Transmission, une affaire d'anticipation
La France vieillit, et la démographie des dirigeants n'échappe pas à la règle. La conséquence est sans appel: tous nos chefs d'entreprise ne trouveront pas de successeur, et il y a fort à parier que ceux qui prépareront le plus activement leur projet de cession transmettront dans de meilleures conditions. La question est sensible car elle sanctionne le travail et la passion de toute une vie...
Consacrant notre dossier du mois à ce sujet complexe, nous sommes partis à la rencontre de cinq duos cédants-repreneurs qui ont réussi leur pari. EBA, un fabricant aveyronnais d'escaliers sur mesure, illustre un mode de reprise fort original: transformée en coopérative, la PME est aujourd'hui détenue, à 48 %, par ses salariés. Dans le Rhône, la société Roux, une tôlerie industrielle, a été rachetée par un confrère qui a ainsi pu développer des synergies industrielles et commerciales. En Bretagne, Pharmaouest, une entreprise familiale spécialisée dans le matériel médical, a pu être transmise de père en fils grâce à un passage de flambeau organisé et progressif. A Orléans, Jacques Richard, fondateur d'une affaire d'entretien d'espaces verts, a pu céder son fauteuil de président à son bras droit, longuement préparé à ses futures responsabilités. Enfin, à Paris, l'enseigne de restauration Le Bar à Huîtres a été acquise par un cabinet de capital-développement qui en a préservé l'esprit et le savoir-faire. Cinq success-stories dont les leçons sont à méditer...
Stéfanie Moge-Masson
CAS 1
EBA est reprise par l'ensemble de ses salariés
En 2005, cette PME aveyronnaise, devenue coopérative, a été rachetée par ses 52 collaborateurs. Un mode de transmission original qui a permis de pérenniser l'activité de l'entreprise et, surtout, de sauver tous les emplois.
Par Emmanuelle Sampers
Pari réussi pour Bernard Delpech. En 2005, le dirigeant du fabricant d'escaliers EBA transforme son entreprise en Scop (société coopérative de production), pour permettre à ses 52 salariés de prendre la majorité du capital. Il faut dire qu'à l'époque, EBA joue son avenir. Deux ans plus tôt, Joël Touraille, co-actionnaire, décède brutalement, laissant Bernard Delpech, alors directeur général, seul aux commandes de l'entreprise «Je devais préparer la succession», se souvient-il. D'autant que l'actuel dirigeant de la PME, alors âgé de 57 ans, approchait de l'âge de la retraite Un an plus tard, il recrute Pascal Biar comme bras droit, et l'associe dans son projet de recherche d'un repreneur. D'emblée, la piste d'une cession industrielle est envisagée. En 2004, les deux hommes approchent deux groupes mais ces deux tentatives tournent court «Ils ont jugé l'entreprise trop excentrée géographiquement» Du coup, le patron d'EBA craint d'être acculé à délocaliser son entreprise, ce qu'il veut à tout prix éviter «Nous tenions coûte que coûte à maintenir l'emploi local».
Transmettre son entreprise à ses salariés? L'idée s'impose, peu à peu, aux deux hommes comme la seule solution pour pérenniser les emplois. Surtout, la reprise de l'entreprise par le personnel s'inscrit dans le fil logique de l'histoire d'EBA. En 1991, déjà, la société, alors en liquidation judiciaire, a vécu un RES - rachat d'entreprise par les salariés. A cette occasion, les employés sont devenus actionnaires à 48 % Le reste étant détenu par les deux dirigeants. Accroître la participation des salariés? Etant donné que les repreneurs potentiels ne séduisent pas Bernard Delpech, cette idée s'impose comme une évidence pour maintenir l'entreprise dans le tissu local. D'autant que la majorité du personnel d'EBA est tentée par le projet. Mais encore faut-il trouver de quoi financer la part de l'associé défunt, représentant 24 % du capital de l'entreprise, le reste étant conservé par Bernard Delpech. Pour leur faciliter les choses, le patron d'EBA opte pour une reprise progressive. Le principe? Pendant sept ans, chaque salarié accroît peu à peu sa participation, via un prélèvement de 3,5 % de son salaire brut annuel. «A terme, chaque salarié détiendra une participation dont la valorisation équivaudra à trois mois de salaire brut», précise le dirigeant.
