LES FEMMES SONT-ELLES DES PATRONS COMME LES AUTRES?
Elles sont 675 000 à tenir les rênes d'une entreprise. Qui sont-elles? Comment dirigent-elles? Quels obstacles ont-elles rencontrés? Enquête.
Je m'abonneSur le papier, elle s'appelle «Monsieur Laurence Du- gué». Quand la dirigeante d'A2 Partners dépose les statuts de son entreprise, l'employé du registre du commerce lui attribue une - fausse - identité masculine, sans doute par automatisme. «Cette erreur administrative est symptomatique de la faible présence des femmes dans l'environnement des entrepreneurs», commente-t-elle, un brin amusée. Et plusieurs mois après avoir créé son cabinet de conseil en management avec deux associés masculins, la jeune femme dresse le même constat: «En rendez-vous, on me prend souvent pour la secrétaire de mon associé, s'exclame-t-elle. Je dois rapidement remettre les choses à leur place.»
Le cas de Laurence Dugué est-il révélateur de la place du «sexe faible» dans le monde du patronat? Sans doute. Certes, les études statistiques sur l'entrepreneuriat féminin sont rares. Et celles qui existent font état d'une minorité de femmes dirigeantes, dans le monde des affaires. En décembre 2006, une enquête d'Oseo sur l'évolution des PME révélait que seulement 30% d'entre elles étaient dirigées par des femmes, alors que la gent féminine représente 45% de la population active, selon l'Insee. Un paradoxe qui ne serait pas sans lien avec une crainte d'entreprendre, selon certains spécialistes. Pour André Letowski, responsable des enquêtes à l'Agence pour la création d'entreprises (APCE), «l'aventure de la création fait encore peur à une majorité de femmes. Elles sont nombreuses à privilégier leur vie de famille, et donc à préférer la stabilité d'un emploi salarié.» A en croire les conclusions de l'APCE, ce n'est pas près de changer: depuis 1994, le nombre d'entreprises créées par des femmes est stable, représentant environ un quart des jeunes pousses. Et celles qui franchissent le pas dirigent souvent de bien plus petites structures que leurs homologues masculins. L'enquête d'Oseo montre que 14% des entreprises employant de 20 à 50 salariés sont dirigées par des femmes. Pire: seules 8% des PME de plus de 200 salariés ont pour patron une patronne. Les mentalités sont-elles en train d'évoluer? «Sans nul doute, estime André Letowski. Auparavant majoritaires dans le commerce, les femmes qui créent sont aujourd'hui plus diplômées et investissent des métiers business to business, comme les services aux entreprises.»
PRATIQUE
Les femmes ont aussi leurs réseaux
Pour aider les femmes à entreprendre, de nombreux réseaux se sont créés. Zoom sur les principaux d'entre eux.
ASSOCIATION DES FEMMES ENTREPRENEURS D'EUROPE (AFEE)
Cette association est un club permettant à des dirigeantes d'entreprise d'échanger leurs expériences et d'aider à la création de sociétés. Elle regroupe une centaine de membres.
Activités: groupes de travail (création d'entreprise, égalité professionnelle...), participation à un club d'investissement, conférences.
Cotisation: de 70 à 100 euros par an (selon le nombre de salariés).
www.afee-association.com
ARBORUS
Regroupant 360 dirigeants hommes et femmes, l'association fait la promotion des femmes dans les prises de décisions. Fondé en 1995, Arborus cherche à combattre les comportements discriminatoires dans les entreprises à l'égard des femmes.
Activités: réalisation d'études, formations pour les femmes, accompagnement des entreprises dans une démarche d'égalité hommes/femmes.
Cotisation: de 8 à 39 euros par an.
www.arborus.org
DIRIGEANTES
Cette association rassemble plus de 600 adhérents, en majorité des dirigeants. Son objectif? Rassembler des hommes et des femmes pour organiser un réseau de contacts.
Activités: dîners-débats, ateliers pour les porteuses de projet, voyages- découverte à l'étranger.
