La naissance du succès
Elle est repérée par Richard Sher, l'animateur vedette, qui lui propose de coanimer son talk-show du matin, People are talking. Et là, c'est le succès, le vrai, avec un grand " s " ! Son style proche des gens, enthousiaste , sa capacité à mettre les intervenants à l'aise et à communiquer font un malheur. Elle a, en tant que présentatrice, trouvé ce qui lui convient le mieux, il ne lui reste plus qu'à transformer l'essai. Oprah acquiert une popularité locale, mais elle n'est toujours pas la star qu'elle deviendra. Au bout de quelques années à Baltimore, elle commence à tourner en rond. Une histoire d'amour qui tourne mal (un homme qui refuse de quitter sa femme pour elle) la plonge dans une déprime sombre, à tel point qu'elle dira plus tard qu'elle a pensé au suicide. Pour se changer les idées, elle part pour Chicago en 1983. La WLS-TV l'embauche pour présenter AM Chicago , un talkshow du matin dont les audiences sont en berne. Sa première présentation a lieu le 2 janvier 1984. C'est le déclic. En quelques mois, son émission devient la plus regardée de Chicago ! Mieux encore, elle dépasse et ringardise le talk-show de Phil Donahue, le célèbre The Phil Donahue Show, communément surnommé le Donahue. Phil Donahue n'est pas n'importe qui, c'est en quelque sorte l'inventeur du talk-show moderne. Comme son nom l'indique, dans un " talk-show ", il y a le côté " parler " ( talk ) et le côté " montrer " ou " faire le show ". On ne se contente pas de débattre de sujets techniques sur un ton universitaire, il y a de l'animation, des blagues, on fait participer le public... et le présentateur joue un rôle essentiel, car c'est lui qui donne le ton de l'émission. Phil Donahue, la cinquantaine, un style professoral et des cheveux blancs, n'est plus au goût du jour. Il parle de politique, d'avortement, de guerre... de sujets pas assez personnels, comme tous les talk-shows de l'époque. C'est là qu'Oprah va apporter sa nouveauté. Elle dépoussière le concept, parle de sujets glamour, sexy, un rien voyeuristes. Mais surtout, elle a un don pour communiquer avec ses invités, les mettre en confiance, écouter ce qu'ils disent et poser la bonne question, c'est-à-dire celle que le public voudrait poser. Dans son talk-show, il y a de l'émotion, de la vie, de la joie et parfois des pleurs aussi. Avec elle, les invités en viennent aux larmes à force de confidences devant la caméra. Oprah aussi peut être émue aux larmes, par exemple lorsqu'elle évoque les abus sexuels dont elle a été victime. Aujourd'hui, déballer son linge sale sur un plateau de télévision, devant des millions de téléspectateurs, semble chose commune, mais ce n'est pas encore le cas au début des années 1980. Dans un sens, Oprah innove. Par exemple, en parlant en long, en large et en travers de ses problèmes de poids avec ses invités, en discutant des meilleurs régimes possibles. Il ne faudrait pourtant pas résumer son talk-show à un voyeurisme malsain, même s'il y a un peu de ça. En fait, si elle a si bien réussi, c'est certainement parce qu'elle est sincère et que le public, plus ou moins consciemment, sent cette sincérité. Les gens qui la connaissent bien la décrivent comme identique dans la vie et devant la caméra. Si elle pleure, ce n'est pas parce qu'elle se dit " Je vais pleurer, ça fera de l'audimat ", mais parce qu'elle est réellement émue. Et cette sincérité explique en partie qu'elle ait été appréciée dans quasiment toutes les couches de la population. En 1986, elle est une femme riche et célèbre dont le salaire annuel s'élève à 30 millions de dollars. Cette année-là, elle lance " son " talk-show, celui qui la rendra célèbre dans tous les Etats-Unis et même au-delà : The Oprah Winfrey Show, surnommé Oprah ou tout simplement O. Les recettes sont les mêmes que celles qui avaient fait le succès de AM Chicago et ça marche ! Elle devient une figure centrale du paysage audiovisuel américain. Cependant, le style évolue et, au début des années 1990, elle prend le contre-pied de la télé-poubelle alors en plein essor.
