LE MADE IN FRANCE, UNE PLANCHE DE SALUT POUR LES PME?
Prise de conscience des politiques et des consommateurs, développement des PME, valorisation du savoir-faire à la française: le made in France a des atouts qu'il sait défendre. Mais il doit encore faire face à de vieux démons. Le premier d'entre eux: les prix élevés des produits tricolores.
Je m'abonnePrès de neuf Français sur dix estiment que les entreprises de l'Hexagone doivent produire prioritairement sur le territoire, afin de soutenir la croissance et l'emploi, selon une enquête TNS Sofres commanditée par le ministère de l'Economie, de l'Industrie et l'Emploi, en avril 2010. Les récentes crises économiques et politiques renforcent le sentiment de citoyenneté des populations. Au plus fort de la crise financière, les Français ont pris conscience de l'importance que revêt la sauvegarde des emplois dans leur pays. Et qui dit production en France, dit maintien, voire création d'emplois.
Consommer local attire également les « locavores», ceux qui choisissent des produits élaborés à moins de 250 kilomètres de chez eux. « Ce sont les clients-clés du made in France, au même titre que «les créatifs culturels»», assure Nathalie Van Laethem, manager de l'offre marketing au sein du centre de formation Cegos. Cette autre tendance, émergente, prône les valeurs de citoyenneté et de solidarité. « Ce sont des consom mateurs qui se font plaisir avec des produits de proximité, quitte à dépenser un peu plus », complète-t-elle.
Mais, quelle réalité se cache derrière le made in France? Est ce que l'assemblage dans l'Hexagone de composants importés de pays à bas coût entre dans ce champ? Sachant que de nombreux produits ne sont pas fabriqués sur le territoire, le 100 % made in France devient-il une utopie? En effet, aujourd'hui, les produits français contiennent globalement plus de pièces étrangères qu'auparavant. D'après les chiffres du ministère de l'Industrie publiés en 2010, la teneur en composants français des produits assemblés dans l'Hexagone est passée de 75 % en 1999 à 69 % en 2009.
Franck Rizzin, directeur de l'entreprise NP Créations, fabricant d'articles de jardin, nous livre sa définition du made in France: « Il s'agit de concevoir des produits de A à Z en France, selon les lois et règlements du pays, en particulier le droit social, les normes antipollution, les règles et usages de qualité sanitaire et industrielle, etc. » La totalité de la production de NP Créations peut ainsi se targuer d'une conception 100 % française. Pour Nathalie Van Laethem (Cegos): «Cette expression ne désigne pas seulement un lieu de fabrication. Elle représente également une valeur ajoutée. » Laquelle? La qualité du produit tricolore. Experts et chefs d'entreprise s'accordent à mettre en avant cet argument de vente. Selon Nathalie Van Laethem, «le made in France a des atouts à jouer autour d'un savoir-faire et d'une attente de haute qualité du consommateur, qu'il soit à l'étranger ou non. »
Prix contre qualité. En effet, selon une étude du fabricant français de lunettes Atol - qui a relocalisé sa production dans le Jura- réalisée en juin 2009 (au plus fort de la crise), 39 % des consommateurs interrogés se déclarent prêts à payer jusqu'à 10 % plus cher leur produit contre la garantie de son origine. «Oui, le made in France plaît! Mais, il faut lutter contre l'idée reçue selon laquelle les produits 100 % français sont inaccessibles, proteste Franck Rizzin (NP Créations) . Le consommateur arbitre toujours son acte d'achat en fonction du tarif. Pour valoriser la fabrication tricolore, c'est à nous, industriels, de savoir afficher un prix cohérent. » Le dirigeant met alors en avant la main-d'oeuvre française, plus qualifiée, qui connaît les techniques de fabrication du produit sur le bout des doigts, mais surtout plus réactive. Pour cette PME dont le chiffre d'affaires est soumis aux caprices de la météo, c'est un détail non négligeable. Même son de cloche chez Fabrice Rivière, directeur général de Kanopi, créateur de chapeaux de mode, qui est fier d'afficher une production 100 % tricolore. «Nos distributeurs réclament un produit selon un imprimé particulier? Nous pouvons répondre à la tendance du moment car nos équipes sont dans les environs et que nos délais de transport sont courts. » Mais, le chef d'entreprise doit composer avec ce dilemme: si ses distributeurs sont satisfaits de la souplesse que propose Kanopi, le client final, lui, paye toujours ce fameux prix plus élevé qui fait le défaut du made in France. En cause? «Des charges sociales élevées», répond Fabrice Rivière. La main-d'oeuvre est certes plus compétente et le produit de meilleure qualité, mais également plus chère.