Cotisation: 170 euros par an (ainsi qu'un droit d'entrée du même montant) www.dirigeantes.com
FEMMES CHEFS D'ENTREPRISE
Cette structure regroupe plus de 2 000 femmes chefs d'entreprise et veut promouvoir les femmes dirigeantes dans le tissu économique, de créer un réseau entre elles et de conseiller les créatrices d'entreprise.
Activités: réunions, conférences.
Cotisation: non communiqué.
www.fcem.net
RACINES
Ce réseau aide les femmes à lancer et à financer leur entreprise. Il rassemble une cinquantaine d'adhérents.
Activités: Mise en place de dispositifs d'épargne de proximité, accompagnement dans le montage des dossiers financiers.
Cotisation: non communiqué.
www.racines-clefe.com
Créer son propre emploi. Comment expliquer cette sous-représentation féminine? D'abord, il ne faut pas oublier que l'émancipation des femmes est récente. Ce n'est que depuis 1965 - soit moins d'un demi-siècle - qu'elles peuvent s'affranchir de la tutelle de leur mari pour gérer leurs biens et ouvrir un compte en banque. Si beaucoup sont aujourd'hui engagées dans la vie active, rares sont celles qui accèdent à des postes de direction. «L'éducation encourage davantage les femmes à avoir des enfants qu'à prendre des responsabilités», observe Danièle Rousseau, présidente de l'association Dirigeantes, un réseau d'accompagnement pour les femmes créatrices (voir notre encadré ci-contre). Du coup, leur profil d'entrepreneuse est bien différent de celui de leurs homologues masculins. Toujours selon l'enquête Oseo, elles sont beaucoup plus nombreuses à se lancer dans le but de créer leur propre emploi (66% contre 50% pour les hommes). «Beaucoup entreprennent par défaut, parce qu'elles sont au chômage, tandis que les hommes sont davantage motivés par le goût du challenge et la conquête de nouveaux marchés», analyse Danièle Rousseau. Elles sont alors moins ambitieuses dans leurs choix. Selon la récente enquête de l'APCE, seulement 53% des femmes immatriculent leur entreprise sous forme de société (contre 64% des hommes) et une minorité d'entre elles (15% contre 21% des hommes) emploient des salariés quand elles démarrent leur projet.
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Coauteur du livre Le Bal des dirigeantes, Annie Battle considère qu'au travail, les femmes sont plus cohérentes avec leurs valeurs et moins intéressées par leur carrière.
Une affaire de famille. De même, leur financement est souvent modeste. Une enquête menée par Racines, un réseau d'accompagnement au financement réservé aux femmes, révèle qu'une femme sur trois investit moins de 3 800 euros pour lancer son entreprise. Une question de mentalité? Peut-être. «Contrairement aux hommes, les femmes n'inscrivent pas leurs projets dans le cadre classique de l'offre et de la demande. La rentabilité du travail reste difficile à appréhender et elles hésitent à s'endetter», estime Hélène Romanini, la présidente de Racines. Cela explique également que les femmes hésitent à assumer seules le risque de la création. Selon Oseo, seules 27% des femmes vivant en couple gèrent seules leur entreprise (contre 49% pour les hommes). Elles seraient aussi plus nombreuses que les hommes (28% contre 17%, selon l'étude d'Oseo) à reprendre l'affaire de leurs parents ou de leur mari. D'autant que toutes les dirigeantes n'ont pas forcément choisi d'occuper ce poste. Certaines s'y retrouvent propulsées malgré elles. Michèle Vignot dirige, depuis 1973, les Transports de l'Yonne, une société bourguignonne de 30 salariés. Diplômée en architecture, elle se destinait à tout autre chose. Pourtant, quand son mari se lance dans la création d'entreprise, elle n'a que 22 ans, et décide malgré tout de l'accompagner. Logiquement, Monsieur et Madame se répartissent les tâches. Mais lui décide de se consacrer à 100% aux missions commerciales. A elle, alors, de gérer tout le reste et de prendre la direction de la société. «Sans mon époux, je ne serais jamais devenue chef d'entreprise, assuré-telle. Je pense qu'il est fier d'être «le mari de la patronne».»
