COMMENT EVITER LA DISCRIMINATION A L'EMBAUCHE
Même si elle n'est pas volontaire, la discrimination à l'embauche est une réalité dans beaucoup de PME. Pourtant, la diversité est une véritable force pour une entreprise. voici quelques conseils pour insuffler une politique de non-discrimination dans votre société.
Je m'abonneLes entreprises sont les institutions qui intègrent le plus grand nombre de personnes issues de la diversité. C'est ce qu'indique en substance Claude Bébéar, ancien p-dg d'Axa, actuellement en charge du secrétariat général de la Charte de la diversité. Pourtant, la discrimination, notamment au moment du recrutement, est une réalité. A compétences et expériences égales, Nicolas Dupont, 32 ans, blanc de peau, ni maigre ni obèse, et dont l'apparence physique ne présente pas de traits particulièrement disgracieux, a trois fois plus de chance d'être convoqué à un entretien d'embauche qu'un candidat âgé ou au patronyme maghrébin. Il a aussi deux fois plus de chance qu'un candidat handicapé et 1,5 fois plus de chance qu'une femme. Telle est la première conclusion du baromètre des discriminations mis en place en 2006 par Adia et l'Observatoire des discriminations. Dès lors, quelles mesures peut prendre un chef d'entreprise pour réduire ces écarts? Car la gestion de la diversité est essentielle pour une PME, et pas uniquement à cause de l'aspect délictuel de la discrimination (voir encadré Ce que dit la loi). Réunir des profils différents au sein de ses équipes constitue, en effet, un facteur de croissance et de développement. «Si j'ai mis en place des méthodes pour éviter toute forme de discrimination, c'est avant tout dans l'intérêt de mon entreprise, assure Yann Orpin, dirigeant de Cleaning, une PME de 130 salariés spécialisée dans le nettoyage industriel. Je ne suis pas à la tête d'une association! La diversité apporte unité et motivation à nos équipes.» Depuis plusieurs années déjà, ce dirigeant s'efforce d'embaucher des handicapés, de jeunes mères ou des seniors. Autant de publics que d'autres dirigeants tentent, plus ou moins activement, d'éviter.
VINCENT POIREL, consultant chez michael page international
Pour sensibiliser vos collaborateurs à la, discrimination, faites-leur suivre une formation.
Une vision d'entreprise. Pour mettre en place une véritable politique de non-discrimination, le rôle et l'implication du dirigeant sont essentiels: c'est lui qui doit impulser le changement dans la façon de recruter. «La direction doit porter le projet et ne jamais reculer, même si des réticences peuvent apparaître au niveau de certains opérationnels ou clients», souligne Vincent Poirel, responsable égalité des chances et diversité chez Michael Page International. Le rôle du dirigeant est d'expliciter aux chefs de service, ainsi qu'aux salariés, les raisons qui rendent les nouveaux processus de recrutement incontournables pour la société. Si l'aspect légal doit, naturellement, être évoqué, les forces de la diversité doivent être également mises en avant. Attention toutefois à ne pas rendre votre communication moralisatrice et culpabilisante. Expliquez que les anciennes pratiques de recrutement n'étaient pas mauvaises, mais qu'il faut désormais aller plus loin. Cette sensibilisation peut passer par un discours, par l'écriture et la distribution d'une charte d'entreprise, ou bien par la diffusion d'un film montrant les forces de la diversité.
Une fois l'ensemble des salariés informés de vos nouvelles intentions, n'hésitez pas à enfoncer le clou auprès de vos chefs de service et responsables des ressources humaines. Vous pouvez leur faire suivre une formation sur la non-discrimination. «Pour être efficace, celle-ci doit durer au moins une journée et envisager les différents aspects de la problématique, souligne Vincent Poirel. Elle permettra notamment aux recruteurs d'identifier des stéréotypes qu'ils pourraient inconsciemment avoir. A eux de les laisser au vestiaire quand ils évaluent leurs candidats.»
CAROLE DA SILVA, présidente et fondatrice de l'afip
Etablir une grille d'entretien permet d'être moins subjectif dans ses choix.
Après cette phase de sensibilisation, réalisez un audit de vos pratiques de recrutement. Faire appel à un prestataire extérieur est fortement conseillé, car cette remise en cause n'est pas facile. Définissez ensuite le poste à pourvoir. Effectuée en amont, cette étape consiste à lister, de façon objective, les compétences que doit posséder le candidat. De cette façon, vous disposerez de critères précis sur lesquels vous pourrez vous appuyer lors de votre évaluation. Vous éviterez donc les jugements manichéens, du type bon ou mauvais. «La définition du poste permet d'élaborer une grille d'entretien. Ainsi, le recruteur est moins subjectif dans ses choix», explique Carole Da Silva, présidente et fondatrice de l'Association pour favoriser l'intégration professionnelle (Afip).
