Se retirer d'une société, mode d'emploi
Se désengager d'une entreprise ne s'improvise pas. D'autant plus si vos associés s'opposent à votre départ ou à l'entrée au capital d'un tiers. Selon les statuts de l'entreprise, sa forme juridique ou votre pacte d'associés, votre marge de manoeuvre est plus ou moins restreinte. Explications.
Je m'abonneQuelles que soient vos motivations (départ à la retraite, volonté d'investir dans un autre projet, mésentente ou conflit avec vos associés...), se désengager d'une entreprise dans laquelle vous êtes partie prenante est tout sauf une formalité. Et ce, même si vous bénéficiez du soutien de vos associés.
Avant toute chose, vérifiez que les statuts et/ou le pacte d'associés ne comportent pas une clause d'inaliénabilité contraignant les associés à y rester durant une période de temps minimum déterminée et ce, pour la stabilité de la société. Si tel est le cas, vous pouvez toutefois vous désengager avant la fin de ce délai à condition d'obtenir l'accord de vos associés. Par ailleurs, réfléchissez bien, car votre départ peut générer des conséquences sur la santé financière de l'entreprise. Par exemple, si vos titres ne trouvent pas acquéreur, la société est obligée d'annuler vos parts ou actions et de réduire son capital social d'autant. Votre retrait peut aussi renverser la majorité et donc l'équilibre des pouvoirs entre associés. Dès lors que vous avez décidé de vous désengager, trois configurations se présentent à vous. Vous pouvez revendre vos parts sociales ou actions à l'un de vos associés, à la société ou à un tiers.
Dans tous les cas, si vous avez trouvé un terrain d'entente avec le repreneur, tant sur le nombre de parts vendues que leur prix, il vous reste à vérifier les clauses d'agrément prévues par les statuts de votre société, voire le pacte d'associés, en cas de cession. « Tout dépend également de la forme juridique de votre entreprise (voir le tableau ci-dessous), rappelle Véronique Ordas, juriste en droit des affaires au sein du cabinet d'audit et d'expertise comptable Exco Socodec. Par exemple, si la SARL ou la société civile sont régies par un cadre juridique très restreint en la matière, la SAS ou la SA présentent des conditions de cession beaucoup plus souples. » En règle générale, la cession est libre entre associés. Autrement dit, vous n'avez pas besoin de l'accord des autres associés pour céder vos parts ou actions à l'un d'entre eux. La situation est, en revanche, différente en cas de cession à un tiers, généralement soumise à l'agrément de vos associés. Cette clause d'agrément est plus ou moins contraignante. Elle peut notamment prévoir que l'accord de la majorité des associés suffit pour accepter l'entrée d'un nouvel associé. Elle peut aussi imposer un accord à l'unanimité.
Trois solutions en cas de blocage
Si vos associés rejettent le tiers acquéreur que vous proposez et refusent de racheter vos parts, la situation se complique. Sachez que votre liberté de céder prime. « Dans la majorité des cas, le législateur a prévu que vous ne restiez pas prisonnier de votre entreprise », commente Isabelle Beyneix, enseignant-chercheur en droit privé à l'école de commerce Novancia (Paris) et à l'université de Caen. Trois principales voies d'action se présentent alors à vous:
- la société rachète vos titres, puis trouve un autre repreneur ou réduit le capital de la société d'autant ;
- si aucun terrain d'entente n'est trouvé, vous êtes en droit de déposer un recours devant le juge qui nommera un expert chargé d'évaluer la valeur de vos parts. Une fois l'expertise terminée, il revient à la société de vous rembourser le montant fixé ;
- enfin, cas extrême, vous pouvez demander la dissolution judiciaire de l'entreprise pour cause de mésentente caractérisée entre associés qui entrave le bon fonctionnement de l'entreprise. « Concrètement, cela peut aboutir sur la mise à mort de la personne morale. Ce cas de figure est néanmoins très rare du fait de la conjoncture économique actuelle », explique Isabelle Beyneix. Attention, même dans le cas d'une action en justice, tant que l'intégralité de vos titres n'est pas revendue, vous conservez vos droits et obligations vis-à-vis de votre société. « Dans tous les cas, veillez par ailleurs à bien respecter les formalités de publicité de votre retrait afin qu'il soit effectif », rappelle l'experte.
Prévoir le départ dès la création
Pour que votre désengagement se passe sans encombre, Yves Perrigot, expert-comptable et gérant du cabinet Exco Socodec, conseille de réfléchir dès la constitution de la société aux modalités de retrait des associés et à la marche à suivre en cas de conflit. Ces conditions peuvent être modifiées a posteriori, mais le processus est souvent lourd et fastidieux à mettre en oeuvre (ex: convocation de l'assemblée générale pour une SARL). « Prévoir dès le départ un pacte d'associés extrastatutaire fixant, par exemple, une clause de préemption en faveur de vos associés, ou une clause d'agrément en cas de cession à un membre de la famille du cédant peut vous prémunir de nombreux blocages », souligne l'expert. Par ailleurs, sachez qu'après votre retrait, vous pouvez rester tenu de toutes vos obligations envers vos associés et des tiers au moment de votre désengagement pour une durée déterminée. Enfin, si vous avez souscrit un contrat de cautionnement des dettes de la société (fréquent dans les SARL et SAS), n'oubliez pas de le résilier afin d'éviter d'éventuelles poursuites ultérieures à votre retrait. Quitter son entreprise ne vous dégage pas de toutes vos responsabilités.
@ SACHA ROVINSKI
Isabelle Beyneix, enseignant-chercheur en droit privé, école de commerce Novancia et université de Caen
Isabelle Beyneix, enseignant-chercheur en droit privé, école de commerce Novancia et université de Caen
« Dans la majorité des cas, le législateur a prévu que vous ne restiez pas prisonnier de votre entreprise. »