Chefs d'entreprise et réservistes de l'Armée
Plus qu'un engagement, une passion. Dirigeants à la ville et militaires à la scène, certains chefs d'entreprise mènent une double vie, qui leur apporte de nouvelles compétences pour mieux gérer leur PME.
Je m'abonneQuand elle se prépare pour son jogging hebdomadaire, outre ses baskets, Sophie de Menthon n'oublie jamais d'enfiler son polo de la Gendarmerie nationale. La très médiatique présidente du mouvement «Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance» (Ethic) est aussi réserviste de l'Armée depuis novembre 2007. Ainsi, Sophie de Menthon peut arborer un insigne indiquant son grade honorifique de lieutenant-colonel de Gendarmerie. Elle possède aussi une carte officielle indiquant son appartenance à la réserve citoyenne, à laquelle elle apporte, «de façon épisodique, [ses] compétences en matière de communication», explique-t-elle. «Par exemple, j'interviens régulièrement dans l'émission Les Grandes Gueules, sur EMC. Dès que la Gendarmerie est mêlée à un fait divers, je me renseigne auprès d'elle et je suis capable de m'exprimer, sinon en son nom, du moins comme experte!», poursuit-elle. Cette expérience, elle sait aussi en tirer profit sur un plan professionnel. Ainsi, le fait d'être réserviste lui a donné l'idée d'organiser des séminaires pour initier des échanges entre les cadres de la Gendarmerie et ceux de certaines entreprises. «Un benchmark qui peut être extrêmement fructueux pour tout le monde», affirme Sophie de Menthon.
Rompre la solitude du dirigeant
Cette double vie, de nombreux entrepreneurs la partagent. La plupart des réservistes le sont devenus après un service militaire enrichissant. C'est le cas de Jean-Christophe Soupre, dirigeant d'IFP, une société de distribution de fournitures de bureau. Engagé dans la réserve depuis 1988, le chef d'entreprise de 47 ans a été cavalier dans l'Armée de terre, où il a obtenu le grade de chef d'escadron. Il a eu jusqu'à 40 hommes sous ses ordres, ce qui lui a appris «à donner des consignes claires». Une expérience qu'il a mise, plus tard, au service de son entreprise. Même si on ne «dirige pas une société comme une section de combat», s'amuse-t-il à souligner. Aujourd'hui, Jean-Christophe Soupre est affecté à l'Etat-Major des Armées (EMA), où il occupe les fonctions d'officier traitant chargé des Opérations extérieures (Opex). Sa mission consiste à en estimer le coût prévisionnel et à en suivre les coûts réels. Pour lui, la réserve est «un excellent moyen pour s'ouvrir à des méthodes de travail et à un environnement différents». Mais ce n'est pas tout. Comme de nombreux dirigeants, Jean-Christophe Soupre se sent parfois isolé, avec «une lourde charge sur les épaules». Ses journées au service de l'Armée lui permettent donc de «briser cette sensation de solitude». Reste que cette soupape de décompression a un prix: l'homme consacre jusqu'à 50 jours par an à son rôle de réserviste. Un exercice difficile pour un «petit» patron, dont le temps est une denrée rare. «Il faut être très organisé pour concilier vie professionnelle, vie militaire et vie personnelle. Même si je me repose sur mon associé, je dois souvent travailler le soir et les week-ends», avoue-t-il.
Témoignage
L'armée m'a fait progresser
François-André Simon, p-dg de Floricane
Quand il endosse son uniforme d'officier de renseignements, François-André Simon a vraiment le sentiment de servir son pays. C'est ce qu'explique, non sans passion, ce réserviste de l'Armée de terre depuis 1989. il faut dire que le dirigeant est «tombé dedans» quand il était enfant, avec un oncle et un grand-père militaires, ainsi qu'un père médecin réserviste. Mais cette double vie n'est pas de tout repos. En tant que commandant de réserve affecté à l'Etat-Major de l'Armée de terre, le chef d'entreprise part une à deux fois par an en mission à l'étranger. Et quand il est en France, il donne des cours pour le cycle supérieur de management de la Défense. Au total, en 2008, l'homme aura consacré 53 jours à sa passion. Pas toujours facile, donc, de concilier son devoir et son métier de dirigeant. «Je suis très organisé et j'ai une famille qui comprend mon engagement explique-t-il. En outre, mon métier est saisonnier et je délègue des tâches à mon directeur général, ce qui me permet de dégager du temps libre.» Son implication en tant que réserviste l'aide aussi dans son quotidien de chef d'entreprise. Notamment pour manager ses équipes. «Grâce à mes voyages, je suis souvent confronté au choc des cultures. J'ai développé une empathie qui m'aide à comprendre les problèmes que rencontrent mes collaborateurs», souligne François-André Simon. Enfin, même quand il porte sa casquette d'entrepreneur, il n'oublie pas ses réflexes de militaire. Avant de rencontrer de nouveaux interlocuteurs, il les «score», c'est-à-dire qu'il se renseigne sur eux pour juger de leur crédibilité. une méthode qui lui a déjà évité bien des déboires.