@ DR
En 2009, Bernard Delpech cédera la direction de l'entreprise au dirigeant élu par les salariés associés.
La greffe a réussi: aujourd'hui, 82 % des salariés sont actionnaires de l'entreprise. Ils détiennent, avec le dirigeant, 80 % du capital. Mais le quotidien de l'entreprise a quelque peu changé. Certes, Bernard Delpech officie toujours au poste de dirigeant, mais c'est seulement parce qu'il a été élu démocratiquement par les salariés actionnaires. Le conseil d'administration, dont le rôle consiste à prendre au fil de l'année les décisions relatives au bon fonctionnement de l'entreprise, s'est étoffé: un agent commercial, deux employés de la production et deux collaborateurs administratifs ont rejoint Bernard Delpech, Pascal Biar, secrétaire général de l'entreprise et le directeur commercial. Surtout, chaque salarié actionnaire dispose d'une voix, quelle que soit sa part de capital, lors de l'assemblée générale annuelle. «Le conseil d'administration continue à prendre la majorité des décisions, mais certains sujets relatifs à l'avenir de l'entreprise, comme l'affectation des résultats ou le renouvellement des mandats d'administrateurs, sont abordés en assemblée générale.» Et pour accompagner les salariés dans leur nouveau rôle, le dirigeant leur propose des formations à la fonction d'administrateur et au fonctionnement d'une Scop. Car, dans trois ans, Bernard Delpech tirera sa révérence, retraite oblige. Son capital lui sera remboursé progressivement, sur trois à cinq ans, comme le prévoit la coopérative. Son bras droit, Pascal Biar, lui succédera sans doute. S'il est élu par les salariés associés.
EBA - Repères
- ACTIVITE: fabrication d'escaliers sur mesure
- VILLE: Sainte-Geneviève-sur-Argence (Aveyron)
- FORME JURIDIQUE: Scop
- DIRIGEANT: Bernard Delpech, 57 ans
- ANNEE DE CREATION: 1990
- EFFECTIF: 52 salariés
- CA 2005: 5 millions d'euros
@ DR
GILLES LECONTRE, p-dg d'Intercessio, cabinet de transmission de PME-PMI
L'OEIL DU CONSULTANT
Un choix audacieux, mais pas toujours pérenne
Si Gilles Lecointre salue le principe de l'actionnariat salarié, il se montre plus réservé sur celui de la coopérative. «Je suis tout à fait favorable à l'association des salariés au capital car c'est un outil de motivation indéniable, affirme-t-il. En revanche, quand le capital est détenu à la majorité par les salariés, comme c'est le cas ici, je m'interroge sur la capacité du dirigeant à manager de façon indépendante. L'intérêt des salariés ne risque-t-il pas d'entrer en contradiction avec celui de l'entreprise?» En outre, le dirigeant doit posséder un charisme certain pour prendre les rênes d'une entreprise dans laquelle chaque salarié dispose d'une voix, et peut donc souhaiter se faire entendre «Il doit se positionner comme le patron et prendre le leadership même s'il n'a pas tout pouvoir de décision. L'autogestion des salariés est à bannir.»
CAS 2
Alain Géron passe le témoin à l'un de ses pairs
Départ en préretraite oblige, le patron de la tôlerie Roux a déniché, en la personne de Pascal Mortreuil, lui aussi à la tête d'une tôlerie industrielle, le repreneur idéal.