Un surcoût? Quel surcoût? Stéphane Nitenberg est directeur général d'Aston, fabricant de décodeurs de TNT (télévision numérique terrestre). En 1994, la PME alsacienne délocalise sa production en Corée du Sud. Mais en février 2011, elle fait le pari audacieux de relocaliser 25 % de sa production sur le territoire hexagonal. «Les produits fabriqués en France et en Corée du Sud sont les mêmes, mais la stratégie d'entreprise est différente», avance Stéphane Nitenberg. Son entreprise évolue sur des marchés volatiles, fortement concurrentiels et sur lesquels les avancées technologiques vont très vite. Pour répondre aux besoins des marchés français et européens, Aston ouvre donc une unité de production au sud de Strasbourg. Un véritable gage de souplesse, que revendique Stéphane Nitenberg auprès de ses distributeurs, mais aussi un tremplin pour l'emploi. Avec l'ouverture de cette usine, Aston embauche 20 ouvriers et relance, à son échelle, l'emploi local. La main-d'oeuvre est moins bon marché et les contraintes sociales plus importantes, mais la PME réalise aussi des économies. Depuis la Corée du Sud, les taxes douanières représentent un surcoût de 20 % sur le prix de revient du produit. «En produisant en France, nous évitons ces taxes douanières. Un gain qui suffit à compenser le surcoût de la main-d'oeuvre», estime Stéphane Nitenberg. Si la fabrication française semble trouver un écho favorable auprès de la clien tèle, encore faut-il pouvoir attester de cet atout. Or, à part quelques initiatives isolées - comme ces sites qui valorisent les produits made in France: Hexaconso.fr, Lafabriquehexagonale.com, ou encore Madine-france.com... - un label national encore peu connu (Entreprise du patrimoine vivant, EPV) et des démarches identitaires au niveau régional, il n'existe aucune cohérence au niveau national. Difficile donc pour le consommateur de s'y retrouver.
Un label pour mieux communiquer?
Aujourd'hui un seul marquage officiel existe: le label Entreprise du patrimoine vivant (EPV), créé en 2005 par Renaud Dutreil, alors ministre des PME, du Commerce et de l'Artisanat. Cette appellation protège et valorise des TPE et PME souvent emblématiques des savoir-faire tricolores. Attribué sur dossier par une commission nationale, ce label offre des avantages fiscaux aux entreprises EPV, notamment pour la formation de jeunes postulants. Mais il reste encore assez méconnu et ne récompense qu'une élite. En 2010, seules 900 entreprises sont dotées de cette étiquette. Un dossier sur deux présentés est par la suite labellisé. Pour passer à la vitesse supérieure et créer une véritable marque nationale, le député de Seine-et-Marne Yves Jégo et la sénatrice parisienne Catherine Dumas ont déposé en mars 2011 une «proposition de résolution pour une meilleure traçabilité des produits vendus en Europe, au bénéfice des consommateurs et de l'emploi» (lire l'interview p. 36) . Ce label baptisé Origine France garantie a pour mission de défendre l'emploi local, mais pas seulement. Il doit aussi informer le consommateur par l'obligation d'un marquage d'origine et la valorisation de savoir-faire industriels locaux par la création d'indications géographiques protégées (IGP). Ces dernières existent déjà pour de nombreux produits agro-alimentaires, mais pourraient s'étendre à des productions industrielles locales comme la porcelaine, la coutellerie ou encore les produits textiles.
