Ces PME ou il fait bon vivre
Se soucier du bien-être de ses salariés n'est pas l'apanage des grandes entreprises. Certaines PME proposent aussi des services qui améliorent le quotidien de leurs équipes. Retours d'expériences.
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Mieux qu'une pause-café, une pause-massage. Depuis huit ans, les collaborateurs de Xilam Animation, une PME parisienne de 80 salariés, reçoivent la visite d'un masseur professionnel une à deux fois par semaine. Preuve que le bien-être au travail n'est pas le privilège des grandes entreprises. Pour 12 euros, dont la moitié est prise en charge par la société de production de dessins animés, les dessinateurs profitent d'un temps de relaxation entre deux planches de croquis. «Toute la journée, ils restent assis à leur table. Une posture physique contraignante, estime le président, Marc du Ponta- vice. Les pauses-massage leur permettent de se relaxer, mais elles ont aussi des effets bénéfiques sur leur moral et leur créativité.» C'est après en avoir découvert les bienfaits, dans une entreprise de taille similaire à la sienne, aux Etats-Unis, qu'il a décidé de faire appel à une société spécialisée, Ergotonic. Le chef d'entreprise apprécie la formule relativement courte - 20 minutes -, qui ne perturbe pas l'organisation du travail. Son objectif? «Que les salariés soient heureux de travailler dans mon entreprise.» Il assure que ce petit «plus» constitue un élément de fidélisation important dans un milieu où les collaborateurs n'hésitent pas à changer d'employeur. «Les salariés se montrent sensibles à cette attention, affirme Marc du Pontavice. Elle permet de bâtir une forme de reconnaissance non financière et donne envie aux talents de venir chez nous plutôt qu'ailleurs.» Emmanuelle Chabord, 43 ans, directrice financière, réserve ainsi sa place à chaque fois que les masseurs interviennent: «Quand j'en parle autour de moi, je fais des envieux. C'est très agréable, reconnaît la collaboratrice assidue à ce service depuis qu'elle a rejoint la société. Pendant 20 minutes, je ne pense à rien et, du coup, je me sens plus détendue.»
Un stress improductif. Se relaxer ou se divertir au travail, une idée saugrenue? Pourtant, un salarié qui se sent bien travaille mieux. Or, en France, plus de 40% d'entre eux se déclarent en état de stress, selon une enquête réalisée par l'institut CSA pour l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), parue en juin dernier, lors de la Semaine de la qualité de vie au travail (voir graphique p. 28). Un stress dû, en grande majorité, à leur vie professionnelle. Selon Patrick Amar, dirigeant d'Axis Mundi, société de conseil en management, plus de la moitié des absences sont liées à des causes psychologiques.
«La manifestation du stress en entreprise a un coût: absentéisme, turnover, agressivité, perte de concentration, de motivation, de créativité... Au contraire, un milieu qui favorise le bien-être du salarié engendre une meilleure performance collective», souligne le psychologue clinicien, qui cite plusieurs études qualitatives dans son ouvrage Développer le bien-être au travail (voir «A lire» p. 28). Une telle démarche serait donc rentable pour l'entreprise...
@ LAURENT VIDAL
En 2008, Patrice Verley et Jean-Baptiste Le Bigot, dirigeants de Faber France, ont investi 45 000 euros dans la création d'un restaurant d'entreprise «modèle».
Mais ce n'est pas tout: elle renforcerait le lien entre les salariés et leur entreprise. Autre avantage non négligeable, une initiative telle que les pauses-massage mises en place par Xilam Animation peut accroître l'attractivité d'une PME, en véhiculant l'image d'une société reconnaissante envers ses salariés.
Certaines petites structures qui l'ont bien compris n'hésitent pas à investir massivement dans le bien-être de leurs collaborateurs. C'est le cas du laboratoire Les 3 Chênes, spécialisé dans la conception de cosmétiques et de compléments alimentaires. Son dirigeant, Eric Favre, a mis à la disposition de ses 101 salariés une salle de sport. Ce passionné de bodybuilding a investi 100 000 euros pour leur permettre de se sentir mieux dans leur peau et de prévenir les troubles musculo-squelettiques (voir encadré p. 30). Même si toutes les sociétés ne peuvent pas se permettre cet effort financier, Patrick Amar (Axis Mundi) conseille d'entrer, d'une manière ou d'une autre, dans une dynamique de mieux-être au travail: «Il vaut mieux commencer modestement, plutôt que de ne rien faire du tout.» Les PME peuvent ainsi créer un environnement de travail agréable, propice à la performance, à moindres frais. C'est ce qu'a fait l'atelier de sculpture Leblon-Delienne. En profitant des bienfaits de la sieste au travail, son dirigeant, Laurent Buob, a trouvé un moyen économique de diminuer le stress de ses équipes (voir encadré p. 32).