De l'audace : un contre-pied à la télévision classique
Son émission aborde désormais davantage la politique, le développement personnel ou la spiritualité. Preuve d'une audace plus grande, elle parle de livres dans Oprah's Book Club et invite des auteurs inconnus qu'elle transforme en vedettes. Elle devient l'une des principales faiseuses de best-sellers d'Amérique. Les Cassandre ont vu dans ces évolutions le début de la fin pour Oprah. Elle n'était plus dans le coup, disaient-elles. Le public voulait désormais du sexe, du sang et du " prêt-à-penser ", pas qu'on lui parle de livres, de politique ou des problèmes de société. Mais Oprah n'est pas femme à prêter l'oreille aux mauvaises langues. Elle connaît son métier et son public et elle a raison. De toute façon, elle fait ce qu'elle veut puisque désormais, elle est aussi productrice. De présentatrice de télévision, certes originale et à succès mais sans caractère entrepreneurial évident, elle devient chef d'entreprise.
En 1986, Oprah ne veut plus se contenter de présenter, elle désire avoir la main sur l'intégralité de son émission. C'est dans ce but qu'elle crée à Chicago sa société de production, baptisée sans grande originalité Harpo productions (son prénom écrit à l'envers donne Harpo). Harpo productions est l'activité principale d'Oprah. Le studio produit notamment son cultissime Oprah Winfrey Show de 1986 à 2011, année du dernier épisode. Ce talk-show est tout simplement le plus regardé de la télévision américaine, avec des pics à plus de 13 millions de téléspectateurs au début des années 1990. L'émission est devenue un pan de la culture populaire américaine, par exemple avec la célèbre interview de Michael Jackson en 1993, et elle vaudra à Oprah une pluie de trophées décernés par le monde des médias, comme les Emmy Awards. Le Wall Street Journal a même inventé le mot " Oprahfication " pour désigner le fait de se confesser en public, l'une de ses spécialités (que ce soit sa confession à elle ou celle de ses invités). Au-delà des Etats-Unis, son talk-show a été diffusé dans environ 140 pays, entre autres au Canada, au Royaume-Uni et en Arabie saoudite. Sa popularité a pris de l'ampleur dans plusieurs régions du Moyen-Orient, et les femmes de ces pays ont vu Oprah comme un modèle d'émancipation et de réussite féminine. En plus de son talk-show, Oprah produit d'autres émissions, que ce soit pour elle-même, comme le Oprah Prime (de 2012 à 2015) ou Oprah : Where Are They Now ? (de 2012 à 2017), ou d'autres présentateurs, comme Dr. Phil , Rachel Ray ou The Rosie Show. Au-delà de la télévision, son entreprise s'est lancée dans la production de films, avec la filiale Harpo films. Ces films et téléfilms abordent souvent la place des afro-américains dans la société américaine, et des questions comme le racisme ou l'esclavage. Le succès financier est cependant aléatoire et conduit à la fermeture du studio en 2013. Ce qui ne l'a pas empêchée de coproduire d'autres films par la suite, notamment en 2014 "Selma", qui traite du mouvement des droits civiques en 1965 à Selma, en Alabama. Oprah ne s'arrête pas là. L'entreprise s'est aussi lancée dans la production d'émissions de radio, avec Harpo radio. Mais là encore, le succès ne fut pas à la hauteur des attentes, et le studio a été fermé en 2015. Oprah s'est aussi essayée à l'édition, avec O, The Oprah Magazine, vendu à presque trois millions d'exemplaires et comportant une édition spéciale pour l'Afrique du sud. On y parle de sujets légers comme les régimes, la mode, le fitness, parfois aussi du développement et des problèmes personnels. L'expérience a également donné lieu à la publication de livres qu'elle n'a pas écrits mais qui portent sa marque, comme O's Little Book of Happiness. Cet inventaire à la Prévert donne une idée de la stratégie d'Oprah l'entrepreneur. En capitalisant sur ses succès à la télévision, ses affaires se diversifient dans tous les secteurs parallèles, comme le cinéma, la radio, les journaux. En fait, ce que vend Oprah, c'est elle-même : son style, sa notoriété, son nom et son visage connus de tous les Américains et appréciés par nombre d'entre eux.
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