En couple, AUX AFFAIRES comme A LA VILLE
Ils travaillent ensemble. Ils vivent ensemble. Dans ces conditions, comment des conjoints arrivent-ils à concilier, avec succès, vie professionnelle et vie privée? Voici certains pièges à éviter et quelques conseils à suivre.
Je m'abonneLe matin, ils arrivent au bureau dans le même véhicule. Ils déjeunent la plupart du temps ensemble, sauf quand Madame, directrice commerciale, est en rendez-vous chez un client. Leurs vacances et leurs loisirs sont invariablement communs. Pierre et Catherine Patuel, qui affichent tous deux la quarantaine épanouie, codirigent DPii Télécom et Services, une SSII francilienne de dix personnes. Ce couple, qui travaille ensemble depuis vingt et un ans et a donné naissance à trois enfants, reconnaît que tout s'est d'abord décidé pour des raisons pratiques: «J'ai rejoint l'entreprise deux ans après sa création, pour avoir une plus grande liberté d'horaires», précise Catherine Patuel. Prises entre les impératifs familiaux et professionnels, certaines femmes prennent du recul dans leur travail quand vient l'heure d'élever des enfants. D'autres se lancent dans l'aventure commune à la faveur d'une opportunité. «J'ai repris l'exploitation viticole familiale qui menaçait de s'éteindre, en m'appuyant sur les compétences en gestion et finances de mon mari», explique Aline Goldschmidt, cogérante de Baronne Guichard, une PME bordelaise.
Ne pas mélanger les genres. Si la complicité, le partage des succès et des difficultés de l'entreprise ainsi que la confiance sont des atouts pour les couples de dirigeants, l'aventure présente également des inconvénients. «Le risque est de tomber dans l'engrenage du travail et de négliger le reste», prévient Gérard Pavy, coach et conseil en stratégie d'entreprise (Pavy Consulting). Quand le conjoint est également le collaborateur principal ou l'associé, la tentation est grande de confondre domicile et bureau. Et le risque est bien réel. Diane Letourneur, aujourd'hui divorcée, a travaillé douze ans avec son mari dans leur agence de design. Cette consultante en communication a voulu mener de front vie familiale, avec deux enfants en bas âge, et vie professionnelle. «J'étais accablée par les responsabilités et souffrais du manque de coupure entre l'entreprise et mon domicile, situés dans le même immeuble.» Elle s'est progressivement détachée de son poste dans l'entreprise en se faisant remplacer, puis s'est séparée de son conjoint. «Cette vie sans respirations, sans moments personnels, a fortement pesé dans l'échec de mon couple», analyse-t-elle a posteriori. Catherine Gourguechon, psychologue et coach (CMGA-Mars Venus Coaching) prévient: «Il est primordial que les époux gardent une vie en dehors de l'entreprise, se ménagent des loisirs communs, ou séparés si cela contribue à leur bien-être.» Autre impératif: définir clairement les rôles de chacun dès le début de la collaboration. Aline Goldschmidt se souvient: «Au début de notre vie professionnelle commune, nous nous sommes épuisés à travailler tous azimuts, sans coordination ni organisation. Jusqu'au jour où nous avons fait notre introspection et inscrit noir sur blanc nos qualités et nos défauts, afin d'établir clairement nos fonctions dans l'entreprise.»
Le partage des tâches. A elle la communication et la représentation de l'entreprise à l'extérieur. A lui les finances, l'administratif et le commercial. Pour Catherine Gourguechon, «il faut s'interroger sur les motivations de chacun et vérifier que l'un ou l'autre ne subit pas ce mode de travail et de vie. Il convient également de s'attribuer des fonctions relevant de ses compétences, comme n'importe quel collaborateur». S'astreindre à rédiger des définitions de poste, notamment, permet d'éviter d'empiéter sur le territoire de l'autre. «Je peux avoir envie de donner mon avis sur le prix d'un vin, indique Aline Goldschmidt. On en discute à deux, mais la décision finale, dans ce domaine, appartient à mon mari.»
Bannir l'affectif. Cette définition des rôles est importante vis-à-vis des collaborateurs. «Le risque, pour un couple dirigeant, est de se replier sur son binôme naturel pour prendre les décisions, sans consulter les autres cadres concernés», prévient Gérard Pavy (Pavy Consulting). Une attitude à proscrire, si l'on veut maintenir la crédibilité et la confiance au sein de l'entreprise. L'une des solutions consiste à impliquer un tiers dans la direction. «J'ai créé l'entreprise avec une associée, explique Pierre Patuel (DPii Télécom et Services). Elle gère la partie administrative que ni mon épouse ni moi ne souhaitions superviser.» Un tiers associé apporte ainsi un regard extérieur aux couples dirigeants «fusionnels». Et il peut jouer le rôle de modérateur en cas de difficultés. En interne, il faut être précis sur les attributions de chacun, sans accentuer la qualité d'époux des managers, mais sans non plus l'occulter. «De par sa taille, une PME a souvent, naturellement, un fonctionnement un peu paternaliste, constate Gérard Pavy. Qu'elle soit dirigée par des conjoints peut accentuer le phénomène. Les jeunes recrues, à la recherche de conseils, peuvent y trouver leur intérêt. Ce qui ne sera pas nécessairement le cas de tous. Il ne faut pas abuser du mode affectif.»
