Pôles de compétitivité: pour innover à plusieurs
Pour développer leurs projets d'innovation, certaines PME choisissent de collaborer avec des centres de recherche et d'autres entreprises. Un procédé qui peut porter ses fruits, à condition toutefois de prendre quelques précautions.
Je m'abonneEntre 2005 et 2006, la société GSC Vans Théault a doublé son chiffre d'affaires: les ventes de son nouveau véhicule ont considérablement accéléré sa croissance. Comment ce petit constructeur de carrosseries pour transport de chevaux a- t-il pu remporter un tel succès? Pour Jacques Morin, président de cette entreprise manchoise de 83 salariés, la réponse est évidente: c'est grâce à sa participation au pôle de compétitivité Filière équine qu'il a pu décrocher, de la part d'Oséo, une avance remboursable de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Celle-ci lui a permis de concevoir un nouveau van, plus moderne, qui manquait à son catalogue. Filière équine est l'un des 71 pôles de compétitivité de l'Hexagone. Créés en 2005 par le gouvernement Villepin, ce sont des associations loi de 1901 ou des groupements d'intérêt économiques (GIE) qui regroupent, sur un même territoire, des entreprises, des établissements d'enseignement supérieur et des infrastructures de recherche et développement.
Un sésame pour l'innovation.
Présentés, à l'époque de leur création, comme un remède aux délocalisations et un facteur «d'attractivité du territoire, de croissance et d'innovation pour les PME», ces pôles, qui bénéficient d'aides publiques, permettent à de petites entreprises de mutualiser leurs investissements en recherche et développement (R&D), et donc d'accéder plus aisément à l'innovation. C'est ce que confirme Jacques Morin, le dirigeant de GSC Vans Théault: «L'expertise des centres de recherche membres du pôle et la crédibilité du label nous ont été précieuses», analyse-t-il a posteriori. Car sans cette avance consentie par Oséo, la PMI n'aurait sans doute pas pu lancer un programme de R&D digne de ce nom. Alors, Jacques Morin ne manque pas une occasion de promouvoir son pôle, et plus généralement les pôles de compétitivité, auprès de ses pairs normands. «Ce système permet de soutenir un secteur majeur pour la région, argumente le dirigeant de GSC Vans Théault. 7000 emplois en dépendent.»
Un catalyseur d'emplois que le gouvernement entend bien développer: en mars, il a annoncé qu'il allait financer 91 nouveaux projets de recherche et développement (sur 190 présentés) issus de 53 pôles de compétitivité. Facture pour l'Etat: 107 millions d'euros. Selon les chiffres avancés, les PME participantes devraient bénéficier de près de 30 millions d'euros du fonds interministériel.
Laurence Meunier, présidente du pôle filière équine
Les pôles de compétitivité offrent une formidable visibilité aux PME et renforcent leur crédibilité.
Des compétences mutualisées.
L'atout le plus évident de ce système réside dans la mutualisation des compétences et des savoir-faire entre les membres du pôle. L'objectif final étant de développer des procédés originaux pour aborder de nouveaux marchés. Le pôle joue le rôle de catalyseur d'énergies. «Chacun bénéficie de ce que ses partenaires font de mieux», estime Laurence Meunier, présidente du pôle Filière équine, situé dans la Manche. Le rendement s'en trouve accru. Autre avantage: le réseautage. Jacques Morin (GSC Vans Théault) est ravi d'avoir pu élargir son réseau grâce à son implication dans le pôle. «Les échanges avec les professionnels du secteur me permettent d'engager une réflexion plus profonde sur l'avenir de ma société.» Laurence Meunier met l'accent sur un dernier atout: la visibilité. Si les pôles ont rarement les moyens financiers de promouvoir leurs actions, leurs membres bénéficient tout de même des plans de communication gouvernementaux et de l'image de sérieux et de qualité qui émane de ce label.
«Les PME n'hésitent pas à mentionner auprès de leurs clients et partenaires qu'elles ont été acceptées au sein d'un pôle», souligne Laurence Meunier (pôle Filière équine). Une valeur ajoutée qui assure également des retombées presse.
Francis Wallart, auteur d'un rapport sur les limites des pôles de compétitivité
Les pôles de compétitivité sont parfois des millefeuilles administratifs.
S'armer de patience. Malgré tout, les pôles de compétitivité souffrent de certains défauts. Selon une étude menée en 2008 par le Medef auprès de l'ensemble des pôles, la moitié des chefs d'entreprise membres de pôles considèrent qu'«ils ne profitent pas pleinement» du dispositif pour leur croissance. Pourtant, le nombre de PME à quitter le navire est très faible. Pourquoi? Les dirigeants savent se montrer patients et attendre que leur participation à un pôle porte ses fruits.