Cette information, qui a pour vocation de dépasser nos frontières, trouve son origine dans une volonté générale des politiques français de défendre les produits nationaux. Tout commence en novembre 2009, lorsque Christian Estrosi, alors ministre de l'Industrie, inaugure les états généraux de l'Industrie. Le but est de dresser un état des lieux de la situation du pays, marqué par des années de délocalisation. Mais surtout, il s'agit de «redonner à la France une ambition industrielle nationale», via un objectif de grande ampleur: augmenter la production tricolore de 25 % d'ici à 2015. Par la suite, Christian Estrosi inaugure, à la rentrée 2010, un Observatoire du fabriqué en France. Ce dernier comprend le lancement d'une Conférence nationale de l'industrie, la distinction de 11 filières industrielles stratégiques avec des comités chargés de piloter la politique en la matière et la revalorisation du made in France. Le label Origine France garantie s'inscrit dans cette démarche. « Cette «appellation» est d'autant plus importante car face à la mondialisation accrue, elle permet de renforcer la régionalisation, affirme Nathalie Van Laethem (Cegos). Il y a un besoin de retrouver ses racines. »
TÉMOIGNAGE En produisant en France, nous contribuons à sauver l'emploi local YVES CROUVEZIER, p-dg de Crouvezier Développement
« Nos ennemis? Les industriels indiens, chinois et pakistanais. Sans les 700 000 euros que nous réinjectons tous les ans dans notre outil de production, jamais nous ne pourrions tenir leur cadence et faire face à la concurrence! » Yves Crouvezier est le dirigeant de Crouvezier Développement, une PME vosgienne spécialisée dans l'ennoblissement du tissu (blanchiment, teinte, impression, etc.) et dont la fabrication est 100 % française. S'il a choisi de produire en France, c'est d'abord pour des raisons de qualité et de compétences de la main-d'oeuvre. De plus, la PME utilisant beaucoup de produits chimiques pour le traitement des tissus, elle peut garder la main sur ses rejets polluants. Et rester en conformité avec les normes européennes sur la pollution et peut se présenter sans sourciller aux contrôles de l'Afnor (Association française de normalisation), puisque l'entreprise est certifiée ISO 9001. Enfin, pour Yves Crouvezier, produire en France, c'est défendre l'emploi des habitants de la région et renforcer leur pouvoir d'achat. « Les usines tournent, ce qui permet de conserver les emplois, voire de prévoir des embauches. Ce qui est bon pour l'économie du département! » Toutefois, résister à la mondialisation, pour une PME, n'est pas toujours facile. Crouvezier Développement adhère donc au label Vosges Terre de Textile. « Il fédère la filière de manière verticale. Il y a une sorte d'entraide entre les différents acteurs.» Grâce au label, le savoir-faire de son entreprise est reconnu, mais, il noue aussi des partenariats avec d'autres entreprises pour défendre les couleurs de leur région.
CROUVEZIER DÉVELOPPEMENT - Repères
ACTIVITE: Fabrication de textile
VILLE: Gérardmer (Vosges)
FORME JURIDIQUE: SAS
DIRIGEANT: Yves Crouvezier, 57 ans
ANNEE DE CREATION: 2000
EFFECTIF: 54 salariés
CA 2010: 8,5 MEuros
TÉMOIGNAGE La labellisation régionale complète le made in France ERIC TARRERIAS, p-dg de Tarrerias-Bonjean
« Fabriquer en France est de plus en plus un atout. Auparavant, les prix trop élevés freinaient les clients. Mais ces derniers sont désormais attentifs à la qualité. Alors nous n'hésitons pas à investir et à miser sur cette plus-value.» Eric Tarrerias, p-dg de la coutellerie TarreriasBonjean, renouvelle tous les ans son outil de production, notamment pour être à la pointe des dernières technologies. Par ailleurs, il augmente chaque année son budget R & D de 5 %. Actuellement, son usine basée à Thiers, capitale de la coutellerie, réalise 70 % de la production de la PME, en produisant des couteaux de cuisine. Les 30 % restants dépendent de l'activité couverts de table, des ustensiles qui restent fabriqués en Asie. « Il s'agit d'un assemblage différent qui ne nécessite pas de savoir-faire particulier », justifie Eric Tarrerias. Fabricant de couteaux depuis des générations, Tarrerias-Bonjean est numéro un du marché français, avec un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros. Pourtant, pour le dirigeant, la valeur ajoutée réside dans l'appellation régionale Couteau de Thiers, identifiable par un logo sur chacun de ses produits fabriqués en France. « La labellisation régionale complète le made in France. Il touche des consommateurs avertis, en quête de qualité, souligne Eric Tarrerias. Qualité et origine vont de pair. De plus, depuis la crise, acheter français apparaît comme un acte citoyen: c'est une opération bénéfique à l'économie locale.»