EN CHIFFRES
Sedecc, bureau d'études belfortain, fait profiter ses salariés de la crèche interentreprises voisine.
Faciliter le quotidien. Cependant, promouvoir la détente n'est qu'une partie de la solution. Dans une société où vies professionnelle et personnelle s'entremêlent, les collaborateurs apprécieront davantage les services qui leur facilitent le quotidien. «Le taxi payé après 20 heures, la cafétéria d'entreprise, des services de conciergerie garantissent un meilleur équilibre vie personnelle/vie professionnelle aux salariés qui, ainsi, sont plus productifs au travail», assure Patrick Amar. Concilier vie professionnelle et vie personnelle: la question se pose de façon criante aux pères et mères de familles. Préoccupés par leurs obligations familiales, ils sont 72% à considérer que leur employeur ne fait pas grand-chose pour leur faciliter la tâche, et 50% ne s'estiment pas écoutés dans leur entreprise, d'après le premier baromètre de l'Observatoire de la parentalité en entreprise, paru en février dernier (sondage réalisé pour l'Observatoire de la parentalité en entreprise par l'institut Viavoice, auprès d'un échantillon de 1005 salariés ayant des enfants de moins de 25 ans au foyer.) Les 76 employés de Sedecc, un bureau d'études qui conçoit des ensembles industriels en 3D, ne comptent certainement pas parmi ces mécontents. Son dirigeant, Jean-Pierre Fournet, a pris en compte le problème de la garde des enfants pour deux de ses salariés, qui désespéraient de trouver une place en crèche. Il en a réservé une, pour quatre ans, dans la crèche interentreprise inaugurée en décembre 2007, à 200 mètres de ses locaux, situés sur le technopôle de Belfort. Une place correspondant à un nombre d'heures annuelles, les deux collaborateurs peuvent en profiter. L'un dépose son enfant tous les jours, pendant ses heures de travail, de 7 h45 à 16 h 15, l'autre deux matinées par semaine. «D'autres parents profitent également de cette place occasionnellement, selon le quota d'heures disponibles, quand leur nourrice est malade ou part en vacances par exemple», explique Nathalie Michel, du réseau de crèches Les Petits Chaperons Rouges. Les salariés concernés, qui bénéficient d'un tarif avantageux, sont reconnaissants vis-à-vis de leur patron. «Ils sont conscients de cet avantage en nature que nous leur procurons, estime l'intéressé. Cela nous apporte un élément de motivation et defidélisation supplémentaire.» Certes, ce geste n'est pas neutre financièrement: la place coûte à l'entreprise 10000 euros par an. Mais l'employeur peut récupérer, l'année suivante, 3 800 euros versés par la Caisse d'allocations familiales, au titre du contrat enfance et jeunesse, et déduire de l'impôt sur les sociétés 35% de la somme allouée à la crèche, plus 25% au titre du crédit d'impôt famille. Soucieux du bien-être de ses salariés, Jean-Pierre Fournet est aussi précurseur dans un autre registre: il a acheté, à chacun de ses collaborateurs, un siège réglé à sa morphologie et approuvé par la médecine du travail. Un «plus» non négligeable pour des techniciens et des ingénieurs qui travaillent toute la journée assis devant leur ordinateur. L'idée lui est venue lorsqu'il a dû commander un siège spécial pour un salarié souffrant d'une sciatique. Devant les bienfaits de cet investissement sur le long terme, il n'a pas hésité longtemps avant d'en recommander. L'entreprise affiche aujourd'hui un turnover inférieur à 1%. «J'apprécie que les salariés viennent travailler avec le sourire», lance le dirigeant, qui envisage désormais d'investir dans des séances de sophrologie.
Le bien-être des salariés engendre la performance. L'entreprise a donc beaucoup à y gagner.
PATRICK AMAR, dirigeant d'Axis Mundi
Ecoutez vos salariés afin de connaître leurs véritables attentes.