Par Hélène Duvigneau
Depuis qu'il a décidé de devenir son propre patron, Alain Géron, ancien cadre supérieur chez Air Liquide, s'était fait une spécialité d'acheter des entreprises pour trouver des synergies créatrices de valeur Pourtant, à presque 58 ans, l'homme d'affaires a choisi d'arrêter ce sport et de passer définitivement la main, en revendant sa dernière acquisition, la tôlerie Roux, une PME de quinze salariés spécialisée dans la fabrication de prototypes pour l'industrie automobile et l'équipement industriel Mais, pour autant, pas question de céder au premier venu la petite affaire rachetée il y a sept ans «J'ai voulu anticiper mon départ pour ne pas me retrouver le couteau sous la gorge, confie Alain Géron Mais je me suis rendu compte qu'il n'était pas facile de céder une entreprise, même quand on n'en est pas le fondateur» S'il se met activement en quête d'un successeur, le dirigeant préfère taire ses intentions vis-à-vis de ses salariés «Tout changement est source d'inquiétude, argumente-t-il Surtout dans un secteur comme le mien, où l'on assiste parfois à des délocalisations» Afin de faciliter la transmission, il fait appel à un intermédiaire spécialisé dans la transmission d'entreprises Ses consignes sont très claires Alain Géron veut faire affaire avec un industriel capable non seulement d'assurer la pérennité de l'entreprise, mais aussi de la développer Le candidat sera donc une entreprise dont les clients, ou les gammes de produits, seront complémentaires de celle de la tôlerie Roux. Une bonne façon de susciter des synergies commerciales. En cédant la totalité de ses parts à Pascal Mortreuil, p-dg de Poncin, une tôlerie lyonnaise de soixante salariés, Alain Géron a réussi à faire d'une pierre deux coups. Après avoir rencontré quatre candidats dont la capacité financière est jugée insuffisante, le patron de la tôlerie Roux a enfin trouvé chaussure à son pied.
Intérêts croisés. Car la tôlerie Poncin, qui produit des pièces en série, possède un savoir-faire technique bien différent de celui de l'entreprise Roux, spécialisée dans les prototypes et les pièces uniques. Idem côté commercial: Roux a pour clients historiques Renault Trucks et des équipementiers de la SNCF, tandis que Poncin chasse plutôt sur les terres d'équipementiers du transport, de la machine agricole et du BTP. «L'opération de transmission a permis à chacun d'étendre la gamme de ses produits et de satisfaire tous types de demandes», analyse Alain Géron. Sans compter que grâce à l'appui de Poncin, Roux a accru sa capacité de production d'environ 15 %. De son côté, Pascal Mortreuil est, lui aussi, ravi de son acquisition. «Les deux entreprises ont des intérêts croisés, commente-t-il. Les gros donneurs d'ordres ont à la fois besoin de petites séries et d'un outil de production puissant pour produire des pièces plus courantes.» A 46 ans, il n'est pas un patron débutant. Bien au contraire. Et son brillant passé de manager a pesé dans la décision d'Alain Géron. Ancien directeur commercial de PME comme de plus grandes entreprises (Printemps, France Télécom), Pascal Mortreuil a racheté Poncin en 2000 et a littéralement dopé sa croissance. Sous son impulsion, la tôlerie a quasiment doublé son chiffre d'affaires, passant de 3,5 millions en 2003 à 6,8 millions d'euros en 2006. «En plus d'être un bon commercial, souligne Alain Géron, Pascal Mortreuil a été capable de reprendre une tôlerie, de la développer et d'anticiper la demande du marché.» Dernier argument, et de poids: Roux se trouvant à soixante kilomètres de Poncin, le repreneur ne pouvait être tenté de regrouper les deux sites. «C'était d'autant plus important à mes yeux que nos savoir- faire étaient trop différents pour que les salariés puissent être déplacés d'un site à l'autre du jour au lendemain», argumente Alain Géron. Après avoir passé au crible l'ensemble des paramètres, les deux dirigeants ont signé en juillet dernier. Grâce aux bons résultats de Poncin et à la présence déjà ancienne de trois fonds d'investissement dans son capital, Pascal Mortreuil a financé sur fonds propres 20 % de son projet, le reste ayant fait l'objet d'un emprunt à moyen terme. Arrivé chez Roux, le premier geste de Pascal Mortreuil a été de rassurer les salariés en leur exposant sa stratégie. «Il fallait absolument leur montrer qu'il n'y aurait pas de regroupement de site.» Après deux mois d'accompagnement, Alain Géron s'est résolu à plier bagages. Mais loin de lui l'idée d'arrêter toute activité professionnelle. Sa dernière activité, business angel, n'est pas très éloignée de l'univers de la transmission.
