Licencier un salarié pour motif économique
Des difficultés économiques? Il peut être nécessaire de «couper» dans les effectifs. Mais le licenciement économique individuel est une procédure contraignante. Mode d'emploi.
Je m'abonnePour Armel Blanc, ça n'arrivait qu'aux autres. Pourtant, quand le dirigeant de cette PME de reprographie de 15 salariés est frappé de plein fouet, à la fin 2003, par une crise conjoncturelle, il doit se résoudre à licencier cinq salariés pour motif économique. Une mesure drastique, mais salutaire pour l'entreprise. «Les charges ont été allégées d'un tiers, se souvient le dirigeant. Cela a représenté une bouffée d'oxygène pour la société, qui a pu ainsi repartir de l'avant.»
Comme ce chef d'entreprise, vous avez peut-être été confronté à des difficultés économiques. Et à la nécessité d'envisager une «coupe» dans votre effectif. «Le licenciement économique doit résulter d'une décision mûrement réfléchie car c'est une procédure complexe, assortie de règles contraignantes qu'il faut respecter à la lettre», prévient Maître Olivier Bongrand, avocat en droit social au cabinet Penot-Detrich. Par «licenciement économique individuel», le législateur désigne les licenciements pour motif économique portant sur un effectif d'un à neuf salariés. Au-delà, il s'agit d'un licenciement collectif, qui obéit à des règles encore plus complexes.
En premier lieu, vous devez veiller à respecter le motif. Le Code du travail est très clair: un licenciement économique doit être prononcé par l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou transformation d'emploi, consécutive à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une réorganisation de l'entreprise décidée par l'employeur pour sauvegarder la compétitivité de la société. Une notion particulièrement large qui recouvre «tous types de difficultés pouvant menacer la pérennité de l'entreprise», précise Maître Gilles Picovski, avocat au cabinet d'avocats éponyme. La baisse substantielle de votre chiffre d'affaires, des dettes que vous ne parvenez plus à honorer, la fermeture d'un site de production ou encore une série d'impayés grevant votre trésorerie peuvent vous amener à envisager un licenciement économique. A contrario, la perte d'un seul marché, un simple ralentissement des ventes ou même des pertes «chroniques», sans qu'aucune aggravation de la santé financière de l'entreprise ait été démontrée, ne sont pas des motifs suffisants pour lancer une telle procédure. Que vous pouvez également enclencher à la suite d'une mutation technologique importante. «L'introduction d'une nouvelle technologie, comme l'informatique, peut entraîner la suppression ou la modification de certains emplois», précise Aude Le Mire, juriste en droit social et auteur de Licenciement économique, guide pratique
@ PHOTODISC GETTY IMAGES
En outre, il vous faudra proposer à votre collaborateur un reclassement. «Au cours de l'entretien préalable, l'employeur doit proposer au salarié un autre poste vacant dans l'entreprise», renchérit Maître Olivier Bongrand, du cabinet Penot-Detrich. Une contrainte qui prend parfois des airs de casse-tête, dans de petites structures où les possibilités de reclassement sont très limitées. En principe, rien ne vous interdit de proposer au salarié un poste d'un niveau inférieur ou lié à un domaine de compétences différent. Mais dans la pratique, il est bien évident qu'un commercial ne peut devenir comptable... «Le reclassement doit porter sur des postes différents, mais compatibles avec les capacités du collaborateur, même si cela nécessite une formation», précise la juriste Aude Le Mire. Veillez à laisser à l'intéressé un délai de réflexion suffisant - huit jours en moyenne - pour accepter ou refuser. Mais, en matière de reclassement, vous n'avez qu'une obligation de moyens. Qu'il faudra prouver aux juges. «Mieux vaut conserver des traces de vos échanges avec le collaborateur pour montrer que vous avez bel et bien tenté de le reclasser. Faute de quoi le licenciement pourra être considéré comme abusif», conseille Maître Olivier Bongrand, du cabinet Penot-Detrich.
