Mellerio dits Meller règne sur la joaillerie, depuis des siècles
Dans le paysage français, la joaillerie Mellerio dits Meller fait figure d'exception. Maison familiale qui a vu se succéder à sa tête quatorze générations, elle semble indifférente au temps qui passe, perpétuant esprit de création, savoir-faire et gestes ancestraux, qui ont assis sa réputation. Zoom sur une PME dont la destinée a souvent flirté avec l'Histoire.
Je m'abonneChez les Mellerio, on se succède de père en fils. Une tradition qui remonte à 1613. Mais c'était sans compter sur Dame Nature. Car aujourd'hui, les deux frères, François et Olivier Mellerio, s'apprêtent d'ici peu à remettre le flambeau à une femme, plus précisément la fille de l'un d'eux. La future repreneuse baigne depuis sa plus tendre enfance, comme les quatorze générations qui l'ont précédée, dans l'univers de la haute joaillerie. Comme ses ancêtres, elle devra porter cet héritage. « Perpétuer le travail de notre famille est un magnifique défi. Paradoxalement, il se révèle parfois lourd à relever au quotidien », analyse aujourd'hui François Mellerio. L'homme sait de quoi il parle, lui qui a repris les rênes de l'entreprise familiale en 1968 à la sortie de son service militaire, suite à la mort accidentelle de son père.
Mellerio dits Meller
- Activité: Joaillerie
- Ville: Paris (IIe arr.)
- Forme juridique: SA
- Dirigeants: François (à gauche) et Olivier Mellerio, 68 ans et 66 ans
- Forme juridique: SA
- Année de reprise: 1968
- Effectif: 30 salariés
François Mellerio, dirigeant, Mellerio dit Meller
« Notre indépendance capitalistique dure depuis 398 ans et il n'y a pas de raison pour que cela change.»
Petite et grande Histoire
L'indépendance capitalistique est une marque de fabrique mais aussi une fierté et surtout la volonté des Mellerio. « Cela dure depuis 398 ans. Il n'y a pas de raison pour que cela change, d'autant que la majorité de nos concurrents directs ont disparu durant ces vingt dernières années », ironise François Mellerio. Pour perdurer, face aux géants du secteur, la maison mise sur les ingrédients qui ont fait son succès, sa créativité et son savoir-faire. Car qui peut se targuer aujourd'hui d'une pareille expérience dans la haute joaillerie française? La légende débute au XVIe siècle avec un certain Mellerio qui quitte, en 1515, son Italie natale pour rejoindre Paris. Un siècle plus tard, en 1613, les Mellerio contribuent à déjouer un complot visant à assassiner le jeune Louis XIII. Marie de Médicis, sa mère, leur accorde le privilège de «porter et vendre du cristal taillé, de la quincaillerie et autres menues marchandises» sur tout le territoire, sans se soumettre aux contraintes administratives. Mais c'est Jean-Baptiste Mellerio (1765 - 1850) qui va poser les jalons de l'aventure entrepreneuriale française. A l'âge de 15 ans, il n'hésite pas à bousculer le destin, s'installant avec quelques-unes de ses créations devant les grilles du château de Versailles, captant ainsi l'intérêt de Marie- Antoinette. Celle-ci, bien vite, lui commande plusieurs pièces (lire l'encadré ci-dessus). Plus tard, il captive l'impératrice Joséphine alors qu'il ouvre son commerce Mellerio-Meller à la couronne de fer, au 20, rue Vivienne, à Paris. Lui emboîtant le pas, ses descendants parviennent à s'imposer comme les joailliers de la haute société. Ainsi, François Mellerio (1772 - 1843) fonde l'enseigne Mellerio dits Meller, au 4, rue du Coq Saint- Honoré ; avant de recentrer, en 1815, toute l'activité rue de la Paix, adresse qui a vu passer la reine Marie-Amélie ou encore le roi Louis-Philippe...
@ FFT Christophe Saidi
En 2009, lors de sa victoire à Roland Garros, Roger Federer porte la coupe imaginée et conçue par Mellerio dits Meller.
ZOOM
Du joaillier des reines...
La reine Marie-Antoinette, séduite par le talent de Jean-Baptiste Mellerio, lui ouvre les portes du château de Versailles et lui commande de nombreux articles, parmi lesquels un bracelet composé de sept camées et serti de rubis, que la reine confiera à l'une de ses confidentes alors que le peuple l'envoie à l'échafaud. Aujourd'hui, ce bijou inestimable est gardé dans un lieu tenu secret. Pauline Bonaparte, la comtesse de Ségur, le prince de Talleyrand, le roi Louis-Philippe, la reine Marie-Amélie et bien d'autres encore sont autant de clients de renom de la PME française.
à l'orfèvre du sport
En 1981, Mellerio dits Meller rafle l'appel d'offres lancé par Philippe Chatrier, alors président de la Fédération française de tennis, pour raviver l'allure de la Coupe des mousquetaires. Elle conçoit une coupe en argent massif à large casque, soulignée d'une frise de feuilles de vigne et ornée de deux anses en forme de cygne. Chaque année, le vainqueur du simple messieurs de Roland Garros remporte une réplique, haute de 21 cm et large de 19 cm, qui nécessite plus de 100 heures de fabrication.