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Béatrice Castaing, dirigeante d'Optim Ressources, un cabinet lyonnais de conseil en management: elle a mis en place un 4/5e pour tous ses collaborateurs qui le souhaitaient.
CLAIRE DUTERTRE, présidente de l'association Femmes d'Entreprise
Les banquiers considèrent que les entreprises créées par des femmes sont généralement moins viables.
Victimes de préjugés. Lorsqu'elles sont seules, les femmes chefs d'entreprise sont également confrontées à des préjugés tenaces qui les empêchent de progresser. A commencer par un manque de crédibilité au démarrage. Un constat dressé également par Marie-Christine Oghly, présidente de Flowmaster France, un éditeur de logiciels de simulation de systèmes de fluides. «Lors de déplacements professionnels, il m'arrive de me faire voler la vedette par un jeune collaborateur. Parce que c'est un homme, le client le prend pour le patron. Et moi, je passe pour son assistante!», s'amuse-t-elle. Parfois, les femmes ont aussi du mal à imposer leur autorité. Sur ce point, Joëlle Casters, dirigeante à la retraite, se montre intarissable. En 1971, alors âgée de 26 ans, la jeune femme crée sa propre entreprise de menuiserie industrielle. Quelques mois plus tard, pour mieux s'imposer vis-à-vis de ses salariés, elle décide d'apprendre le métier de menuisier. «Le jour où j'ai pris une raboteuse pour leur montrer que je savais m'en servir, je suis montée dans leur estime», se souvient-elle avec plaisir. Pour Sonia Escaich, directrice du laboratoire pharmaceutique Mutabilis, il a fallu redoubler de travail: «Je me suis fixé la barre haut en me montrant très exigeante vis-à-vis de moi-même, de manière à éviter les critiques.»
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SONIA ESCAICH, directrice du laboratoire pharmaceutique Mutabilis
Je me suis fixé la barre haut en me montrant très exigeante vis-à-vis de moi-même, de manière à éviter les critiques.
Faire ses preuves. Charisme, détermination: telles sont les qualités attendues de ces femmes de pouvoir. Françoise Cocuelle l'a vite compris. Quand elle reprend l'imprimerie familiale, à 29 ans, cette mère de famille est un peu déboussolée: elle est la seule représentante du sexe faible au sein de l'entreprise. «Ils lançaient des plaisanteries de potaches pour tester ma réaction», se rappelle-t-elle. Pourtant, face à eux, la nouvelle dirigeante de l'imprimerie Grille a tôt fait de s'imposer. Pour affirmer son autorité, Françoise Cocuelle joue cartes sur table avec ses collaborateurs. «Je les ai réunis en leur demandant ouvertement si cela les dérangeait d'être dirigés par une femme.» Un franc-parler qui fait taire les plus récalcitrants, d'autant que la jeune femme excelle en gestion. «Quand je suis arrivée, l'entreprise était en grande difficulté financière, raconte- t-elle. Je me suis battue en allant voir les banquiers et ai obtenu un prêt de 15 000 euros. J'ai même démarché de nouveaux clients pour redresser le chiffre d'affaires. Surtout, je communiquais aux salariés, chaque semaine, l'évolution du chiffre d'affaires de l'entreprise. Tout était transparent.»
