LE DIALOGUE SOCIAL EXISTE-T-IL DANS LES PME?
Au pire inexistant, au mieux inefficace... le dialogue social a du mal à se développer dans les PME. Cependant, la loi du 20 août 2008, qui permet aux délégués du personnel de signer des accords d'entreprise, pourrait changer la donne. Une bonne nouvelle pour les dirigeants de PME qui ont tout à y gagner.
Je m'abonneGrèves, usines bloquées, patrons séquestrés. Les situations, parfois caricaturales, ne manquent pas lorsque le dialogue social est rompu dans les grandes entreprises. Récemment encore, les salariés d'Ikea ont occupé le siège français du géant suédois de l'ameublement, car les négociations salariales n'avaient pas abouti. Les TPE et les PME semblent majoritairement épargnées par ce phénomène. Conséquence d'un meilleur dialogue entre les dirigeants et les représentants des salariés ? C'est en tout cas l'idée portée par la plupart des organisations patronales : «Le dialogue social le plus positif se passe dans les petites structures. Car il y a un contact permanent entre le chef d'entreprise et ses salariés», affirmait, début février, Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), devant notre caméra. Un avis partagé par le mouvement Entreprises de taille humaine indépendantes et de croissance (Ethic). Selon Sophie de Menthon, présidente de l'organisation patronale, « les patrons de PME font du dialogue social à la façon de Monsieur Jourdain, sans même le savoir. Et la porte-parole du mouvement d'ajouter : Il n'y a pas forcément besoin d'intermédiaires pour avoir un bon dialogue social dans une entreprise. »
A LIRE
- PME ET DIALOGUE SOCIAL, SAVOIR NEGOCIER
De Maéva Sandeau et Henri Lasserre, éditions Chroniques Sociales, 232 pages, janvier 2005 19,50 euros.
- NEGOCIATION COLLECTIVE DANS L'ENTREPRISE 2010-2011
De Gérard Kesztenbaum et Stéphane Béal, éditions Delmas, 436 pages, octobre 2009, 52 euros.
TEMOIGNAGE
Les demandes des délégués ne sont pas toujours réalistes
JEAN BERTIER, directeur de Jiga
Lors des premières élections du délégué du personnel en 2007, Jean Bertier, à la tête de Jiga, une SSII, a poussé les salariés à se présenter. le dirigeant souhaitait, en effet, que ses collaborateurs s'impliquent dans le quotidien de l'entreprise.
Pourtant, aujourd'hui, sa position sur le sujet est plus mitigée. «J'ai l'impression qu'il y a un décalage entre leurs attentes et mes moyens», confie Jean Bertier. Par exemple, le dirigeant souhaite mettre en place une hot line pour répondre, à toute heure, aux questions et problèmes de certains clients. Pour cela, un système d'astreinte doit être envisagé. Mais, après trois réunions avec les DP, les négociations sont dans l'impasse : «Les compensations salariales demandées sont trop élevées. Je vais finalement passer par un prestataire, alors que c'était le DP qui voulait internaliser le service pour augmenter les rémunérations», souligne-t-il.
Pour autant, Jean Bertier continue de penser que le rôle du délégué du personnel est primordial. l'obligation de la réunion mensuelle permet au dirigeant de se poser et d'écouter les problèmes soulevés par ses salariés. Une façon, pour lui, de garder le contact «avec ceux qui font la vraie valeur de l'entreprise».
JIGA - Repères
ACTIVITE: ASSII dédiée au PME et PMI
VILLE: Paris (IXe arr.)
FORME JURIDIQUE: SARL
DIRIGEANT: Jean Bertier, 39 ans
ANNEE DE CREATION: 1999
EFFECTIF: 22 salariés
CHIFFRE D'AFFAIRES 2009: 2,1 Euros
RESULTAT NET 2009: 50 kEuros
L'illusion de la porte ouverte. A en croire les principaux mouvements patronaux, plus l'entreprise est petite, moins les représentants du personnel sont nécessaires. La principale raison ? La proximité entre le dirigeant et les salariés permettrait de parler de tous les sujets, même des plus sensibles comme la rémunération ou les soucis de management. «La porte de mon bureau est toujours ouverte, affirme Patrice Berthe, gérant d'Abc Pliage, une PMI nantaise de 15 salariés spécialisée dans le travail de l'acier. Les salariés savent qu'ils peuvent me parler sans détour. » C'est d'ailleurs en se basant sur ce postulat que le Medef et la CGPME ont décidé de ne pas poursuivre les négociations sur l'instauration du dialogue social dans les TPE (voir l'encadré p. 48). Un point de vue partagé par les salariés des petites entreprises. Selon une étude réalisée en novembre 2009 par Opinion Way pour le cabinet Fiducial, 82 % des salariés de TPE estiment que le dialogue avec leur patron est bon (50 %), voire très bon (32 %). Ils sont même 64 % à penser que l'instauration d'institutions représentatives du personnel n'améliorerait pas la qualité du dialogue social. Ainsi, le représentant du personnel, quel qu'il soit, serait un poids pour les petites structures ? Faux, rétorque Henri Lasserre, sociologue et ancien professeur universitaire en ressources humaines. Pour lui, le dialogue direct entre les salariés et la direction est tronqué : « C'est ce qu'on appelle l'illusion de la porte ouverte !» L'expert l'affirme, «même dans les petites équipes, certains collaborateurs ont du mal à parler ouvertement à leur patron, notamment parce qu'il n'est pas toujours évident dépasser outre le lien hiérarchique». Une frontière souvent invisible qui existe également pour le dirigeant.