MEMENTO
QUELLE INDEMNITE?
En l'absence de règle liée à une convention collective, vous devrez verser, au titre des Indemnités, 2/10e de mois de salaire par année d'ancienneté, auxquels il faut ajouter 2/15e par année d'ancienneté à partir de dix ans d'ancienneté.
Sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. Récemment, un nouveau motif de licenciement a été introduit par les juges: la sauvegarde de la compétitivité. En janvier 2006, lors d'un arrêt concernant la société Pages Jaunes, la Cour de cassation a considéré que des difficultés financières à venir pouvaient justifier des licenciements économiques. «Dans cet arrêt, les juges ont estimé que la pérennité de la société était menacée», explique Maître Sophie Brezin, avocate au cabinet Herbert Smith. En d'autres termes, ils ont jugé nécessaire la réorganisation de la société, compte tenu des évolutions prévisibles de son environnement concurrentiel, même si elle ne connaissait pas de difficultés économiques avérées au moment des licenciements. Pour autant, peut-on considérer qu'il est aujourd'hui possible de licencier pour anticiper une crise économique? «Il faut démontrer que l'entreprise est menacée. Un licenciement économique ne peut être envisagé dans le seul but d'accroître les profits», répond Maître Sophie Brezin. Les employeurs mal intentionnés s'exposent à la sanction du juge, si l'affaire est portée devant le Conseil de prud'hommes.
BLOC-NOTES
Licenciement économique: les étapes à suivre
Une procédure de licenciement économique ne s'improvise pas. Voici les étapes à respecter.
J-7 Convocation à l'entretien préalable par lettre recommandée
Elle doit comporter l'objet de la convocation, la date, l'heure et le lieu, sans oublier d'indiquer la possibilité, pour le salarié, de se faire assister par un représentant du personnel. Attention: la lettre doit spécifier que le licenciement est «envisagé», et non décidé.
J Entretien préalable
L'objectif est d'indiquer au salarié les motifs de son futur licenciement.
J+4 à J+15 Envoi de la lettre de licenciement
Elle est postée en recommandé, avec accusé de réception. La date de présentation de la lettre fixe le point de départ du préavis. Elle doit faire état des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, mentionner le refus d'une modification du contrat de travail et de l'impossibilité d'un reclassement. Pour les salariés ayant moins d'un an d'ancienneté, elle doit être envoyée quatre jours ouvrables après l'entretien. Ce délai passée 7 jours pour les salariés non-cadres de plus d'un an d'ancienneté et à 15 jours pour les cadres.
Quelle que soit la taille de votre entreprise, sachez que vous ne pourrez pas embaucher au même poste pendant un an. «En cas de recrutement, les salariés licenciés pour motif économique doivent être réengagés en priorité», précise Maître Olivier Bongrand.
Dernier point important: vous êtes tenu de respecter des critères de priorité afin de déterminer les salariés licenciés. A défaut de dispositions conventionnelles, entrent en ligne de compte l'ancienneté dans l'entreprise, les charges familiales ou encore des caractéristiques rendant la réinsertion professionnelle difficile (dans le cas de personnes âgées par exemple). Ces critères ont une égale importance. «A ces critères légaux peuvent s'en ajouter d'autres, choisis par l'employeur, comme la mobilité, la polyvalence ou la productivité», souligne Aude Le Mire. Là aussi, veillez au respect scrupuleux du droit, faute de quoi votre procédure risque d'être caduque.
A SAVOIR
ATTENTION AUX SALARIES «PROTEGES»
Vous ne pouvez pas licencier n'importe qui dans l'entreprise. Certaines catégories de salariés en sont exclues. De qui s'agit-il? Des contrats à durée déterminée, mais aussi des femmes enceintes (dès l'état de grossesse constaté et quatre semaines après leur retour de congé maternité), les pères de famille durant leur congé parental ou en cas de décès de la mère durant le congé de maternité, et les salariés adoptants durant la période de suspension de leur contrat de travail.