Protéger vos innovations
Ni techniques, ni artistiques, certaines innovations en marketing ou commerciales sont difficiles à préserver. Il existe toutefois une palette d'outils juridiques qui offrent aux entreprises une protection efficace.
Je m'abonne1 LA PROTECTION PAR LE BREVET
Au terme de l'article L.611-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI), «toute invention peut faire l'objet d'un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d'exploitation». Le brevet d'invention, délivré pour une durée de 20 ans, est accordé aux «inventions nouvelles, impliquant une activité inventive, et susceptibles d'application industrielle» (art. L.611-10 du CPI). Certaines innovations techniques, comme les méthodes mathématiques ou les découvertes scientifiques, ne sont toutefois pas brevetables. Outre les obligations de dépôt prévues par la loi, la protection est aussi subordonnée à la condition de «nouveauté» (l'invention ne devant pas faire partie des connaissances rendues publiques), à celle d'activité inventive supposant une démarche intellectuelle créative et à celle d'application industrielle. Attention, l'existence de ces conditions n'étant que partiellement vérifiée au cours de l'instruction de la demande de brevet, le titre délivré peut être ultérieurement contesté devant un juge.
L'obtention d'un brevet nécessite donc une analyse juridique et technique préalable. A ces coûts s'ajouteront les frais de dépôt (à noter que la protection conférée par un brevet est limitée aux territoires dans lesquels la procédure de dépôt aura été menée jusqu'à son terme). Le dépôt d'un brevet constitue donc, plus particulièrement pour les PME, un investissement important, dont la rentabilité reste souvent aléatoire. Toutefois, conférant à son titulaire un véritable monopole d'exploitation, le brevet demeure la voie royale de la protection des innovations techniques.
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2 LA PROTECTION PAR LE DROIT DES DESSINS ET MODELES
Le CPI confère au déposant d'un dessin ou d'un modèle nouveau et présentant un caractère propre, un droit de propriété d'une durée de 25 ans à compter de la date de dépôt. Le droit des dessins et modèles vise les objets industriels ou artisanaux ayant une fonction utilitaire et présentant une apparence nouvelle, notamment de leurs lignes, formes ou textures. De même que pour les brevets et à l'inverse du droit d'auteur, le droit de propriété ne s'acquiert, ici, que par un dépôt à l'Inpi.
Si le dépôt et les règles propres aux dessins et modèles protégés présentent des intérêts pratiques manifestes, sa portée juridique serait limitée.
En effet, la nouveauté exigée se confondrait avec l'originalité requise en droit d'auteur. Sous des vocables différents, les notions de «nouveauté» et «d'originalité» seraient ainsi identiques. Le dépôt au registre des dessins et modèles ferait alors double emploi avec la protection du droit d'auteur. Or, cette dernière n'est subordonnée à aucun dépôt préalable et demeure en vigueur pendant la durée de vie de l'auteur et 70 ans après sa mort. Les tribunaux sont toutefois divisés sur cette question, certains estimant que la protection au titre des dessins et modèles est indépendante de la protection au titre du droit d'auteur.
Sur un plan pratique, le dépôt au registre des dessins et modèles demeure utile pour les innovations ornementales dans le domaine de l'objet utilitaire, reproduit en plusieurs centaines ou milliers d'exemplaires. Il renforce les droits de l'innovateur, lui accorde des avantages probatoires - antériorité, présomption de nouveauté - et il peut être directement effectué par l'entreprise, personne morale. Le dépôt donne, vis-à-vis des tiers, et notamment des contrefacteurs, des atouts judiciaires non négligeables.
Me Jean-Marie Léger est avocat associé chez Avens Lehman & Associés, cabinet spécialisé en droit des affaires. 67, boulevard Haussmann 75008 Paris. www.avens.fr
3 LA PROTECTION PAR LE DROIT D'AUTEUR
Initialement conçue pour protéger les auteurs d'oeuvres artistiques, la technique du droit d'auteur a été étendue à des objets dont la vocation première est commerciale ou industrielle. Les logiciels sont ainsi protégés via le droit d'auteur, lequel s'applique aussi à diverses «oeuvres» comme un saladier, des cartes géographiques, des guides, un slogan publicitaire, un logo commercial, un manteau ou un modèle de coiffure. A l'inverse du droit des inventions «brevetables», le droit d'auteur est particulièrement souple. Ainsi, la protection qu'il confère n'est pas subordonnée à un dépôt préalable; dès lors que l'oeuvre présente l'originalité requise, son auteur est investi du monopole légal d'exploitation. Mais cette souplesse a également son côté négatif: l'originalité au sens juridique du terme est une notion à géométrie variable, source d'insécurité juridique.