ROUX - Repères
- ACTIVITE: Tôlerie industrielle et chaudronnerie fine
- DIRIGEANT: Pascal Mortreuil, 46 ans
- FORME JURIDIQUE: SAS
- DATE DE CREATION: 1965
- EFFECTIF: 15 salariés
- VILLE: Corbas (Rhône)
- CA 2006: 3,4 millions d'euros
@ DR
DAMIEN NOEL, fondateur et gérant de Fusacq, place de marché visant à faciliter les fusions acquisitions
L'OEIL DU CONSULTANT
Le cédant doit veiller à bien définir le profil du repreneur
Pour ce spécialiste des fusions-acquisitions, «le meilleur repreneur n'est pas forcement celui qui fait la meilleure offre financière, mais celui qui réunit toutes les conditions pour assurer la pérennité de l'entreprise». Ses conseils pour trouver le bon profil? Définir une stratégie de transmission «Dans les petites structures, il est rare de voir le numéro 2 prendre les commandes. Or, le cédant ne doit pas négliger l'aspect affectif de la transmission Pour ne pas se retrouver dos au mur, le mieux pour lui est de se faire accompagner par un intermédiaire». Souvent accuse de négliger l'intérêt des salaries, le rapprochement industriel présente, selon Damien Noël, l'avantage de permettre au repreneur d'assurer la pérennité de son entreprise tout en tirant un bon prix de vente «En revendant a un industriel, le dirigeant crée de la valeur. Mais de son côte, le repreneur cherche parfois a réduire les coûts, salariaux notamment Avant de revendre, Alain Geron s'est donc assure que ce n'était pas l'intention de son repreneur, mais que celui-ci visait plutôt a développer les ventes» Pourtant la reprise industrielle comporte un risque en cas d'échec des négociations, la confidentialité n'est pas assurée, la société pressentie pour la reprise ayant eu accès a certaines informations stratégiques
CAS 3
De père en fils, une succession réussie
Créée par le père, cette entreprise familiale est aujourd'hui dirigée par le fils, Frédéric Mittre. Une transmission qui s'est opérée progressivement, après une direction en tandem pendant plusieurs années.
Par Stéphanie Fontana-Bérard
Gestion de nouvelles commandes, suivi des affaires à l'export, relations avec les fournisseurs, contacts avec la presse... Frédéric Mittre doit être partout. Pas étonnant depuis le décès de son père, il y a cinq mois, ce chef d'entreprise est seul aux commandes de Pharmaouest, une entreprise familiale de 80 collaborateurs «Je suis heureux de diriger l'entreprise, comme mon père me l'a appris», confie le patron de cette société d'équipement médical pour les personnes dépendantes Succéder à son père dans l'entreprise familiale, un destin naturel pour ce fils d'entrepreneur? Pas vraiment. Car, quand Jacques Mittre crée Pharmaouest en 1980, Frédéric, son fils, alors étudiant en comptabilité, n'a que dix-huit ans A l'époque, le jeune homme ne pense qu'à découvrir le monde. «Pendant que l'entreprise se développait, je suis parti du cocon familial pour voyager et travailler en Afrique», se souvient-il. Mais si lui ne pense pas à l'avenir, son père y songe pour lui. Lorsque Frédéric Mittre rentre de son périple, son père lui propose de rejoindre l'entreprise familiale, en se chargeant de l'export Ravi de partir explorer d'autres contrées, le jeune comptable accepte et fait son entrée dans l'entreprise en 1989. Un poste sur mesure pour ce globe-trotter Au fil des mois, le fils du p-dg s'im pose dans la PME il développe l'export, qui passe de 1 à 16% du chiffre d'affaires, y rencontre sa future femme et, surtout, assoit sa crédibilité auprès du personnel «Je n'ai pas voulu être parachuté à la direction de l'entreprise comme fils du patron, confie Frédéric Mittre. En faisant mes premiers pas comme commercial, j'ai été bien mieux accepté». Si bien qu'en 1994, Jacques Mittre met la question de la succession sur le tapis. II a alors 62 ans Frédéric, lui, y voit une belle occasion de prendre davantage de responsabilités «Je m'étais attaché à cette entreprise J'étais fier de succéder à mon père C'était une belle opportunité»