PATRICE BERTHE, gérant d'ABC Pliage
"Pour la mise en place du programme d'intéressement, notre délégué du personnel a fait le relais auprès des salariés."
Le dialogue social, une force. Un constat d'autant plus amer que, pour Henri Lasserre, « le dialogue social est une force pour les PME». Notamment en termes de management, car il permet d'impliquer davantage les salariés dans le quotidien de l'entreprise. C'est aussi un formidable outil pour sentir les tensions larvées et désamorcer des conflits naissants. Tête de pont du dialogue social, et obligatoire dans les TPE dès 11 salariés, le délégué du personnel (DP) est un interlocuteur privilégié pour certains projets d'envergure. «Pour la mise en place du programme d'intéressement, notre DP a fait le relais auprès des salariés», confie Patrice Berthe (Abc Pliage). C'est lui qui expliquait le projet et remontait les questions des collaborateurs. Qu'en est-il dans les entreprises de plus de 49 salariés ? Le dialogue social est souvent perçu, là aussi, comme une contrainte. Il faut dire que les dirigeants ont parfois du mal à savoir ce qui relève du comité d'entreprise (CE), des délégués du personnel, des délégués syndicaux ou du CHSCT (voir encadré p. 44). Sans compter que la mise en place de ces instances n'est pas indolore. «Le coût représente, en moyenne, 4% delà masse salariale d'une PME», estime Michel Meunier, vice-président du Centre des jeunes dirigeants (CJD) .
RETRO PLANNING
Le rôle des délégués renforcé. Des règles trop compliquées ? Pas toujours bien comprises et bien perçues ? Le législateur a récemment fait évoluer les modalités du dialogue social dans les TPE et PME, avec la loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale dans les entreprises. Le délégué syndical (DS) est le premier concerné. Les critères de représentativité de ce partenaire, à même de négocier et signer des accords d'entreprise (35 heures, couverture retraite, mise en place d'un Perco, etc.), se sont durcis. Depuis la loi du 20 août 2008, un délégué syndical est considéré comme représentatif dans une société s'il a obtenu au moins 30 % des suffrages lors du premier tour des élections professionnelles. Seul problème : les syndicats sont très peu présents dans les entreprises de moins de 50 salariés. Henri Lasserre (sociologue) parle même de «désert syndical». Un constat partagé par Stéphane Béal, avocat associé chez Fidal et spécialiste du droit social : «Il arrive que des dirigeants de PME demandent à un salarié de se syndiquer, uniquement pour pouvoir négocier et mettre en place des accords d'entreprise. » Pour pallier ce frein au développement du dialogue social dans les PME, le législateur a, parallèlement, étendu les pouvoirs du délégué du personnel. Ainsi, un DP peut désormais négocier et signer des accords d'entreprise, à condition qu'il n'y ait pas de délégué syndical dans la société. «La volonté du gouvernement est de faciliter et d'encourager le dialogue social dans les plus petites structures», explique Stéphane Béal (Fidal) . De fait, le DP est devenu une pierre angulaire du dialogue social, notamment dans les sociétés de 11 à 49 salariés.
Ses missions vont donc au-delà de la représentation du personnel auprès du dirigeant. Il ne se contente plus d'être le porte-parole des réclamations individuelles ou collectives en matière d'application de la réglementation du travail. Un point positif pour Michel Meunier (CJD) : «Si le dialogue social est souvent inexistant dans les entreprises de moins de 50 salariés, la loi du 20 août va changer la donne. Déplus en plus d'accords devraient être signés dans les entreprises par les délégués du personnel», prévoit-il. Mais l'organisation patronale va plus loin. Pour faciliter et inciter l'émergence d'un vrai dialogue social dans les petites structures, elle prône la mise en place d'une instance unique de représentation du personnel (IURP), qui regrouperait toutes celles existantes (CE, CHSCT, DP...). Et ce, à partir de 10 salariés. «Le dialogue social serait ainsi simplifié», souligne Michel Meunier.
STEPHANE BEAL, avocat associé chez Fidal et spécialiste du droit social
Il arrive que des dirige de PME demandent à un salarié de se syndiquer, uniquement pour pouvoir négocier des accords d'entreprise.
EN BREF
Dialogue social dans les TPE: vers des commissions mixtes paritaires ?