FLORICANE - Repères
- Activité: Magasins de loisirs de plein air (bricolage, jardinerie, animalerie, camping...)
- Ville: Plougastel-Daoulas (Finistère)
- Forme juridique: SAS
- Dirigeant: François-André Simon, 45 ans
- Année de création: 1969
- Effectif: 95 salariés
- Chiffre d'affAires 2008: 18 MEuros
- Résultat net 2008: 200 kEuros
Se créer un réseau
S'il fallait trouver un point commun entre tous ces dirigeants un peu particuliers, leurs valeurs morales et leur désir de se rendre utiles à leur pays seraient cités en premier lieu. Mais au-delà de la fibre patriotique, être réserviste est aussi un moyen d'étoffer son réseau. Comme l'explique Jean-Baptiste Giraud, directeur général de Versailles Events, une entreprise d'événementiel. Lieutenant dans la Gendarmerie depuis 2002 en tant qu'officier de réserve, il admet que son engagement lui a permis de «rencontrer des personnes intéressantes». Une démarche judicieuse, notamment pour les PME qui souhaitent, à terme, travailler avec l'Armée. «Cela n'a rien d'illégal, il n'a jamais été interdit de valoriser son carnet d'adresses!», sourit le dirigeant versaillais. Un avis que partage Jean-Christophe Soupre (IFP), pour qui la réserve permet «parfois de trouver de nouveaux débouchés pour ses activités professionnelles». En clair, qui, mieux qu'un officier de réserve parfaitement introduit dans les arcanes de l'Armée, peut en comprendre les méthodes de travail? Et qui sera capable d'identifier les interlocuteurs à démarcher pour leur faire une offre commerciale adaptée, si ce n'est celui qui en connaît les coulisses? Il ne s'agit pas d'être pistonné, mais de profiter d'une meilleure connaissance des rouages de l'institution. Bien sûr, l'essentiel de l'engagement reste ailleurs: «C'est un réel plaisir de savoir qu'on est utile à son pays. Il y a aussi une certaine fierté à être décoré, même à titre honorifique...», confie Jean-Baptiste Giraud (Versailles Events). La réserve militaire: un engagement citoyen, voire militant, pour certains chefs d'entreprise.
@ Fotolia/Christophe Morgado/Ld
Pratique
Comment devenir réserviste?
Depuis 2007, la réserve militaire n'est constituée que de volontaires et s'articule autour de deux entités complémentaires:
- La réserve opérationnelle. Elle apporte à l'Armée un complément purement militaire pour certaines missions (plan Vigipirate, secours de populations victimes de catastrophes naturelles, etc.). Les réservistes accomplissent donc les mêmes missions que celles du personnel d'active (militaires de métier). Peuvent intégrer cette réserve tous les citoyens français âgés de 17 à 50 ans. Naturellement, il faut aussi posséder certaines aptitudes physiques. Le contrat d'engagement, pouvant durer de 1 à 5 ans, est renouvelable. La durée maximale des activités est fixée à 30 jours par année civile, mais elle peut être portée jusqu'à 210 jours pour les emplois présentant un intérêt de portée nationale ou internationale. Les réservistes opérationnels sont rémunérés comme le personnel d'active du même grade, en fonction du nombre de jours consacrés à l'Armée.
- La réserve citoyenne. Elle permet de mettre ses compétences et son expérience au service de l'Armée pour renforcer le lien entre la nation et ses forces militaires. C'est pourquoi elle est uniquement constituée de bénévoles (les frais de déplacement pouvant être remboursés sous certaines conditions). Aucun critère n'est à remplir (âge, aptitudes physiques, etc.) et la durée des activités est comprise entre 5 et 30 jours par année civile, selon vos disponibilités. A noter que les décorations et les grades distribués au titre de la réserve citoyenne ne sont qu'honorifiques. Sachez, enfin, que votre poste de réserviste n'a pas forcément de lien avec votre profession civile, sauf si vous le souhaitez.
Pour rejoindre la réserve, opérationnelle ou citoyenne, adressez-vous aux centres ou bureaux d'information et de recrutement.
Rens.: www.defense.gouv.fr/reserves