Une transmission préparée en amont Les deux hommes décident de préparer cette transmission dans les règles de l'art Juridiquement, d'abord «Pour assurer l'avenir de l'entreprise en cas de disparition subite de mes parents, ceux-ci ont fait une donation-partage des titres pour que je devienne majoritaire». Un montage juridique qui a, d'une part, exonéré Frédéric Mittre de droits de succession et, d'autre part, partagé le patrimoine familial entre Frédéric et sa soeur, qui ne tenait pas à prendre part à la PME familiale. La transmission de son patrimoine réglée, Jacques Mittre doit passer le flambeau. Un moment difficile pour le fondateur de Pharmaouest «Malgré la confiance qu'il me témoignait, il a eu beaucoup de mal à tourner la page Il a dû faire beaucoup de concessions pour me laisser, peu à peu, la place» Pour ménager son père, Frédéric Mittre accepte de fonctionner en tandem. A partir de 1995, et pendant sept ans, père et fils partagent le fauteuil de p-dg. «Nous avons géré ensemble les affaires, sans réel partage des tâches», se souvient Frédéric Mittre, alors directeur général. Cette complicité rassure les partenaires de la PME. «La transition a été beaucoup plus progressive pour les clients, les banques et les fournisseurs». Et quand Jacques Mittre prend sa retraite, en 1997, il continue à veiller au grain en coulisses. «Je ne voulais pas que mon père soit évincé du jour au lendemain», confie Frédéric Mittre, devenu p-dg. Pour profiter de la présence rassurante de son père, le nouveau patron de Pharmaouest change les statuts de la société. «Nous l'avons transformée en société à directoire Mon père dirigeait le conseil de surveillance, et moi le directoire. Cela permettait à mon père, qui avait créé Pharmaouest, de garder un rôle actif dans l'entreprise». Jusqu'à son décès, à l'âge de 74 ans, Jacques Mittre a donné à son fils ses conseils avisés. Aujourd'hui, Frédéric les applique.
PHARMAOUEST - Repères
- ACTIVITE: Fabrication d'équipement médical
- VILLE: Mmiac Morvan (llle-et-Vilaine)
- FORME JURIDIQUE: société anonyme a directoire
- DIRIGEANT: Frédéric Mittre, 46 ans
- ANNEE DE CREATION: 1980
- EFFECTIF: 80 salaries
- CA 2006: 10,1 millions d'euros
@ DR
JEAN-LUC BRIONNE, associé de PriceWaterhouse Coopers, en charge des entreprises patrimoniales
L'OEIL DU CONSULTANT
Un cas idéal de transmission familiale
La transmission de Pharmaouest? «Elle est idyllique, s'enthousiasme Jean-Luc Brionne. Les transmissions d'entreprises familiales génèrent souvent des conflits et une foule de problèmes juridiques de transmission du capital.
A contrario, chez Pharmaouest, la transmission semble s'être opérée sans conflit.» Pour le consultant de PriceWaterhouse Coopers, l'idée de la donation-partage a contribué à cette réussite: «Le cédant a ainsi partagé de son vivant, son patrimoine entre ses enfants.» Autre atout de Pharmaouest: un passage de flambeau progressif. «Le cédant a eu tout le temps d'inculquer à son fils son savoir-faire et sa méthode de management.»
Quant au changement des statuts, c'est également une excellente initiative, selon Jean-Luc Brionne: «Cela permet de partager le pouvoir, car le cédant peut garder un rôle actif dans son affaire.»
CAS 4
Il transmet en douceur à son bras droit
En cédant sa société à son second, en place depuis plus de dix ans, Jacques Richard avait de quoi être rassuré. Pour autant, à vouloir trop préparer les choses, il a finalement eu du mal à s'effacer.