Fin janvier, l'Union professionnelle artisanale (UPa) et quatre syndicats (CGT, CFDT, CFE-CGC et CFTC) ont signé une lettre commune à l'intention du Premier ministre sur l'instauration du dialogue social dans les entreprises de moins de 11 salariés. leur recommandation ? Mettre en place des commissions mixtes paritaires dont les représentants des salariés seraient élus sur la base d'un collège ouvriers et employés, et d'un collège pour les autres. Des accords collectifs, au niveau des branches ou des secteurs professionnels, devront définir les modalités des élections. Ces dernières serviront également à mesurer l'audience des syndicats dans les TPE. Pour l'heure, les futures commissions paritaires n'auraient pas vocation à négocier des accords d'entreprise. leur rôle serait d'informer et de sensibiliser les salariés et les patrons au dialogue social, et à veiller à l'application des accords collectifs de travail.
Place à la formation ? Reste deux difficultés : la formation des parties prenantes et leur état d'esprit. En effet, le code du travail français évolue pratiquement tous les mois. Et négocier des accords d'entreprise valides nécessite des connaissances pointues et actualisées. C'est d'ailleurs pour cette raison que les organisations syndicales secondent et forment les délégués qui les représentent. Pour les délégués du personnel ? Sur ce point précis, rien n'est réellement prévu par le législateur. Pourtant, Henri Lasserre (sociologue) l'affirme : «La formation des chefs d'entreprise mais aussi des délégués du personnel est un point clé pour le développement du dialogue social dans les PME. » Une problématique que connaît bien Dominique Goubault, à la tête de l'imprimerie nantaise éponyme de 45 salariés. Pour lui, «le dirigeant doit être formé pour savoir ce qui peut être négocié et de quelle façon les accords doivent être mis en place». En raison d'un emploi du temps déjà très chargé, le chef d'entreprise estime qu'il est «impossible de suivre l'évolution du code du travail». La personnalité des représentants du personnel et du patron et l'état d'esprit qui les anime jouent également un rôle prépondérant dans le bon déroulement du dialogue social. Car certains a priori ont encore la peau dure. «Les dirigeants de petites structures perçoivent l'entreprise comme un patrimoine privé, décrypte Henri Lasserre. Dès lors, l'arrivée d'un délégué du personnel et d'un délégué syndical est souvent vécue comme une entrave à leur autonomie décisionnelle». Le sociologue convient aussi qu'il existe un relent idéologique proche de la lutte des classes chez certains syndicalistes. Faire face à des représentants du personnel campés sur leurs positions, c'est ce qu'a connu Dominique Goubault (Goubault Imprimerie) lors de la mise en place de la modulation des horaires de travail dans son entreprise en 2003. «Les négociations ont été difficiles. Et, au final, parce que les représentants du personnel sont restés arc-boutés sur leurs positions, trois personnes ont été privées de la modulation», regrette le chef d'entreprise. Le dirigeant reconnaît, avec le recul, « ne pas avoir été adroit» non plus lors des négociations. «Le dialogue social est un art difficile», avoue-t-il. Finalement, même si le dialogue social est très encadré par la loi, son bon déroulement dépend en partie de l'état d'esprit des acteurs. Oublier ses a priori, se montrer pragmatique et faire des concessions, voilà, sans conteste, le triptyque qui permet d'aboutir à des accords bénéfiques pour tout le monde.
TEMOIGNAGE
Je dresse un constat de carence tous les ans
JEAN BATTAULT, président du directoire de Gabriel Boudier
Chaque année, l'histoire se répète. Jean Battault, président de Gabriel Boudier, une entreprise dijonnaise de 64 collaborateurs qui produit de la crème de Cassis, organise l'élection des délégués du personnel et des représentants au comité d'entreprise. résultat : tous les ans, c'est un constat de carence. «Les salariés ne se présentent pas », explique le dirigeant. la raison ? «Ils n'en sentent pas la nécessité.» les collaborateurs n'hésitent pas à pousser la porte de son bureau quand ils ont un problème. En outre, la gestion de l'entreprise se fait «en toute transparence » avec des « échanges constants avec les équipes». Du coup, quand le dirigeant décide de communiquer sur le développement de l'entreprise, il nomme des chefs de projet dont le rôle est double : faire descendre l'information auprès des équipes et remonter les questions auprès de la direction. Une organisation qui semble porter ses fruits : «Chez nous, le turnover est très faible», souligne Jean Battault, avant de conclure : «Le dialogue social, c'est le dialogue tout court. »
GABRIEL BOUDIER - Repères
ACTIVITE: Fabrication et distribution de crème de Cassis
VILLE: Dijon - (Côte-d'Or)
FORME JURIDIQUE: SA
EFFECTIF: 64 salariés
DIRIGEANT: Jean Battault,58 ans
ANNEE DE CREATION: 1874
CHIFFRE D'AFFAIRES 2009: 13,5 MEuros
RESULTAT NET 2009: 300 kEuros