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Quand j'ai repris l'imprimerie familiale, mon mari a accepté de mettre sa carrière en sommeil
PAULE VERA, gérante de Cyrnos
Elevée dans une famille qui considère qu'une femme ne doit pas s'empêcher d'entreprendre, Paule Véra commence a s'occuper de l'imprimerie familiale en 1985, le jour ou son père tombe malade Un plan de carrière qui ne correspond pas vraiment aux projets initiaux de cette ex- salanee du centre de recherches d'IBM Mais voyant que l'absence de son père, en arrêt pendant trois mois, risquait de compromettre la survie de l'entreprise, elle décide d'en prendre les commandes Mère de famille, Paule Véra doit beaucoup a son mari, qui a accepte de mettre sa carrière en sommeil pour s'occuper de leur fils de dix ans «Je ne rentrais jamais avant 21 heures C'est donc lui qui se chargeait d'aller le chercher a l'école Sans lui, je n'aurais jamais pu tout mener de front» En qualité de fille du patron, Paule Véra reconnaît qu'elle n'a pas eu de mal a se faire accepter par les salariés «Comme j'avais déjà un parcours professionnel de quinze ans derrière moi, on ne m'a pas reproche d'être une fille a papa», assure-t-elle Ce qui ne l'a pas empêchée d'essuyer quelques remarques indélicates de l'extérieur «Un jour, un client que j'avais invite a déjeuner m'a avoue qu'il ne savait pas très bien de quoi il allait pouvoir parler, car c'était la première fois qu'une femme fournisseur l'invitait»
CYRNOS >> Repères
- ACTIVITE: Impression de formulaires et de documents fiduciaires
- DIRIGEANTE: Paule Véra, 58 ans
- FORME JURIDIQUE: SARL
- ANNEE DE CREATION: 1944
- EFFECTIF: 25 salariés
- VILLE: Mouans Sartoux (Alpes-Maritimes)
- CA 2006: 2,85 millions d'euros
Des préjugés tenaces. Parfois, le caractère ne suffit pas pour s'imposer. Face à un banquier, les femmes peuvent rencontrer des difficultés pour convaincre, comme en témoigne Carole Faure. La présidente de Kaolink, un éditeur de jeux vidéo sur mobile, se souvient de remarques teintées de misogynie. «Lorsque j'ai constitué mon tour de table, mon banquier m'a demandé si j'avais des enfants, tout en m'expliquant que la vie d'un chef d'entreprise était consommatrice de temps», relate-t-elle. Ces patrons en jupe vont-ils pouvoir concilier leur rôle de mère avec celui - accaparant - de dirigeante d'entreprise? C'est la question que se posent la plupart de leurs partenaires. «Les banquiers considèrent que les entreprises créées par des femmes sont généralement moins viables, car ils craignent qu'elles n'arrivent pas à mener de front leurs deux vies», confirme Claire Dutertre, présidente de l'association Femmes d'Entreprise, un réseau féminin d'aide à la création d'entreprises. Les financiers se méfieraient-ils des créatrices? Nelly Dupic l'a appris à ses dépens. Quand cette fille de commerçants décide de créer sa société de distribution de vêtements, elle a 28 ans et deux enfants âgés de 2 et 8 ans. A la recherche d'un prêt pour se lancer, elle sollicite cinq banques. A chaque fois, le verdict est le même: refusé. «Les banquiers s'inquiétaient de savoir qui s'occuperait de mes enfants. Aurait-on posé la même question à un homme?», s'interroge-t-elle. C'est grâce au soutien de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) et du Réseau Entreprendre, qui lui accordent deux prêts d'un montant global de 25 000 euros, que Nelly Dupic peut finalement créer son affaire. Aujourd'hui, la jeune femme dirige Distreet, une PME qui a réalisé, en 2006, un chiffre d'affaires de 70 000 euros et emploie déjà trois salariés. Quant aux banques qui ont étudié, à l'époque, son dossier, elles doivent se mordre les doigts de l'avoir si vite écarté... Pourtant, les financiers se défendent, bien évidemment, de toute misogynie. Exemple chez Coach Invest, un fonds d'investissement. «Certes, les entreprises dirigées par des femmes représentent moins de 10% des dossiers que nous recevons, indique Thomas Legrain, son dirigeant, mais le sexe n'est absolument pas un critère de choix.» Il n'empêche. Ces préjugés ne handicapent-ils pas certaines dirigeantes? Les chiffres sont cruels: les statistiques 2 003 de l'Insee révèlent qu'une entreprise dirigée par une femme est moins pérenne: trois ans après la création, son taux de survie n'est que de 58% (contre 64% pour une société dirigée par un homme).