PHILIPPE KORDA, président de Korda & Partners
Un concierge à sa disposition. La conciergerie constitue encore un autre moyen d'aider ses salariés à se dégager des contraintes de la vie personnelle. TCE Solar est l'une des rares PME à avoir sauté le pas, fin 2008. Son dirigeant, Germain Gouranton, considère la qualité de vie comme une valeur prioritaire, qu'il fait partager à ses équipes: «Je suis preneur de tout ce qui améliore le bien-être au travail», déclare le patron de cette petite société basque spécialisée dans l'énergie solaire. La quinzaine de salariés du site reçoit donc la visite, chaque mardi, d'une personne de la conciergerie MCE, à laquelle l'entreprise a adhéré pour 560 euros par mois. Panier de légumes achetés sur le marché, repassage de chemises, prise de rendez-vous pour la révision d'un véhicule... Les collaborateurs ont accès à tous les services qui peuvent leur simplifier la vie. Libre à la conciergerie d'accepter ou non leurs demandes les plus originales - celles-ci n'étant pas limitées par un catalogue. Même si la conciergerie peut suggérer des idées de services en mettant en avant les promotions de ses partenaires, via des affichages dans les locaux ou sur son site web. En dehors de ces réductions, les salariés paient la prestation au même tarif que s'ils s'étaient déplacés eux-mêmes. Le suivi se fait par téléphone ou e-mail. «Les services sont rendus de manière fiable et discrète, affirme Germain Gouranton, enthousiaste. J'ai trouvé un antidote aux soucis personnels qui peuvent préoccuper et affecter la concentration des salariés pendant les heures de travail.» Commercial chez TCE Solar, David Lartigue, 24 ans, utilise régulièrement le service, par exemple pour faire laver son linge ou organiser ses loisirs: «Je suis vraiment très satisfait. Le recours à la conciergerie peut me faire gagner 2à3 heures par semaine. Un gain de temps non négligeable, car nous avons des semaines très chargées.» Après une phase de découverte de deux ou trois mois, certains salariés, au départ sur la réserve, sont devenus des utilisateurs intensifs. «Il est vrai que notre métier et notre région sont attractifs, donc je ne peux pas mesurer les bénéfices pour l'entreprise de ce service particulier, même s'il participe à fidéliser les collaborateurs, admet le dirigeant. Mais, ce qui est certain, c'est que je me heurterais à un tollé général si je stoppais laprestation... »
Les pauses-massage influent sur le moral et la créativité.
MARC DU PONTAVICE, président de Xilam Animation
Miser sur la convivialité. Et c'est bien le «problème» de tous ces «plus»: l'impossibilité de revenir en arrière, au risque de créer une grande frustration. «Attention à l'effet «banalisation» et «avantage acquis», prévient Philippe Korda, président de la société de conseil en management Korda & Partners. Mieux vaut une succession d'initiatives ponctuelles plutôt qu'un gros investissement dont les salariés vont se lasser et qui sera critiqué par ceux qui ne peuvent ou ne souhaitent pas en bénéficier.» Le consultant préconise, avant de mettre en place quoi que ce soit, d'écouter les salariés afin de connaître leurs véritables attentes. «Inutile d'investir dans une conciergerie si les collaborateurs ont des problèmes de salaire, de conditions de travail ou de harcèlement moral», s'exclame-t-il. Selon lui, les petites structures n'ont aucun intérêt à singer les grandes, mais doivent développer des atouts spécifiques: proximité, convivialité, etc. «Je préfère le baby-foot à la conciergerie, car cette initiative permet de créer des liens amicaux entre lessalariés» , affirme Philippe Korda.
Ce sont ces valeurs que promeut Faber France: le fabricant de drapeaux et banderoles situé à Wavrin, près de Lille, a bâti une cantine modèle pour sa trentaine de salariés. Certes, cet espace de restauration convivial de 100 m2, réalisé en mai 2008, a coûté 45 000 euros. «Cela représente un investissement important, reconnaît Jean-Baptiste Le Bigot, son directeur général. Mais le jeu en valait la chandelle.» L'objectif de départ était simple: faire en sorte que les salariés se sentent bien dans leur entreprise. Ceux-ci se sont approprié l'endroit d'autant plus facilement qu'ils ont été associés au projet, dès sa genèse, au cours d'échanges informels. Cet effort de la direction les a d'autant plus marqués qu'ils se contentaient, auparavant, d'un local de 30 m2 sommairement équipé d'un four micro-ondes. Aujourd'hui, environ la moitié de l'effectif se fait livrer ses repas grâce à un accord avec un traiteur proche, les autres se préparent un en-cas. Pour l'occasion, un système de titres-restaurant a même été mis en place, l'entreprise prenant à sa charge 50% des 5 euros de valeur faciale. «Les salariés ont eu le sentiment d'être pris en considération», commente le chef d'entreprise, qui déjeune chaque jour en leur compagnie, avec son associé, Patrice Verley. Les dirigeants l'assurent, les effets sont bénéfiques en termes de cohésion et de dynamisme. La culture d'entreprise s'en trouve renforcée. La performance et la fidélité de ses bons éléments aussi: alors, à quand votre tour?