Par Virginie Jacob
Quand Jacques Richard a embauché Jean-Marc Sipan, en 1988, il n'imaginait pas que ce dernier deviendrait un jour propriétaire de J. Richard SA, la société spécialisée dans la création et l'entretien d'espaces verts, créée en 1964 «A l'époque, l'entreprise grandissait et j'avais tout simplement besoin d'un second», relate l'ancien dirigeant. Au bout de quelques années, le trouvant très sérieux et approchant de la cinquantaine, Jacques Richard se tourne vers Jean-Marc Sipan pour lui proposer de reprendre son affaire. Une idée qui retient l'attention du dauphin.
Une transmission bien préparée... Les deux hommes laissent mûrir le projet pendant environ un an, puis décident de créer ensemble une société d'exploitation dont le futur repreneur détiendra 49% «C'était la situation idéale. Restant majoritaire, je demeurais maître de la situation et, de son côté, Jean-Marc Sipan avait du temps pour se constituer un capital en vue de la reprise» D'autant que cette société, chargée d'exploiter le fonds de commerce de J. Richard SA, prend beaucoup de valeur au cours des quatre années qui précèdent la reprise. Des années durant lesquelles cédant et repreneur préparent la passation de témoin «Monsieur Richard me tenait au courant de tout ce qui avait trait à l'entreprise, témoigne le repreneur Je l'accompagnais lors de ses rencontres avec les clients, de façon à ce que ces derniers prennent l'habitude de traiter avec moi» Une stratégie bien menée puisqu'en 2000, au moment du passage de flambeau, la perte de clientèle est minime «La quasi totalité des clients m'ont suivi», souligne Jean- Marc Sipan. De même, vis-à-vis des salariés, le changement de direction s'opère en douceur «Durant les années qui ont précédé la reprise, j'ai pris de plus en plus de responsabilités, raconte l'actuel dirigeant. Si bien que je n'ai pas rencontré de véritable problème, par la suite, pour asseoir mon autorité»
Difficile de couper le cordon. Finalement, Jacques Richard n'aurait pu espérer meilleur scénario pour la cession de son «bébé» Si ce n'est qu'il avoue avoir éprouvé quelque peine à couper le cordon «Après la vente, je suis resté trois ans dans l'entreprise, comme le prévoyait notre accord, ce qui m'a permis d'atteindre l'âge légal de la retraite. Mais quelques mois auraient largement suffi» Ainsi, un an après la reprise, l'ancien dirigeant continue d'exercer des fonctions commerciales et surveille quelques chantiers «Par habitude, certains salariés continuaient de se tourner vers moi» Bien sûr, le repreneur trouve, lui aussi, le temps long «Lorsque la transmission a été si bien préparée en amont, il n'y a pas besoin de cet accompagnement supplémentaire» Jean-Marc Sipan avoue avoir dû, parfois, jouer des coudes pour s'imposer. Mais avec le recul, Jacques Richard applaudit les changements opérés par son dauphin «Il a notamment nommé un responsable pour chacune des deux activités de l'entreprise (la création des espaces verts et l'entretien, ndlr), ce qui a permis de travailler de façon beau coup plus structurée» L'ancien patron salue également l'entrée au capital du comptable de la société, qui en détient désormais 10% Et surtout, il reconnaît les talents de gestionnaire de la nouvelle équipe, qui a augmenté de façon significative le résultat des le premier exercice qui a suivi la reprise. A tel point qu'il regretterait presque de ne plus en être actionnaire «Au moment de la cession, j'ai beaucoup hésite à garder une participation minoritaire» Et de conclure avec humour «Si j'avais su, j'en aurais gardé un peu!»
Jacques Richard: «Après la vente, je suis resté trois ans dans l'entreprise.»
Jean-Marc Sipan, repreneur de J. Richard SA: «A la reprise, en 2000, la quasi totalité des clients m'ont suivi.»