TARRERIAS-BONJEAN -Repères
ACTIVITE: Fabrication de couteaux
VILLE: Thiers (Puy-de-Dôme)
FORME JURIDIQUE: SAS
DIRIGEANT: Eric Tarrerias, 45 ans
ANNEE DE CREATION: 1999
EFFECTIF: 49 salariés
CA 2010: 20 MEuros
Labels national (Entreprise du patrimoine vivant, EPV) et régionaux permettent aux PME d'attester de leur savoir-faire.
Séduire au-delà de nos frontières.
C'est pourquoi les PME n'ont pas attendu les initiatives gouvernementales et ont elles-mêmes oeuvré à s'unir sous des couleurs communes. Ainsi, des labels régionaux fleurissent aux quatre coins de la France. Parmi eux, le label Vosges Terre de Textile, initié par le chef d'entreprise et président du syndicat Textile de l'Est: Paul de Montclos. « Le consommateur est de plus en plus sensible au lieu de conception du produit qu'il souhaite acheter. Et au-delà de nos frontières, le label permet d'appuyer l'art de vivre à la française. Il nous identifie et nous différencie de la masse mondiale. » En renforçant leur visibilité, les PME se positionnent mieux sur les marchés internationaux. Les produits séduisent davantage de donneurs d'ordre, dans nombre de domaines et pas uniquement les plus attendus comme la mode ou la gastronomie. Désormais, même dans la métallurgie, l'automobile ou encore la technologie, les produits tricolores ont leurs atouts, le premier d'entre eux étant l'innovation. Guy Delrieu, à la tête de la première - et unique - entreprise française à cultiver du ginseng, France Ginseng, a même réussi à séduire le marché... chinois, exportateur emblématique de la plante depuis 5 000 ans. Pourquoi? « Tout simplement parce que nos produits bénéficient d'une excellente traçabilité et de modes de production qui mettent en avant l'agriculture biologique », assure le dirigeant de France Ginseng.
Elan patriotique, argument marketing ou préoccupation éthique: le made in France semble avoir encore de beaux jours devant lui. n
TROIS QUESTIONS À Yves Jégo, député de Seine-et-Marne « La floraison des labels locaux prouve qu'il y a un vrai besoin de proximité, voire d'authenticité »
Yves Jégo, député de Seine-et-Marne, accompagné de Catherine Dumas, sénatrice parisienne ont déposé, en mars 2011 à l'Assemblée nationale et au Sénat, une proposition de résolution pour une meilleure information sur l'origine des produits de grande consommation. Ils soutiennent par ailleurs la création d'une labellisation Origine France garantie, transparente pour le consommateur et valorisante pour les entreprises.
- Aujourd'hui, les PME ne peuvent-elles que s'affirmer en se regroupant sous un même label?
L'indication d'origine redevient une valeur forte pour les produits quels qu'ils soient. 77 % des dirigeants considèrent que la traçabilité des produits constitue un véritable atout, tant sur le marché intérieur qu'extérieur. Avec le label Origine France garantie, l'idée est de créer une sorte de marque volontaire qui répondrait aux critères d'un cahier des charges précis. Ce dernier sera placé sous la responsabilité de l'organisme de contrôles Bureau Veritas Certification. Ce label n'a aucun caractère obligatoire, mais il permettra de définir une démarche commune aux entreprises qui veulent que leur savoir-faire soit reconnu. Le label sera transversal et touchera tous les secteurs.
- Ce label sera-t-il un plus qui penchera dans le panier du consommateur?
Prix, marque, origine... Le consommateur est à la recherche d'informations. La provenance de son produit intervient désormais dans son arbitrage d'achat. C'est une sorte de garantie supplémentaire de transparence. Il faut arrêter de noyer le consommateur dans un processus mondial de fabrication de plus en plus éclaté.
- Mais ne risque-t-il pas non plus de se perdre dans la multiplication des labels?
La floraison des appellations locales prouve qu'il y a un vrai besoin de proximité, voire d'authenticité. Ce label sera une sorte de marque chapeau qui aidera les régions et les marques les moins connues à se faire connaître, notamment à l'export. Tout le monde n'a pas la chance de s'appeler L'Oréal! Il faut s'affirmer sous les couleurs françaises: la mondialisation trouve ses limites.