A LIRE
DEVELOPPER LE BIEN-ETRE AU TRAVAIL
Des salaries sujets au stress, à la fatigue mentale, au harcèlement, aux addictions... Dans un environnement de plus en plus exigeant, les managers doivent faire face à un risque psychosocial croissant, qui représente un coût considérable pour l'entreprise et la société. Cet ouvrage présente un dispositif de conseils et d'accompagnement qui a pour objectif de conjuguer humanisme et performance, dans une approche «gagnant-gagnant», au service des salariés et de l'organisation.
Patrick Amar, Pierre Angel, Marie-José Gava et Brigitte Vaudolon, Dunod, 2005, 23 Euros.
TEMOIGNAGE
Un salarié sur deux fréquente la salle de sport de l'entreprise
ERIC FAVRE, p-dg fondateur du laboratoire Les 3 Chênes.
Des salariés mieux dans leur tête et dans leur corps: c'est le principal bénéfice que retire Eric Favre, p-dg du laboratoire Les 3 Chênes, de la salle de sport construite dans les locaux de l'entreprise il y a quatre ans. «Au départ personne n'osait s'y rendre et s'afficher en tenue de sport. Puis, le bouche à oreille a fonctionné: l'un explique que, depuis qu'il fréquente la salle, il n'a plus mal au dos, l'autre qu'il a perdu 7 kg, etc.», assure le dirigeant fan de bodybuilding. Aujourd'hui, la moitié de l'effectif pratique régulièrement un sport. Appareils de cardio-training, de musculation, cours de fitness collectifs...
Il y a même des douches. Le tout a coûté quelque 100000 euros à la PME. Les salariés ont accès à la salle pendant la pause du déjeuner et après 17 heures. Un avantage non négligeable dans cette zone rurale. En outre, le personnel dispose, gratuitement, des conseils d'un coach professionnel, salarié de l'entreprise qui répond également aux questions des clients sur les compléments alimentaires fabriqués par le laboratoire. «J'ai vu mes collaborateurs changer, affirme le dirigeant. Ils résistent mieux à l'effort, même dans leur travail.» Pour éliminer le stress et les inciter à se détendre, Eric Favre a aussi installé dans ses locaux un salon de coiffure, où les salariés peuvent se faire faire une coloration gratuitement, avec les soins commercialisés par le laboratoire. Et pour continuer à développer un esprit positif dans son entreprise, il réfléchit désormais à la création d'une crêche.
LES 3 CHENES Repères
ACTIVITE: Fabricant et distributeur de compléments alimentaires et de cosmétiques bio
VILLE: Villechenève (Rhône)
FORME JURIDIQUE: SA à conseil d'administration
DIRIGEANT: Eric Favre, 45 ans
ANNEE DE CREATION: 1993
EFFECTIF: 101 salariés
CA 2008: 23,4 MEuros
TEMOIGNAGE
La sieste améliore la concentration de mes équipes
LAURENT BUOB, président de Leblon-Delienne
Ponçage, peinture au pinceau, montage minutieux de pièces... Les ouvriers de Leblon-Delienne, atelier de sculpture de figurines Tintin ou Astérix, ont besoin d'une concentration intense. Afin de leur permettre de récupérer, et d'augmenter leur efficacité et leur créativité, l'ancien dirigeant avait instauré la sieste en 2006. Une pratique courante dans les entreprises nippones, dont il avait constaté les bienfaits. Un médecin, spécialiste du sommeil, est même venu expliquer les vertus de la sieste aux employés. Après avoir racheté l'atelier début 2007, Laurent Buob a conservé cette habitude: «Un sculpteur peut créer une pièce en quelques heures s'il est serein et inspiré, ou en quinze jours s'il se sent stressé.» Chaque jour, après avoir partagé leur déjeuner dans la cuisine aménagée - moment de convivialité apprécié -, les salariés qui le souhaitent s'allongent une demi-heure. «Ils s'installent dans notre showroom, précise le dirigeant. Des statuettes sont exposées, mais aussi des coussins de repos, que l'on a développés récemment pour diversifier notre activité.» Les salariés font ainsi la sieste tout en testant leurs produits... Convaincu de l'effet positif de la sieste, à la fois sur le travail et sur l'ambiance de l'atelier, Laurent Buob veut aller plus loin et comparer la productivité des adeptes de la sieste par rapport aux autres. Il pense disposer de chiffres fiables début 2010. Selon les résultats, il envisage de proposer à ses salariés la possibilité de faire une autre pause en matinée.
LEBLON-DELIENNE Repères
ACTIVITE: Atelier de sculpture
VILLE: Neufchâtel-en-Bray (Seine-Maritime)
FORME JURIDIQUE: SAS
DIRIGEANT: Laurent Buob, 44 ans
ANNEE DE CREATION:1983
EFFECTIF: 40 salariés
CA JUIN 2008-JUIN 2009:4 MEuros