Pourtant, certaines entreprises font figure de modèles. «Les femmes sont plus pugnaces que leurs homologues masculins. Et comme elles sont nettement moins nombreuses, on les remarque davantage», note Thomas Legrain, de Coach Invest. Un point de vue que partage France Peytour, la dirigeante de FTI, une entreprise d'installation de tuyauterie industrielle. Initialement créée par son mari, l'entreprise de 70 salariés est reprise par France Peytour lorsque le couple divorce, en 1998. «Dans mon secteur, je suis Yune des rares femmes. Cela épate toujours mes clients», s'amuse-elle. Au point de constituer un avantage concurrentiel? C'est bien possible. «Quand je négocie les prix, j'ai parfois l'impression d'être en position de force», assure-t-elle. Charme et douceur font souvent partie des atouts des dirigeantes.
Jeune chef d'entreprise, j'ai dû batailler pour imposer mon autorité
EMILIE FERAL, présidente d'Isotec
Emilie Ferai n'a que 22 ans lorsqu'elle reprend l'entreprise familiale. Son jeune âge n'a guère facilité la prise en main de son poste face à un personnel déjà ancien. «J'ai rencontré davantage de problèmes avec les cadres qu'avec les ouvriers du terrain, se souvient la jeune femme, aujourd'hui âgée de 27 ans. Certains n'acceptaient pas d'être sous les ordres d'une femme, de surcroît plus jeune qu'eux.» Au lieu de participer aux réunions, ces cadres rebelles adoptent une attitude passive, manquant parfois de respect vis-à-vis de leur nouvelle patronne. Pourtant, avec un diplôme d'école de commerce et de l'Ecole supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment, Emilie Ferai a toutes les cartes en main pour diriger l'entreprise. Pour surmonter ces réticences, elle décide de rajeunir la moyenne d'âge et de féminiser l'équipe. «Les femmes sont parfaitement capables de travailler dans le secteur du désamiantage, traditionnellement peuplé d'hommes, car c'est un travail qui demande de la minutie.» Côté management, Emilie Ferai a pris des mesures sociales comme l'intéressement, et pense être à l'écoute de ses salariés. «Je pratique le management participatif et veille à impliquer mes collaborateurs dans les décisions. C'est le secret de la dynamique collective.»
ISOTEC >> Repères
- ACTIVITE: protection incendie, désamiantage, isolation thermique
- DIRIGEANTE: Emilie Feral, 27 ans
- VILLE: Tarascon (Bouches-du-Rhône)
- ANNEE DE CREATION: 1973
- FORME JURIDIQUE: SAS
- EFFECTIF: 60 salariés
- CA 2006: 8,3 millions d'euros
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HELENE ROMANINI, présidente de Racines, réseau d'accompagnement au financement réservé aux femmes
Contrairement aux hommes, les femmes n'inscrivent pas leurs projets dans le cadre classique de l'offre et de la demande.
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MICHELE VIGNOT, cogérante des Transports de l'Yonne
J'ai attendu huit ans avant d'envisager d'avoir un enfant car il fallait trouver quelqu'un pour me remplacer. Et deux heures avant d'accoucher, je tapais encore des devis au bureau!
