Faut-il plafonner le salaire des patrons ?
Les rémunérations de certains patrons semblent excessives, même aux yeux des dirigeants de PME. Pour autant, est-ce à l'Etat de légiférer sur le sujet ? Une question récurrente qui crée encore et toujours la polémique.
Je m'abonneC'est un sujet polémique. Le salaire des dirigeants fait couler beaucoup d'encre... Ainsi, près de trois Français sur quatre sont favorables au plafonnement des salaires, selon un sondage Ifop pour l'Humanité, publié en janvier. Surprenant ? Pas tant que cela. Il existe en effet un amalgame dans la définition même du terme dirigeant. « Le grand public confond souvent l'entrepreneur, qui a créé et détient le capital de sa société, et le p-dg d'un grand groupe qui, le plus souvent, est uniquement salarié de l'entreprise », avertit Emmanuel Grimaud, membre de la commission Social et emploi de CroissancePlus, association réunissant des entreprises en croissance. Une distinction importante, car ce sont les salaires des «grands patrons» qui mettent souvent le feu aux poudres. S'ils ne sont qu'une poignée, leur salaire mensuel, parfois à sept chiffres, est très loin du salaire médian des Français et même du salaire moyen d'un dirigeant de PME. De fait, selon les derniers chiffres de l'Insee, un salarié sur deux gagne moins de 1 600 euros nets par mois. En outre, « le salaire moyen d'un dirigeant de PME est de 4 400 euros nets par mois. C'est moins que la rémunération de certains cadres », tient à rappeler Michel Meunier, président du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), mouvement patronal défendant l'idée d'un libéralisme responsable.
Je ne serais pas choquée si le salaire des dirigeants était plafonné
SOPHIE COUKA, codirigeante de Médial Conseil Formation
OUI
« Plafonner le salaire des dirigeants ? Pourquoi pas. » C'est la position de Sophie Couka, codirigeante de Médial Conseil Formation. « Il existe bien une limite basse, avec le Smic. Pourquoi ne pas instaurer une limite haute ? », s'interroge-t-elle. En outre, la patronne estime que le succès d'une entreprise est dû au travail de ses équipes, «dans sa globalité». Or, des disparités de salaires trop importantes peuvent nuire à la cohésion du groupe. Sophie Couka rappelle également que le salaire n'est pas la seule forme de revenu d'un dirigeant. « Il y a aussi les dividendes », fait-elle valoir. Le plafonnement ne signifie donc pas réduire les revenus d'un patron. Mais les corréler plus directement au succès de son entreprise. Enfin, elle souligne que la problématique du salaire touche surtout les p-dg des grands groupes, pas les dirigeants de PME, « où les écarts de rémunération sont souvent beaucoup moins importants ».
MEDIAL CONSEIL FORMATION >> Repères
ACTIVITE : Conseils en optimisation des organisationsn
- VILLE : Quimper (Finistère)
- FORME JURIDIQUE : SARL
- DIRIGEANTS : Philippe Couka, 47 ans, Sophie Couka, 46 ansn
- ANNEE DE CREATION : 2002
- EFFECTIF : 5 salariés
- CA 2010 : 500 kEuros
Un thème vieux comme Platon. Ce débat sur la rémunération des patrons n'est d'ailleurs pas nouveau. Platon estimait déjà en son temps que « le législateur doit établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté ». Le philosophe proposait même un rapport de un à quatre entre les revenus les plus hauts et les plus bas de la cité. Autre temps mais même ordre d'idées. John Pierpont Morgan, fondateur de la banque JP Morgan Chase & Co, affirmait au début du XXe siècle que le p-dg d'une grande société ne devait pas gagner plus de vingt fois la moyenne des salaires de ses employés. Plus récemment encore, François Hollande affirmait qu'on était «riche» à partir de 4 000 euros nets de revenu par mois. Bref, la définition de la richesse et d'un haut revenu est propre à chacun. Et, quelle que soit l'époque, la polémique sur la nécessité de définir un salaire maximum reste d'actualité.
Un dirigeant doit être rémunéré à la hauteur des risques qu'il prend
DAVID THOMAS, gérant de Magic Corporation
NON
Le dirigeant de PME prend des risques pour créer sa société. Certains attendent même des mois avant de se verser leur premier salaire. « Il est donc normal qu'ils puissent récolter les fruits de leur travail quand l'entreprise se développe », affirme David Thomas, gérant de Magic Corporation. Il pense également que le salaire d'un dirigeant est proportionnel à ses responsabilités. Surtout, il estime qu'il y a souvent une confusion entre les dirigeants des grandes entreprises, « qui sont des salariés », et les entrepreneurs qui « ont créé leur société ». Pour lui, les uns perçoivent un salaire, que les résultats de l'entreprise soient bons ou mauvais. Les autres peuvent tout perdre, même une partie de leur patrimoine, s'ils prennent les mauvaises décisions. Plafonner les salaires n'a donc pas de sens : « cela encouragerait encore plus la fuite des cerveaux ». La seule chose que trouve choquant David Thomas ? Les parachutes dorés qui « permettent de recevoir de l'argent même quand on a coulé une entreprise ». Un problème qui ne touche pas les «petits» patrons.
MAGIC CORPORATION >> Repères
- ACTIVITE : Vente de jeux de société
- VILLE : Paris (XIe arr.)
- FORME JURIDIQUE : SARL
- DIRIGEANT : David Thomas, 33 ans
- ANNEE DE CREATION : 2003
- EFFECTIF : 6 salariés
- CA 2010 : 1,3 MEuros
- RN 2010 : 100 kEuros
Vers une meilleure répartition des bénéfices. Au final, même si Emmanuel Grimaud (CroissancePlus) concède qu'il existe « des excès dans la rémunération de certains dirigeants », il ne pense pas que l'intervention du législateur sur le sujet « soit la bonne solution ». D'ailleurs, le salaire des p-dg des grandes entreprises est d'ores et déjà encadré par une autorité : les actionnaires siégeant au conseil d'administration. Un avis que partage également Michel Meunier (CJD) tout en militant pour l'ouverture d'un débat : « La vraie question, c'est le partage des richesses créées par l'entreprise », affirme-t-il. Si la proposition de Nicolas Sarkozy sur une répartition à parts égales entre l'investissement, la rémunération du capital et le revenu des salariés est jugée « utopique et inapplicable » par les deux hommes, ils sont d'accord sur un autre point : ce sont les dirigeants qui doivent s'autoréguler. Un voeu entendu dans la plupart des PME.