Giffard, une entreprise portée sur la boisson depuis 1885
Prenez un petit pharmacien audacieux, baignez-le dans l'entrepreneuriat. Versez une large dose d'innovation. Laissez les descendants secouer le cocktail. Et vous obtenez la recette d'une success story commencée à la fin du XIXe siècle à Angers.
Je m'abonne« Ma maison de distillerie a été fondée en octobre 1885. L'avenir dira si j'ai eu raison. » Voilà ce que couche dans son journal Emile Giffard, pharmacien herboriste de son état, lorsqu'il se lance ni plus moins dans l'aventure de sa vie. En 2012, 127 ans plus tard, la société emploie une cinquantaine de salariés et dégage 11 millions d'euros de chiffres d'affaires en GMS, CHR et réseaux spécialisés! Une sacrée réussite, fruit du travail acharné de quatre générations qui se sont succédé à la tête de cette entreprise dont la marque éponyme est désormais connue à travers plus de 50 pays. Depuis 1992, ce sont Bruno et Edith Giffard qui occupent les fonctions respectivement de p-dg et directrice générale déléguée. Arrière-petits-enfants du fondateur, ils mènent de main de maître une PME en croissance de 10 % par an malgré la crise. Lui, à l'export et à la gestion. Elle, au marketing et au commercial. Il faut dire que rien n'est laissé au hasard. Intégrés dans les effectifs à la fin des années quatre-vingt pour seconder leur père Jacques, à quelques années d'une retraite bien méritée, le frère et la soeur héritent d'une entreprise d'une vingtaine de collaborateurs, déjà implantée à l'étranger, aux gammes et aux marchés en expansion mais guère structurés. Leur prédécesseur, arrivé en 1954, a en effet jeté son dévolu sur l'Europe, en particulier l'Angleterre et l'Allemagne après avoir multiplié les créations de sirops. On était déjà loin à cette époque de la petite affaire d'Emile Giffard. Celle-là même qui s'est fait connaître et reconnaître pour son produit-phare, la Menthe-Pastille, une boisson aux vertus annoncées comme digestives et rafraîchissantes. C'est ainsi qu'il la vante à ses premiers clients, les pensionnaires du Grand Hôtel d'Angers, établissement voisin de sa pharmacie. Convaincu du potentiel de son produit, il investit peu après dans une distillerie et lance plusieurs liqueurs et sirops avant de s'éteindre précocement en 1901. C'est son fils, Maurice, qui reprend la maison. Un jeune homme de 18 ans à peine, qui bataille pour la maintenir à flots malgré les deux guerres mondiales.
Cette suite d'événements, Edith Giffard pourrait en parler durant des heures. Fière de ses ancêtres et de leur labeur pour contribuer à faire de la PME ce qu'elle est devenue aujourd'hui, elle admet pourtant qu'à l'instar de son frère, elle a bien failli ne jamais inscrire son nom dans l'histoire de la marque. Nullement forcés par leur père, qui avait mal vécu la pression de son propre père pour reprendre l'entreprise, les codirigeants ne ressentent l'envie de participer à l'essor de Giffard qu'à l'approche de la trentaine, après avoir étudié le droit pour Edith et l'ingénierie en travaux publics pour Bruno. « Nos enfants exerceront le métier qu'ils souhaitent dans l'entreprise de leur choix », affirme la quinquagénaire, à mille lieux de passer la main tant elle s'investit et s'épanouit dans son travail.