GMB - Repères
- ACTIVITE: création et entretien d'espaces verts
- VILLE: Orléans (Loiret)
- DATE DE CREATION: 1964
- FORME JURIDIQUE: SA
- CEDANT: Jacques Richard
- REPRENEUR: Jean-Marc Sipan 47 ans
- EFFECTIF: 60 salaries
- CA PREVISIONNEL 2006: 5 millions d'euros
MAITRE NICOLAS BOURACHOT, avocat associé au sein du cabinet Jacques Bret, spécialisé dans la transmission d'entreprises
L'OEIL DU CONSULTANT
Transmettre à son «second», un schéma très classique
«Dans une entreprise familiale, ou il y a une part importante d'intuitu personae entre le dirigeant et la clientèle, transmettre à son bras droit est souvent le seul schéma possible.» Maître Nicolas Bourachot approuve d'ailleurs la méthode de Jacques Richard: «Emmener son futur successeur dans ses rendez-vous commerciaux est indispensable pour que les clients prennent confiance en lui.» De même qu'il souligne l'importance d'être entièrement transparent quant à la gestion de l'entreprise. «Certains dirigeants peuvent hésiter à révéler toutes les données stratégiques de leur société, de peur que l'éventuel successeur ne profite finalement de toutes ces informations pour créer une entreprise concurrente.» L'avocat conseille alors de contractualiser très tôt les droits et devoirs des deux parties: «Vous pouvez, par exemple, faire signer à votre futur repreneur une promesse d'achat indiquant qu'il reprendra 10% en année n-3, 50% en année n-1 et 100% en année n. Mettez-vous d'accord dès le départ sur le prix ou sur une formule le déterminant, pour ne pas avoir à négocier au dernier moment.» Enfin, si, ici, tout s'est bien passé sur le plan social, Maître Nicolas Bourachot rappelle que «l'aspect humain est souvent le principal écueil. Pour bien positionner son successeur, il faut le faire participer aux décisions concernant les salariés. Associez-le, par exemple, aux négociations collectives, et, surtout, n'ayez pas une attitude directive vis-à-vis de lui devant les salariés.»
CAS 5
Le Bar à Huîtres est vendu à des investisseurs
Après avoir dirigé, vingt-cinq ans durant leur PME familiale, les époux Triadou se sont mis en quête d'un repreneur qui préserve l'identité de ces restaurants de fruits de mer. La rencontre avec Avenir Tourisme, une société de capital-développement, les a convaincus de passer la main.
Par Stéphanie Fontana-Bérard
Paris, dans le quartier animé de Montparnasse, avril 2005. Comme chaque samedi soir, on fait la queue pour venir goûter au plateau de fruits de mer du Bar à Huîtres, une brasserie spécialisée dans les produits de la mer. Cette clientèle d'habitués ne se doute pas que cette PME familiale a changé de mains, depuis quelques semaines. Car, dans les trois restaurants parisiens de l'enseigne, tout, ou presque, est resté à l'identique la décoration marine à base de coquillages, les arrivages quotidiens de crustacés et la formule de dégustation d'huîtres sur le pouce.
«Nous cherchions un repreneur qui préserve l'identité de la marque», confie Christine Triadou, co-fondatrice du célèbre restaurant. Vingt- cinq ans après avoir créé le Bar à Huîtres, ce couple d'entrepreneurs a, un jour, souhaité se reconvertir dans l'hôtellerie Mais s'ils entendaient tourner la page, les époux Triadou ne voulaient pas le faire à n'importe quel prix. «Nous ne voulions pas que la brasserie perde son identité d'entreprise familiale à taille humaine». En 2003, ils confient donc l'affaire à un cabinet de fusions-acquisitions, qui les met en contact avec Avenir Tourisme, une société de capital-développement
Coup de coeur Cette filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations a tout pour leur plaire elle s'intéresse aux entreprises de taille moyenne et investit dans le secteur des loisirs depuis vingt ans En outre, Serge Mesguich, son directeur général, éprouve un vrai coup de coeur pour cette belle PME de 85 salariés «Elle réunissait une identité forte et une marque parfaitement entretenue», estime-t-il. De fait, avec ses trois restaurants situés dans des quartiers touristiques de la capitale, le Bar à Huîtres est une affaire qui marche il affiche un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros et, surtout, une rentabilité de 10% depuis plusieurs années. De plus, dirigeants et financiers s'accordent sur un point crucial ils estiment judicieux d'ouvrir de nouveaux restaurants à Paris, tout en conservant l'identité de la marque.
