business plans avec du cash burn sur 5 ans, c'est fini"
En 2024, les start-up françaises ont levé 8,1 milliards d'euros, marquant une baisse de 10% par rapport à l'année précédente. Pour la première fois depuis 2020, le nombre d'opérations a chuté de 18%. Laurent Legendre, président de Techinnov, revient sur les causes de ce ralentissement, les attentes des investisseurs, et livre ses conseils aux entrepreneurs pour s'adapter à ce contexte inédit.
Je m'abonneL'année 2024 a marqué un point de bascule pour les start-up françaises. Avec seulement 822 levées de fonds, totalisant 8,1 milliards d'euros, le recul s'avère significatif : -10% en montant et -18% en nombre d'opérations, une première depuis 2020. Ce ralentissement traduit un durcissement des critères d'investissement et une transformation de l'écosystème entrepreneurial. Pour Laurent Legendre, président de Techinnov et Directeur Régional Île-de-France chez Airbus Group Développement, les start-up doivent s'adapter à ces nouvelles exigences en faisant preuve de réalisme, d'adaptabilité et de résilience.
Quelles sont, selon vous, les principales raisons de cette chute des levées de fonds en 2024 ?
Laurent Legendre : "Il y a des raisons conjoncturelles évidentes, comme les tensions géopolitiques, l'inflation et la hausse des taux d'intérêt, qui limitent la disponibilité des capitaux. Mais c'est aussi le signe d'une certaine maturité de l'écosystème. Les investisseurs adoptent désormais une approche plus sélective. Ils ne financent plus des projets au stade de démonstrateur ou des business plans affichant du cash burn pendant plusieurs années. Aujourd'hui, on veut des modèles solides, des produits proches du marché, et des perspectives de rentabilité claires."
Vous mentionnez une maturité de l'écosystème. Pensez-vous que cela reflète un changement durable dans la manière dont l'innovation est financée ?
"Absolument. Nous ne reviendrons pas à l'époque où tout projet recevait des financements sans se confronter au marché. C'est une correction naturelle, et même bénéfique à long terme. Les start-up doivent s'habituer à des exigences plus élevées et intégrer ces nouvelles réalités dès leur création."
Le ralentissement des levées de fonds affecte-t-il différemment les start-up selon leur stade de maturité ?
"Les start-up en early-stage sont particulièrement vulnérables. Les levées sont plus longues, les montants obtenus souvent en deçà des attentes, ce qui freine leur développement. Les trésoreries sont tendues, et les entrepreneurs doivent composer avec des moyens limités. Les scale-up, elles, ont plus de facilité à lever des fonds, car elles ont déjà prouvé leur modèle et attirent des équipes d'open innovation ou de grands groupes pour des collaborations directes."
Quels sont les critères incontournables pour séduire des investisseurs dans ce contexte ?
"Les business plans doivent être beaucoup plus réalistes. Il ne suffit plus de promettre une croissance exponentielle. Les entrepreneurs doivent se confronter rapidement au marché, ajuster leurs technologies en fonction des besoins réels, et démontrer une capacité à générer des revenus à court ou moyen terme. Un autre point essentiel : présenter un time-to-market court et des budgets maîtrisés, tout en étant prêt à adapter son rythme de développement en fonction des financements obtenus."
Qu'entendez-vous par time-to-market court ?
"C'est la capacité à commercialiser un produit ou un service rapidement, idéalement dans un horizon de deux à trois ans. Les projets longs, sans visibilité claire sur la rentabilité, sont désormais perçus comme trop risqués."
Certains secteurs continuent-ils d'attirer les investisseurs malgré ce contexte difficile ?
"Oui, certains secteurs conservent une forte attractivité. Le numérique, l'intelligence artificielle, en particulier, continuent de concentrer les grandes levées. Ces domaines sont plus faciles à financer car ils nécessitent souvent moins d'investissements initiaux. Par ailleurs, les secteurs industriels restent porteurs, notamment lorsqu'ils s'appuient sur de grands donneurs d'ordre, capables de tirer les start-up dans leur sillage."
Quelles alternatives aux levées de fonds traditionnelles les start-up devraient-elles envisager ?
"Le financement participatif peut être une option, mais il reste limité pour les grosses levées. En revanche, je crois à des modèles mutualisés par filière. Par exemple, dans l'aéronautique, nous avons mis en place un fonds spécifique pour financer la supply chain. Ce type de modèle, s'il était élargi à d'autres secteurs, pourrait offrir une alternative intéressante pour soutenir les start-up."
Quelles seraient les conditions pour que ces fonds mutualisés voient le jour ?
"Il faudrait une volonté politique et un engagement des grands acteurs industriels. Ces fonds ne peuvent fonctionner que s'ils sont soutenus par l'ensemble d'une filière, avec un objectif commun de structuration et de soutien aux innovations."
Quels conseils pratiques donneriez-vous aux entrepreneurs pour traverser cette période ?
"La clé, c'est l'adaptabilité. Les start-up doivent se confronter au marché très tôt, rencontrer leurs futurs clients, et ajuster leur offre en fonction des retours. Il devient aussi indispensable de viser des time-to-market courts, car cela rassure les investisseurs. Enfin, il faut adopter une approche progressive : lever un montant raisonnable, prouver la viabilité du concept, et revenir ensuite pour une deuxième levée, plus ambitieuse."
Comment gérer la pression de devoir prouver rapidement la viabilité du concept ?
"Il s'agit de trouver un équilibre. Aller trop vite peut être risqué, mais attendre trop longtemps avant de se confronter au marché l'est tout autant. L'important est de rester flexible et de capitaliser sur chaque interaction avec ses prospects ou investisseurs pour affiner son projet."
Pour un entrepreneur qui voudrait se lancer aujourd'hui, que lui conseilleriez-vous ?
"Se positionner sur un secteur porteur est essentiel. L'intelligence artificielle ou la green tech, par exemple, offrent encore de belles opportunités. Mais au-delà du secteur, il faut collaborer étroitement avec les acteurs industriels ou institutionnels qui peuvent accompagner le développement et devenir des clients. Se lancer avec un objectif clair et une roadmap réaliste est la meilleure façon de réussir dans le contexte actuel."
Quels outils ou plateformes recommanderiez-vous pour maximiser ces collaborations ?
"Participer à des salons spécialisés ou des conventions comme Techinnov est un excellent moyen de se connecter aux bons interlocuteurs. Ces événements permettent de rencontrer des partenaires potentiels et d'ajuster son discours en fonction des besoins réels du marché."