Par rapport à l'extérieur, le couple de dirigeants doit être doublement transparent: sur son statut et sur le rôle de chacun. Afin, justement, que les clients et fournisseurs ne soient pas tentés de solliciter l'un à la place de l'autre, ce qui pourrait entraîner des dysfonctionnements. Enfin, si des difficultés apparaissent, il faut prendre soin, là aussi, de séparer couple et entreprise. «Un problème de couple aura un impact négatif sur le fonctionnement de l'entreprise si les époux ne prennent pas le temps d'en parler et de le résoudre», constate Catherine Gourguechon. A l'inverse, si l'entreprise va mal, le couple risque également d'en pâtir, aussi bien matériellement (pertes financières) que moralement (rapport avec les salariés). Les crises doivent donc être envisagées dès le départ, de même que leur résolution: appel à un expert, départ de l'un des conjoints, etc. Les couples les plus prudents démarrent à deux en envisageant une «période d'essai». Encore une fois, la prévoyance, la communication, la transparence et le maintien d'une vie «en dehors» sont les règles d'or. Renforcées par une union solide à la base. «Si notre entreprise et notre couple fonctionnent, c'est parce que nous nous entendons bien», analyse simplement Catherine Patuel, qui reconnaît que tout s'effectue dans la spontanéité et le naturel.
AVIS D'EXPERT
L'entreprise est un révélateur du couple
CATHERINE GOURGUECHON, psychologue et coach (CMGA-Mars Venus Coaching)
Créer une entreprise, ou la faire vivre, un projet qui demande un investissement considérable et met le couple face à ses limites. Un peu comme la naissance et l'éducation d'un enfant, où chacun des deux parents a un rôle à jouer. «On dit que l'arrivée d'un enfant ne résout pas les problèmes d'un couple en difficulté. De même, la création d'une entreprise peut véritablement ébranler ceux qui sont déjà fragiles», analyse la psychologue. Faut-il pour autant être fusionnel pour se lancer dans l'aventure managériale? «Le mieux est d'être mature, d'avoir un regard lucide et du recul sur soi et sur l'autre, afin de prendre les bonnes décisions.»
TEMOIGNAGE
Nous nous étions fixé une période probatoire d'un an
BERANGERE ET HERVE LECAT, Complétude
Arrivée en 1996 dans l'entreprise de soutien scolaire créée par son mari douze ans auparavant, Bérangère Lecat s'est attachée à ne pas empiéter sur les attributions des collaborateurs en place. Elle a commencé par des missions précises, telle une consultante extérieure, avant de prendre progressivement des responsabilités. Aujourd'hui, Bérangère Lecat dirige le pôle pédagogique. «Nous avions fixé une période probatoire d'un an avec un impératif double. Que notre travail en couple ne perturbe pas l'entreprise et que notre vie privée soit préservée», explique Hervé Lecat. Les époux évitent ainsi de travaillera domicile ou d'y parler business. Au bureau, ils déjeunent occasionnellement ensemble, mais font leurs trajets séparément. «Nous fonctionnons comme des collaborateurs, sur la base du respect, du dialogue et de la transparence», précise Bérangère Lecat. Laquelle est d'ailleurs absente du comité de direction. Sur ces règles de bonne conduite, la PME a prospéré, passant de 10 collaborateurs en 1996 à 120 aujourd'hui.
COMPLETUDE Repères
- ACTIVITE: Soutien scolaire
- VILLE: Paris
- FORME JURIDIQUE: SAS
- EFFECTIF: 120 salariés
- DIRIGEANT: Hervé Lecat, 45 ans
- ANNEE DE CREATION: 1984
- CHIFFRE D'AFFAIRES 2008: 12,5 MEuros
COMPRENDRE
Cinq conseils pour diriger une entreprise en couple
Bâtir à deux son entreprise exige une union solide et confiante. Mais d'autres impératifs sont à prendre en compte.
1 DEFINIR LES ROLES
Les responsabilités des deux protagonistes doivent être précisés. Ainsi, le partage des tâches dans l'entreprise doit être fait en fonction des qualités et compétences de chacun.
2 ANTICIPER LES DIFFICULTES
Et, bien sûr, identifier les solutions qui pourront être mises en oeuvre (retrait de l'un des deux conjoints, intervention d'un tiers, etc.), afin d'y faire face.
3 PARLER, PARLER, PARLER...
Communiquer coûte que coûte, surtout lorsque les difficultés apparaissent.
4 SEPARER LES DEUX SPHERES
Eviter de parler travail dans le privé, et vice versa.
5 NE PAS OUBLIER LES LOISIRS
Il est important de se ménager des loisirs individuels: sport, activité culturelle, relations amicales...