Faut-il autoriser le surf personnel au bureau?
Difficile de fixer des limites à l'usage privé du Net au bureau. Entre une interdiction pure et simple qui risque d'être très mal vécue, et une liberté ouvrant la voie à toutes les dérives, où positionner le curseur?
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J'ai installé un filtre pour prévenir les situations d'abus
GILLES HUGUENIN, p-dg de Securactive
PLUTOT NON
Si les salariés de Securactive essaient de se connecter sur un site qui n'a aucun lien avec leur activité, une fenêtre s'affiche pour les prévenir que l'accès n'est pas autorisé. La méthode peut sembler drastique, mais Gilles Huguenin ne s'y est pas résolu de gaieté de coeur. «Dans le meilleur des mondes, ce ne serait pas nécessaire. Mais je n'ai pas trouvé d'autre moyen d'empêcher la navigation de loisir d'empiéter lourdement sur la productivité de certains collaborateurs. D'autant que le «surf perso» provoque un sentiment d'injustice chez ceux qui ne s'y livrent qu'avec modération», confie le patron de Securactive, qui ne supportait plus que ses salariés changent précipitamment d'écran à son approche. Entre les blogs des amis, les forums, les sites d'e-commerce et les journaux en ligne, les surfs sporadiques finissent par se compter en heures... «Inadmissible», pour le patron de cette PME qui compte une vingtaine de collaborateurs. Moyenne d'âge: 32 ans, secteur: informatique, autant dire une population à haut risque! Depuis août dernier, les salariés de Securactive ont droit à une demi-heure de navigation sur les sites non professionnels par semaine. Au-delà, l'accès se bloque. Mais Gilles Hugenin sait aussi se montrer pragmatique: «Si l'un d'eux a besoin d'acheter en ligne, un billet de train, c'est évidemment possible. A contrario, s'il recherche un appartement, j'estime qu'il doit prendre sur son temps libre pour surfer sur les sites immobiliers.» Dans le même souci de modération, le filtre arrête d'opérer à partir de 18 heures. Donc, pour les zélés qui font des horaires à rallonge, se détendre sur le Net ou faire ses emplettes sur les sites d'e-commerce, c'est permis!
SECURACTIVE - Repères
- ACTIVITE: éditeur de solutions de sécurité et de surveillance réseau
- VILLE: Paris
- DIRIGEANTS: Gilles Huguenin, 39 ans
- FORME JURIDIQUE: SA
- EFFECTIF: 22 salariés
- ANNEE DE CREATION: 2004
- CA 2007: 1,7 MEuros
- RESULTAT NET 2007: 200 KEuros
En un an, le temps passé sur Internet au bureau est passé de 55 à 66 minutes par jour, soit une augmentation de 20%. C'est le constat dressé en septembre dernier par Olfeo, éditeur d'un logiciel de filtrage des e-mails. Une étude dont le bilan est édifiant: 75% du temps d'utilisation du Web est à usage non professionnel, soit une perte de productivité de 49,5 minutes par jour, 4 heures par semaine ou encore 24,5 jours par an et par salarié! Voilà de quoi affoler les calculettes: pour une entreprise de cent salariés, cela correspondrait à une perte sèche de deux mois de salaires chaque année! Pire: «L'émergence du Web 2.0 - qui permet le partage d'expériences, de vidéos, d'images... - ne fait qu'amplifier le phénomène», remarque Alexandre Souille, président d'Olfeo. Alors, que faire pour limiter les abus? «Dans la mesure où l'entreprise est propriétaire de son service internet, l'interdiction ou la limitation de l'utilisation du Web à des fins privées entre dans son pouvoir de direction», tranche Me Murielle Isabelle Cahen, avocat à la Cour d'appel de Paris et créatrice du site Avocat Online. Selon la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), est généralement admis par les entreprises un usage raisonnable du surf, qui n'amoindrit pas les conditions d'accès professionnel au réseau et ne met pas en cause la productivité des équipes. «Un bon moyen de protection juridique peut être l'interdiction totale, inscrite dans le règlement intérieur, tempérée par une certaine tolérance en pratique», préconise Me Cahen. Car, une récente jurisprudence de la Cour de cassation a établi que l'entreprise est responsable des agissements des salariés sur Internet. Autrement dit, si l'un de vos collaborateurs profite de sa connexion au bureau pour diffuser des propos diffamatoires sur un blog ou pour visiter des sites illicites, vous pouvez être poursuivi au pénal!
Limitation d'accès. Dans ce contexte, un système de surveillance ou de limitation de l'accès à la Toile est utile. «Cette limitation est encadrée par trois principes du droit du travail qui ne sont pas spécifiques à Internet», précise Me Cahen. Le premier principe est celui de proportionnalité, c'est-à-dire l'adéquation des contraintes aux objectifs recherchés, notamment pour justifier l'accès à des données personnelles. Le deuxième est le principe de la nécessité d'une discussion collective, autrement dit de la consultation du comité d'entreprise, ou, à défaut, des représentants du personnel. Enfin, le principe de transparence consiste à informer les salariés du dispositif de surveillance mis en place. En outre, pour être licite, tout système de cybersurveillance du salarié doit être déclaré à la Cnil. La rédaction d'une charte d'utilisation peut être une solution, notamment pour la communication des moyens de surveillance de l'entreprise et des sanctions encourues par le salarié. Ce sera, en outre, un moyen efficace de preuve en cas de litige devant les Prud'hommes.
Le meilleur garde-fou contre les abus, c'est le résultat
FRANÇOIS WAUQUIER, p-dg de l'imprimerie Wauquier
OUI
«Je ne suis pas là pour faire le gendarme», revendique François Wauquier, qui ne s'offusque pas de surprendre l'un de ses collaborateurs plongé dans la lecture du Monde.fr ou en train de faire son shopping sur Internet. «Je fais confiance à mes salariés et je tiens à ce qu'ils travaillent dans un climat détendu et motivant. S'ils ont besoin de s'aérer l'esprit pendant quelques minutes, tant mieux, ils n'en seront que plus performants après.» Un point de vue idéaliste? François Wauquier s'en défend, lui qui a pris le tournant de l'e-commerce assez tôt pour échapper à la crise qui a touché le secteur de l'imprimerie traditionnelle. «Personne ne peut rester concentré quatre heures d'affilée... Alors que l'on fasse un tour pour se dégourdir les jambes ou que l'on utilise sa souris pour s'évader un peu, cela revient au même! Du moment que cela reste dans les limites du raisonnable.» Des limites que le chef d'entreprise ne fixe pas de manière formelle: «Le meilleur garde-fou, c'est la performance. Si mes salariés abusent du surf perso, leurs résultats s'en ressentiront. C'est à ce moment que j'interviendrai.» Le dirigeant compte aussi sur la cohésion de son équipe pour jouer un rôle de régulateur. «S'il y en a un qui exagère, il sera vite recadré par les autres.»
- ACTIVITE: imprimerie
- VILLE: Bonnières-sur-Seine (Yvelines)
- DIRIGEANT: François Wauquier, 46 ans
- FORME JURIDIQUE: SA
- EFFECTIF: 25 salariés
- ANNEE DE CREATION: 1955
- CA 2007: 3,4 MEuros
- RESULTAT NET 2007: NC