Mais la conclusion de l'affaire bute sur un point primordial il faut trouver le manager qui prendra les rênes de l'entreprise. Fin 2004, les financiers contactent Jean-Pierre Chedal, alors directeur général des brasseries Georges Blanc Lui aussi aspirait à un changement de vie. «Après trente années dans des groupes de restauration, je voulais gérer ma propre affaire», confie cet homme du sérail, qui a doublé le chiffre d'affaires des brasseries Blanc. Dès le premier rendez- vous, le courant passe. En mars 2005, l'affaire est conclue. La PME familiale est cédée à Avenir Tourisme, qui s'empare de 42% du capital via un emprunt bancaire. Jean-Pierre Chedal en prend 5% à titre personnel, un groupe d'investisseurs privés 33%; les 23% restants demeurant entre les mains des époux Triadou. «Comme nous habitons près du siège social, nous croisons souvent le repreneur, qui nous fait part des évolutions de l'entreprise et nous demande souvent notre avis», raconte Christine Triadou. Elle et son mari sont devenus des consultants avisés.
Il n'empêche, Jean-Pierre Chedal prend garde d'être le seul capitaine du navire. Pour preuve, le passage de témoin entre le cédant et le repreneur n'a duré que deux mois, le temps de rassurer les 85 collaborateurs de la PME. «Nous avons communiqué avec le personnel, en leur assurant que la totalité de l'effectif serait conservée et qu'il n'y aurait pas de changement brutal de stratégie», souligne Jean-Pierre Chedal.
Le nouveau p-dg ne tarde pas à mettre sa patte personnelle à la brasserie. «J'ai opéré un tri sélectif afin de ne garder que les produits haut de gamme, et entamé une campagne de communication à destination des théâtres et des magazines de spectacles, pour capter une clientèle de Parisiens noctambules.» L'objectif? Doubler le nombre de restaurants d'ici à 2009. Quant à Avenir Tourisme, il attend que l'affaire prospère. En attendant de sortir du capital dans cinq ans, peut-être plus...
BAR A HUITRES - Repères
- ACTIVITE: Restauration
- VILLE: Paris (IVe, VIe et XIe arrondissements)
- FORME JURIDIQUE: Société anonyme
- DIRIGEANT: J.-P Chedal, 55 ans
- DATE DE CREATION: 1980
- EFFECTIF: 85 salariés
- CA 2005: 10 MEuros
@ DR
MARTINE STORY, directrice générale d'Altheo, cabinet de conseil pour l'accompagnement et la reprise d'entreprise
L'OEIL DU CONSULTANT
C'est la rentabilité du Bar à Huîtres qui a séduit les investisseurs
L'exemple de la cession du Bar à Huîtres à un pool d'investisseurs n'est pas représentatif des cas ordinaires de cession. «Rares sont les PME qui sont approchées spontanément par des fonds d'investissement», précise Martine Story. Qui explique, en effet, que «les financiers sont particulièrement sélectifs, ne retenant que 3 % des dossiers qu'ils étudient». Ce qui a séduit les investisseurs dans le cas présent?
«L'exceptionnelle rentabilité de l'affaire, répond sans hésiter Martine Story. Les investisseurs cherchent d'abord des sociétés profitables, dont ils pourront accompagner le développement pour en dégager une plus-value à moyen terme.»
L'experte met en avant un autre point crucial: «Les dirigeants-fondateurs de la PME ont cédé l'entreprise à un groupe financier spécialisé dans le secteur des loisirs.» Une garantie de pérennité de l'entreprise? «Certainement, selon Martine Story, car l'investisseur, qui connaît le métier, a choisi un dirigeant faisant partie du sérail.» Autre aspect positif de l'opération, la décision des cédants de conserver 23 % de leur entreprise. «Cela a dû rassurer les partenaires de la PME, car on peut penser que la stratégie menée par les fondateurs sera poursuivie.»