Faut-il revenir aux 39 heures?
La durée hebdomadaire du travail alimente toutes les querelles politiques depuis la mise en place des 35 heures par la loi Aubry, en 1998. Plus pragmatiques qu'idéologues, les chefs d'entreprise estiment que le vrai débat porte sur le rapport des Français au travail.
Je m'abonneUn serpent de mer. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier le sujet des 35 heures, qui revient régulièrement sur le devant de la scène, à la faveur des déclarations publiques de telle ou telle personnalité. Le dernier rebondissement date de janvier: le député PS Manuel Valls s'illustrait en estimant qu'il faut « déverrouiller les 35 heures », une position inédite pour un homme de gauche et qui n'a pas manqué d'enflammer l'opinion. En février, le quotidien Les Echos publiait un sondage réalisé par Viavoice révélant que 73 % des dirigeants d'entreprise seraient favorables à un retour aux 39 heures. «Les patrons espèrent l'allongement du temps de travail car ils pensent ainsi diminuer leurs coûts de production en n'ayant plus à payer les heures supplémentaires et en organisant mieux le travail de leurs équipes. Mais leur amertume envers les 35 heures cache souvent un ras-le-bol devant le poids de leurs charges », observe un expert, sous couvert d'anonymat. Mises en place en 1998, les 35 heures ont d'abord été appliquées aux grandes entreprises, avant de concerner l'ensemble des sociétés. Les grosses structures ont dû appliquer immédiatement la loi, moyennant des incitations fiscales, tandis que les PME bénéficiaient d'un délai de mise en conformité. «De façon générale, les entreprises ont payé le passage aux 35 heures au prix fort, estime Bernard Domenget, dirigeant de BCaD-Consulting, conseil en transmission d'entreprises. Il a fallu trouver de nouvelles organisations, consacrer du temps et de l'argent à repenser les fonctionnements internes et négocier branche par branche. » Quant aux salariés, les experts reconnaissent qu'ils n'ont pas été épargnés: ils ont dû fournir le même travail dans un délai plus court et accepter le gel de leurs salaires. Pour toutes ces raisons, de nombreux dirigeants refusent un retour en arrière.
« Revenir sur les 35 heures serait aussi archaïque que de revenir sur la durée des congés payés », estime William Porret, directeur associé d'Enora consulting, conseil en management et conduite de projet. En effet, les salariés se sont habitués à cette durée légale, comme les employeurs qui, du reste, ont été entendus par les politiques.
Assouplissement en 2007. La loi Tepa d'août 2007 a accordé un allégement de charge sur les heures supplémentaires. C'est l'application du célèbre «travailler plus pour gagner plus» voulu par le président Sarkozy. «La loi sur les 35 heures de 1998 a donc été largement assouplie. Détricoter le fonctionnement actuel serait dangereux», estime Bernard Domenget (BCaD-Consulting), qui souligne que les employeurs aspirent à un peu de stabilité législative.
Quant aux salariés, ils ne manqueraient pas de laisser exploser leur mécontentement en cas de marche arrière, ceci sur fond de crise économique et alors qu'une multitude d'autres problèmes se posent aux entreprises.
La CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises) dresse un tableau pragmatique: «Aujourd'hui, les chefs d'entreprise se trouvent confrontés à la flambée du prix des matières premières, à des charges écrasantes au regard de celles supportées par leurs homologues européens, sans parler de la question du financement de la Sécurité sociale qui se pose à tous les acteurs économiques», souligne Jean-François Roubaud, président de la CGPME. Pour toutes ces raisons, revenir sur les 35 heures n'est pas une priorité pour le syndicat patronal. « Ce débat est surtout politique, résume William Porret (Enora). Chacun y va de sa conception du travail et de la société et les 35 heures servent de prétexte à contredire la partie adverse. »
Les observateurs s'accordent sur un point: la perception du travail en France a changé, et les salariés dressent une barrière plus franche entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Redonner le goût du travail tout au long de la vie, telle paraît être la vraie question.
SANTIANE.FR - Repères
- ACTIVITE: Courtier et comparateur d'assurances santé en ligne (mutuelles, complémentaires)
- VILLE: Nice (Alpes-Maritimes)
- FORME JURIDIQUE: SAS
- DIRIGEANT: Christophe Courtin, 32 ans
- ANNEE DE CREATION: 2006
- EFFECTIF: 70 salariés
- CA 2010: 5,6 MEuros
Les salariés apprécient de travailler plus pour gagner plus
CHRISTOPHE COURTIN, président de Santiane.fr
OUI
Courtier et comparateur d'assurances santé en ligne, Santiane.fr fonctionne sur une vaste amplitude horaire: les services sont joignables de 9 à 20 heures, six jours sur sept. Les commerciaux, répartis en deux équipes, se relaient et, pour la plupart d'entre eux, effectuent des heures supplémentaires. «Elles ne sont pas perçues comme une contrainte, souligne le dirigeant, Christophe Courtin. Bien au contraire, elles sont demandées par les salariés, qui ont ainsi l'opportunité de mieux gérer leur portefeuille et de concrétiser des affaires. » Car une heure de travail équivaut, dans cette PME, à quatre ou cinq clients supplémentaires contactés, voire gagnés. Pour Christophe Courtin: « Une durée hebdomadaire du travail de 39 heures permettrait de simplifier les choses: cela irait dans le sens de la productivité, tout en permettant aux salariés qui souhaitent travailler plus de pouvoir le faire. » Mais le dirigeant d'entreprise avertit: « Revenir à 39 heures hebdomadaires impliquerait que les patrons jouent le jeu et rémunèrent leurs salariés en conséquence ».
Revenir aux 39 heures serait coûteux, inadapté et contreproductif
PASCAL MIGNERY, p-dg d'Adding Group Adding Group emploie une majorité de jeunes cadres qui effectuent des missions de conseil en entreprise. En près de 20 ans d'existence, son dirigeant, Pascal Mignery, a observé une évolution des attentes professionnelles: «Aujourd'hui, la répartition du temps entre la vie professionnelle et la vie personnelle a changé: les salariés ne sont plus prêts à tout sacrifier à leur carrière et le temps de travail fait partie des arguments décisifs de recrutement. » C'est pourquoi Pascal Mignery exclut tout retour aux 39 heures: « Revenir en arrière serait non seulement coûteux en temps et en argent, mais surtout totalement en décalage avec les choix de vie actuels ». Ce dirigeant estime en revanche que le vrai débat devrait porter sur les solutions permettant d'accroître la satisfaction des salariés. L'une d'elle consisterait à définir une durée optimale du travail, négociée chaque année et de façon individuelle, tout au long de la vie professionnelle.
ADDING GROUP - Repères
ACTIVITE: Conseil en gestion des entreprises
VILLE: Cenon (Gironde)
FORME JURIDIQUE: SA
DIRIGEANT: Pascal Mignery, 45 ans
ANNEE DE CREATION: 1993
EFFECTIF: 130 salariés
CA 2010: 17 MEuros