L'artisanat moderne
Aujourd'hui, suivre les traces de leurs aînés avec brio demeure l'objectif de François et Olivier Mellerio depuis plus de 40 ans. Même si les méthodes de fabrication restent artisanales et sont toujours orchestrées depuis l'atelier de la rue de la Paix, elles intègrent désormais le modernisme du XXIe siècle. « Nous visualisons aujourd'hui les dessins en 3D », explique François Mellerio. C'est ça aussi vivre avec son temps. Autrefois joaillier des reines, l'entreprise familiale évolue et conçoit, en plus de ses fabrications sur mesure, des bijoux en série limitée. Et elle se prévaut, depuis près d'un demi-siècle, de fabriquer l'épée d'académiciens de renom, à l'instar de Jacques Soustelle, de Bertrand Poirot-Delpech, d'André Frossard, de René Brouillet et plus récemment de François Cheng « C'est une activité qui me plaît beaucoup. Après de longues entrevues avec chacun, nous essayons de mettre en métal les événements qui ont marqué leur vie », raconte François Mellerio. Autre fierté, celle d'avoir imaginé la fameuse Coupe des mousquetaires que seuls les vainqueurs des internationaux de Roland Garros ont le privilège de tenir dans leurs mains... le temps des photos (lire l'encadré ci-dessus). Au grand dam du tennisman Roger Federer qui, dit-on, avait imaginé la coupe originale - et non une copie - trônant dans son salon après sa victoire en 2009. Toujours dans le domaine sportif, la petite entreprise compte parmi ses chefs-d'oeuvre le Ballon d'or, la Cravache d'or (récompense hippique) et tout récemment le Trophée du premier polo professionnel indoor de Bercy. Mais la PME reste vigilante, quitte à vendre moins. Hors de question de sacrifier son image de marque sur l'autel de la croissance. Elle préfère garder un oeil sur tout, pour ne pas piétiner le travail de ses ancêtres.
Au-delà des frontières
Et pour se développer, l'entreprise mise sur l'international. Depuis 20 ans, la TPE exporte ses oeuvres au Japon, préférant renoncer à l'Espagne, qui avait intéressé les précédentes générations. « Etant une PME, il nous a semblé plus opportun de nous concentrer sur le marché nippon: les Japonais sont particulièrement friands du made in France et ont peu de bijoux hérités de leur famille », argumente François Mellerio. Aujourd'hui, sa production est visible dans les corners de dix magasins haut de gamme, installés majoritairement dans les quartiers huppés de Tokyo et d'autres grandes villes japonaises. Elle a également embauché un représentant commercial au Luxembourg et s'affiche, le temps d'expositions, dans les Emirats arabes unis. La PME s'intéresse aussi à la Corée, un territoire qui, jusqu'à présent, pratiquait des droits de douane prohibitifs. Mais la demande existe. « Comme les Japonais, les Coréens sont très soucieux de la qualité », précise François Mellerio. Mais pas question pour lui d'envisager un avenir au pays de l'oncle Sam. « Aux Etats-Unis, le ticket d'entrée est, pour l'heure, bien trop élevé », justifie-t-il. Du moins pour le moment Car cela va bientôt être au tour de la quinzième génération de décider de la destinée de Mellerio dits Meller...
FANNY PERRIN D'ARLOZ
- redaction@chefdentreprise.com
BIO EXPRESS
1613
Les Mellerio se font remarquer par Marie de Médicis.
1780
Marie-Antoinette devient cliente de Jean-Baptiste Mellerio.
1796
Création de l'enseigne Mellerio-Meller à Paris.
1815
La maison s'établit rue de la Paix.
1956
Mellerio dits Meller conçoit le Ballon d'or.
1981
La maison remporte l'appel d'offres lancé par la Fédération française de tennis pour relooker la Coupe des mousquetaires.
1993
Dépôt d'un brevet pour la forme du cadran de ses montres.
2004
Dépôt d'un brevet pour une nouvelle taille de pierres précieuses et de diamants: la taille Mellerio.
ZOOM
Un savoir-faire maintes fois salué...
La maison Mellerio dits Meller reçoit, le temps d'expositions universelles, des récompenses enviées par ses pairs, comme la Médaille d'honneur en 1855, la Médaille de prix en 1862, la Médaille d'or et le grand Diplôme d'honneur en 1867 et la Médaille d'or en 1878. En 2006, elle se voit attribuer le label d'Etat Entreprise du patrimoine vivant (EPV) - mis en place pour distinguer des entreprises françaises au savoir-faire artisanal et industriel d'excellence - par le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
Et des dirigeants impliqués
Depuis 1981, Mellerio dits Meller adhère à l'association internationale des Hénokiens, qui regroupe 38 entreprises familiales, dont 11 françaises, toutes au minimum bicentenaires. Ses membres se réunissent chaque année pour échanger autour d'une philosophie commune: l'entreprise familiale, alternative aux multinationales. La PME est également membre du Comité Colbert, fondé en 1954 à l'initiative de Jean-Jacques Guerlain. L'association rassemble aujourd'hui 75 maisons françaises de luxe qui partagent les mêmes valeurs (alliance de la tradition et de la modernité, Histoire, innovation...) qu'elles tentent de promouvoir en France et à l'étranger. De 2003 à 2007, Olivier Mellerio en a été le président.