Esprit d'équipe. Féminines jusqu'au bout, les dirigeantes d'entreprise mettent aussi en place un management plus collectif. C'est en tout cas le point de vue développé par Annie Battle dans son ouvrage Le Bal des dirigeantes
Plus à l'écoute, plus enclines à déléguer, les femmes ont également la réputation de mieux apaiser les conflits. Liliane Guillot dirige, avec son mari, une PME de 200 personnes spécialisée dans la conception de matériel pour piscines. Elle n'a aucun doute sur la spécificité du management féminin. «Les femmes recherchent le consensus, constate-t-elle. Dans l'entreprise par exemple, c'est toujours moi qui règle les conflits entre services.» Si les femmes dirigent avec davantage de douceur, c'est peut-être aussi parce qu'elles ont des contraintes que les hommes n'ont pas. Elles jonglent avec les responsabilités pour concilier leur double rôle de mère et de chef d'entreprise. On touche ici à l'une de leurs préoccupations majeures car il arrive souvent que le travail prenne le pas sur le reste, comme en témoigne Véronique Lefèbvre, qui dirige une entreprise de nettoyage de 90 salariés. «Quand on travaille plus de dix heures par jour sans prendre de vacances, et qu'on rentre du travail avec des soucis en tête, la vie personnelle en prend forcément un coup», admet-elle. Tiraillées entre leurs différentes obligations, ces femmes déploient des trésors d'inventivité pour mettre en place des organisations dignes de l'armée...
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Danièle Rousseau, présidente de l'association Dirigeantes, aide les futures femmes chefs d'entreprise à monter leur dossier financier et les accompagne dans leurs démarches.
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Joëlle Casters, dirigeante à la retraite de Sparnabaie, une menuiserie industrielle, avoue avoir «materné» ses salariés pour leur permettre de faire face à leurs difficultés quotidiennes.
Equilibre personnel et professionnel. Reste que certaines situations personnelles les mobilisent, qu'elles le veuillent ou non. Le congé maternité, par exemple. Michèle Vignot, gérante des Transports de l'Yonne, reconnaît avoir consenti des sacrifices énormes. Soucieuse de ne pas entraver la bonne marche de son entreprise, elle a attendu huit ans, après sa création, avant d'envisager avoir un enfant. «Il fallait que quelqu'un puisse me remplacer pour assurer les tournées des chauffeurs.» Son accouchement? Michelle Vignot parle plus volontiers de «marathon». «Deux heures avant l'heureux événement, je tapais encore des devis au bureau!» Par chance, ses parents lui ont offert un sérieux coup de main en gardant leur petite-fille lorsque la maman avait des obligations professionnelles. Carole Faure, p-dg de Kaolink, affirme quant à elle avoir su préserver sa vie de famille. Chaque mercredi, elle déjeune avec ses enfants et n'hésite pas à opter pour le télétravail si l'un d'eux tombe malade. «Aujourd'hui, les obstacles tombent, et l'on peut très bien vivre en étant connectée», souligne-t-elle. Management d'une société, vie de famille: les chefs d'entreprise au féminin sont bien obligées de cultiver cette double casquette.
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J'ai profité d'une souplesse d'horaires pour tout mener de front
BRIGITTE PRONOST, gérante de Blé Noir
Les clichés ont la dent dure. Quand elle crée sa crêperie, Brigitte Pronost doit faire face aux inévitables remarques sur l'organisation de sa vie familiale. Les banquiers lui demandaient toujours comment elle allait jongler entre son métier et sa vie personnelle avec deux enfants. «Or, la question n'a jamais été posée à mon mari quand il a rejoint l'entreprise.» Pourtant, sans son conjoint, Brigitte Pronost n'aurait jamais pu créer son restaurant. «C'est un soutien indispensable pour une femme qui entreprend.» Et pour cause: il n'a pas hésité à prendre un congé parental de deux ans pour offrir à sa femme une totale disponibilité dans ses premiers pas de dirigeante. Pourtant, passé ce cap difficile, elle apprécie la souplesse de son métier de chef d'entreprise. «Régulièrement, je prends une journée pour rester avec mes enfants», explique la dirigeante de Blé Noir, qui a installé un bureau à son domicile.
BLE NOIR >> Repères
- ACTIVITE: Restauration
- VILLE: Brest (Finistère)
- FORME JURIDIQUE: SARL
- DIRIGEANTE: Brigitte Pronost, gérante, 46 ans
- ANNEE DE CREATION: 1986
- EFFECTIF: 15 alariés
- CA 2005: 1 million d'euros