«En matière de R&D, le retour sur investissement est souvent long, de l'ordre de trois à quatre ans», reconnaît la présidente du pôle Filière équine. En 2007, Francis Wallart était délégué régional du service recherche et technologie pour la région Nord-Pas-de-Calais. A ce titre, il a rendu un rapport qui pointe les limites du dispositif. Il relaye le mécontentement de certaines PME, qui ont fini par sortir du système mais refusent de témoigner: «Ces entreprises, qui ont essuyé les plâtres, se sont senties perdues dans un mille- feuille administratif.» Chaque partenaire financeur (conseil général, régional, Etat) dispose, en effet, de sa propre procédure, de ses propres critères et de ses propres délais. «Ces entreprises avaient l'impression de passer plus de temps à remplir des formulaires qu'à travailler sur des projets avec des laboratoires ou des confrères», indique l'expert, qui se félicite tout de même que les procédures se soient homogénéisées au fil des ans. Une mesure d'ailleurs préconisée par le Medef. «Ll est normal de rendre des comptes, commente Jérôme Finot, directeur du pôle S2E2, spécialisé dans l'énergie électrique. Mais je reconnais que la complexité de certains documents décourage les PME.» Si la lenteur du retour sur investissement et la lourdeur administrative constituent des freins, le partage des informations pose également question. Comment ne pas se faire «voler» ses idées, ne pas être lésé au moment de la concrétisation des efforts communs? Réponse: en signant des accords de confidentialité et de propriété intellectuelle. Mais la meilleure protection reste la vigilance des entreprises sur les données qu'elles jugent confidentielles. Or, cette nécessité de rester sur le qui-vive peut en rebuter certains. En outre, il n'est pas toujours aisé de faire travailler ensemble des universitaires et des chefs d'entreprise, parfois concurrents. Le passage en mode projet, qui suppose une répartition claire des rôles, la mise en place et le respect du calendrier en fonction des obligations de chaque membre, n'est pas simple... Et dépend, au fond, du tempérament et de la motivation des dirigeants eux-mêmes.
Témoignage: Le pôle de compétitivité? c'est une association à bénéfices réciproques, Michel Walter, directeur général délégué de Sorec
Quand l'université d'Orléans lui propose d'intégrer le pôle de compétitivité S2E2 (sciences et système de l'énergie électrique), dès sa création, en 2005, Michel Waltera accepte tout de suite. «Nous avions déjà travaillé ensemble. Cette expérience avait débouché sur le développement d'un produit prometteur.» Le dirigeant souhaite donc la renouveler en y associant des entreprises de sa région. Résultat, le projet de détecteur de présence sur lequel planchent les équipes de Sorec, aux côtés du géant de l'équipement électrique Legrand, devrait aboutir dans les deux ans. Avec, à la clé, une augmentation du chiffre d'affaires de Sorec. «Il est encore trop tôt pour annoncer des objectifs chiffrés, mais je crois en ce projet, que nous aurions été incapables de mener seuls, faute de maîtriser tous les savoir-faire nécessaires.» Pour répartir le travail au sein des équipes de l'entreprise, Michel Walter délègue un chef de projet. Le coût du projet est estimé à 200 000 euros, subventionné pour moitié par le conseil général et conseil régional. «L'investissement reste donc raisonnable compte tenu des fortes perspectives à moyen terme», estime Michel Walter. En outre, son implication dans le pôle lui permet de consolider son réseau dans le territoire tout en boostant la visibilité de son entreprise. Enfin, dernier atout, mais pas des moindres: «La création de ce pôle nous a aidés à dynamiser le tissu économique de la région Centre.»
Sorec >> repères
- Activité: Etude, développement et fabrication de cartes électroniques
- Ville: Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher)
- Forme juridique: SAS
- Dirigeant: Michel Walter, 61 ans
- Année de création: 1988
- Effectif: 100 salariés
- CA 2008: 14 M Euros
Repères
> les pôles de compétitivité en chiffres
- 71 pôles labellisés, regroupent 9 000 chercheurs travaillant sur 1 000 projets.
- Sur les 7 000 entreprises appartenant à un pôle, 5 000 emploient moins de 250 salariés.
- 1,5 milliard d'euros de fonds publics ont été investis, depuis 2005, dans les pôles.
- En moyenne, les fonds publics couvrent 30% du financement de r&D du projet.
- Les PME représentent 40% des entreprises bénéficiaires des aides.
- 62% des dirigeants de pôles considèrent leur mission comme «globalement positive» pour les entreprises et leur compétitivité.
Sources: www.competitivite.gouv.fr et enquête sur les pôles de compétitivité du Medef de mai 2008.
@ FOTOLIA/MAXIM MALEVICH
Pratique
comment adhérer à un pôle? envie de rejoindre un pôle? Voici la marche à suivre:
- Renseignez-vous sur les pôles existants sur www.competitivite.gouv.fr. Ce site donne tous les contacts nécessaires.
- Vous passerez devant un jury composé de membres du pôle qui décideront si vous remplissez bien les conditions d'adhésion (situation géographique et activité, notamment).
- Ensuite, vous devrez vous acquitter d'une cotisation allant de 100 euros à 5 000 euros environ par an, selon votre chiffre d'affaires.
- Enfin, vous participerez au projet de votre choix en affectant ou non un salarié chargé de participer aux réunions d'équipes.