Giffard
- Activité
Production de liqueurs et sirops
- Ville
Avrillé (Maine-et-Loire)
- Forme juridique
SA
- Dirigeants
Edith Giffard, 55 ans et Bruno Giffard, 54 ans
- Année de création
1885
- Année de reprise
1992
- Effectif
47 salariés
- CA 2011
MEuros
Export et innovation, un cocktail détonnant
Investissements massifs dans l'outil de production afin d'en doubler la capacité, remise à plat des procédés de transformation des fruits de façon à en optimiser la qualité et la durée de vie, refonte des packagings pour dépoussiérer l'image, redécoupage des domaines d'activité à l'aide d'un consultant pour gagner en efficacité commerciale, rachat de Bigallet, une TPE en déclin mais riche de références complémentaires... Les chantiers se suivent et ne se ressemblent pas depuis une dizaine d'années. Par exemple le virage appuyé à l'international, où la PME réalise 38 % de ses ventes via une cinquantaine d'importateurs. Entre 2008 et 2012, pas moins de 20 pays sont ajoutés au tableau de chasse de la société. « Cette explosion à l'export a plus que compensé une légère baisse du chiffre d'affaires en France entamée en 2009 », se félicite la directrice générale déléguée. Giffard bénéficie du renouveau que connaît le cocktail et de la mode des bars lounge. Sa présence dans les endroits tendance des capitales de pays traditionnellement amateurs de ce type de consommation lui assure une forte notoriété dans le petit monde des barmen. Notoriété qu'elle entretient grâce à un plan de communication savamment distillé en France et à l'étranger: stand et master classes animées par des professionnels ambassadeurs de la marque sur des salons pour les clients et prospects actuels, cours dans les écoles hôtelières et surtout un concours maison. Les barmen du monde entier se disputent la Giffard West Cup, une institution dans le milieu! C'est tous les ans l'occasion de présenter les trois liqueurs et quatre sirops qui viennent compléter une gamme qui compte déjà 120 références. Car chez Giffard, on a l'innovation dans le sang. De 1885 avec le lancement de la Menthe-Pastille, à 2012 où Edith, fidèle à l'esprit de l'entreprise, met sur le marché une liqueur de sureau et une autre de melon. Des produits conçus en interne par le service R & D. « Nous partons des tendances qui émergent en cuisine », indique la codirigeante au nez fin: en 20 ans, elle n'a retiré quasiment aucun parfum.
ZOOM
De la petite pharmacie de centre-ville...
Tout commence à Angers même, dans un laboratoire de pharmacie où Emile Giffard invente la Menthe-Pastille en 1885. L'année suivante, il rachète une distillerie environnante qui, face au succès rencontré par le produit, devient vite trop exiguë. Il achète donc un terrain où sont érigées une usine plus grande et une maison d'habitation. L'entreprise y demeure jusqu'en 1972, date à laquelle les bâtiments sont vendus à l'école des Beaux-Arts et la production déménagée dans une zone d'activités toute proche.
Au tourisme industriel
La location d'un dépôt de stockage de produits finis à 10 minutes de l'entreprise permet de dégager sur place un espace suffisamment grand pour monter un circuit de visite de 250 m² ouvert au public. Entre mai 2012, date de son ouverture, et septembre, 1 500 curieux sont déjà venus découvrir l'histoire et les produits de Giffard, ainsi que les différentes facettes du métier de liquoriste. Les codirigeants tablent sur une fréquentation de l'ordre de 10 000 visiteurs d'ici à cinq ans.
Des affichettes dans le métropolitain...
Preuve de son succès et de son esprit visionnaire, Giffard fait appel aux plus grands affichistes pour célébrer la Menthe-Pastille: Misti crée la première en 1895, puis c'est le tour d'Ogé en 1901, suivi par Cappiello en 1929 (à gauche). Dès 1907, le dirigeant souscrit un abonnement à l'office de publicité du métropolitain de Paris, tandis que la marque se voit décliner sur une grande diversité de supports (éventails, jeux de cartes, carnets, cendriers).
... A celles des sorties d'agglomérations
Aujourd'hui, l'entreprise utilise toujours les affiches pour communiquer sur la Menthe-Pastille. On trouve ses publicités principalement dans le grand Ouest, sa région d'origine, où la notoriété du produit auprès du grand public est la plus forte. A chaque nouveau référencement du produit-phare dans un supermarché correspond une campagne d'affichage dans la ville en question.
DATES-CLÉS
1885
Création de l'entreprise par Émile Giffard
1901
Maurice, le fils d'Émile Giffard, lui succède à sa mort
1954
Le fils de Maurice Giffard, Jacques, prend la suite
1992
Reprise de l'activité par Édith et Bruno, les enfants de Jacques
2008
Développement de l'activité de la PME à l'international