La protection conférée par le droit d'auteur est limitée à la forme. Une idée commerciale innovante ne pourra donner prise à un monopole d'exploitation, seule sa mise en forme - documents commerciaux, publicité, slogan... - sera susceptible de bénéficier de la protection. Dès lors, donc, que l'innovation se concrétise par une forme tangible, quel que soit son mérite ou sa destination commerciale, son concepteur est susceptible de détenir des droits exclusifs d'exploitation. Edicté pour protéger les artistes, le droit d'auteur reste d'un maniement délicat pour l'entreprise. Les salariés sont titulaires des droits d'exploitation, hormis dans certains cas: quelques dispositions légales visent, en effet, à investir une société de la propriété des oeuvres créées par ses salariés (article L.113-9 du CPI pour les logiciels, article L.113-5 relatif à la propriété des oeuvres dites collectives). Les deux parties peuvent aussi prendre soin de conclure un contrat de cession de droits conforme au formalisme imposé par la loi. En tout état de cause, l'auteur, personne physique, conserve son droit moral et donc la faculté de s'opposer à des exploitations attentatoires à l'intégrité de son oeuvre. Là encore, cette faculté, aux contours assez flous, fragilise les opérations commerciales ayant l'oeuvre pour support.
4 LA PROTECTION PAR LE CONTRAT
Lorsque l'innovation est une connaissance, un savoir-faire dont le détenteur ne peut pas juridiquement se réserver la propriété via un brevet ou un droit d'auteur, sa divulgation et son exploitation doivent être juridiquement sécurisées. Cette protection s'acquiert essentiellement par le contrat. Toutefois, les contrats n'obligent que ceux qui les ont signés. Il est donc nécessaire que tous ceux qui ont accès à ces connaissances soient liés à l'entreprise par les clauses contractuelles adéquates. Ainsi, en amont, les contrats de travail des collaborateurs de l'entreprise contiendront des clauses de confidentialité et, le cas échéant, des clauses de non-concurrence. Un salarié qui révèle des secrets de fabrique s'expose ainsi à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, selon le code du travail. En aval, la mise à disposition rémunérée de ce savoir-faire sera formalisée par un contrat de communication de savoir-faire. Ce document rappelle que ces connaissances appartiennent au prestataire, définit précisément les droits d'utilisation concédés au client et le contraint à la confidentialité la plus stricte, l'engagement pouvant être assorti d'une clause pénale dont le montant conséquent jouera un rôle dissuasif. Un accord de confidentialité organisera utilement les négociations préalables à la signature du contrat de communication proprement dit.
5 LA PROTECTION PAR L'ACTION EN RESPONSABILITE CIVILE
Celui qui commet une faute s'oblige à réparer le préjudice qui en résulte. Ce principe général peut ici recevoir des applications particulières. Reste à définir quelles peuvent être les appropriations fautives d'innovation. L'exercice peut s'avérer délicat puisque les innovations, par hypothèse non susceptibles d'un droit de propriété exclusif, peuvent être ici librement exploitées par des tiers. Un ancien salarié qui exploite le savoir-faire propre à son ex-employeur, le sous-traitant bénéficiaire de l'indiscrétion d'un client tenu par une obligation de confidentialité ou le prospect qui, tirant partie d'un simulacre d'appel d'offres, s'approprie les connaissances d'un candidat écarté, tous pourront ainsi voir leur responsabilité engagée. L'action en parasitisme, qui vise à sanctionner le comportement consistant à s'inscrire dans le sillage d'un opérateur économique, est souvent sollicitée dans le cas où l'innovation ne peut faire l'objet d'un droit de propriété. Elle n'en demeure pas moins dérivée de la notion de concurrence déloyale qui suppose qu'une faute soit démontrée. La libre concurrence s'oppose en effet à l'appropriation systématique des innovations, et donc à la création de monopole là où le bénéfice des consommateurs suppose une large diffusion du progrès technique.
Par maître Jean-Marie Léger, avocat associé chez Avens