Veillez aussi à élargir les canaux de recrutement. Par exemple, en dotant votre communication institutionnelle de messages forts autour du thème de la diversité. Envisagez la cooptation avec parcimonie. Car cette méthode de recrutement ne doit pas renforcer les mécanismes de clonage, avec l'homogénéisation des profils. L'entreprise est donc tenue de rappeler aux collaborateurs ses engagements en matière de diversité. A eux de les avoir en tête quand ils coopteront un nouveau collaborateur.
Formalisez ensuite la sélection des candidatures. La personne en charge du tri des CV doit être sensibilisée à votre objectif de non- discrimination fixé, afin d'essayer de sélectionner plus de parcours et de profils atypiques. Parallèlement, demandez-lui de motiver le refus d'une candidature. De cette façon, vous insufflerez un peu plus d'objectivité dans le choix d'un candidat. Le CV anonyme, même s'il n'est pas exempt de défauts (CV «aseptisés», étape supplémentaire lors du recrutement, etc.), peut être mis en oeuvre. Si vous faites ce choix, vous devrez alors enlever la civilité, les nom et prénom, l'âge, l'adresse, la photo et les activités extraprofessionnelles des candidats. Notez que des logiciels permettent désormais d'automatiser cette procédure.
Une fois ces critères de sélection formalisés, vous devez vous attaquer aux méthodes d'évaluation lors d'un entretien. Il ne faut juger que les compétences. Pour cela, l'entretien doit être structuré, c'est-à-dire mené à l'aide d'une liste donnée de questions et, parfois, d'une grille d'évaluation. Ainsi, les questions ne varieront pas selon les candidats et le recruteur. Vous pouvez aussi agrémenter l'interview, d'un test ou d'une mise en situation. De cette façon, vos critères de sélection seront plus impartiaux. Par ailleurs, lors de l'entretien, rappelez-vous que la loi proscrit certaines questions, telles que celles ayant trait à la vie religieuse, la santé, la vie de famille ou aux opinions politiques et syndicales.
Concernant la décision finale, il vaut mieux qu'elle soit prise par un collège d'intervenants. «Le décideur unique est à bannir. Le fait d'être plusieurs prémunit contre les préjugés d'un seul», affirme Alain Gavand, président du cabinet de recrutement Alain Gavand Consultants et fondateur de l'association A compétence égale. Organisez une réunion entre les intéressés. Celle-ci obligera les protagonistes à argumenter pour défendre leur choix. Une méthode appliquée par José Sanchis, p-dg de Lexis, une PME de création de jeux vidéo de 70 collaborateurs: «Lors du choix d'un candidat, nous nous basons uniquement sur ses capacités. Nous lui faisons passer un test, qui est ensuite analysé, puis validé, par quatre personnes différentes», détaille le dirigeant. Si un doute persiste, vous pouvez toujours faire appel à un cabinet extérieur qui apportera son regard et son expertise lors de l'évaluation finale.
JOSE SANCHIS, p-dg de Lexis
Lors du choix du candidat, nous nous basons uniquement sur ses capacités. Chaque postulant passe, en effet, un test qui est analysé, puis validé par quatre personnes.
Assurez le suivi. Une fois toutes ces procédures mises en place, veillez à en mesurer les résultats. De fait, chaque année, la direction doit vérifier que la stratégie est bien appliquée et prendre note des actions réalisées. L'analyse de ces résultats est nécessaire pour identifier concrètement ce qui ne marche pas et, ainsi, progresser. «Le chef d'entreprise peut, par exemple, déployer un tableau de bord avec des indicateurs précis tels que le nombre de femmes ou de handicapés embauchés depuis la mise en place de sa politique de non-discrimination, précise Alain Gavand. En revanche, il ne peut pas effectuer légalement de statistiques sur la base de l'origine ethnique.» Vous pouvez également suivre l'évolution des moyens engagés en matière de lutte contre les discriminations: avancement des formations des salariés sur ce thème, partenariat avec des associations de lutte contre les discriminations, actions de communication externe...
Enfin, il est possible de recourir à des méthodes spécifiques de mesure de la discrimination, telles que l'auto-testing. Il s'agit de se faire envoyer des couples de CV, dont l'un se différencie par un critère discriminant, comme l'âge, le genre ou le patronyme. Ainsi, vous pointerez les dysfonctionnements existants au sein de votre entreprise. Au final, l'objectif n'est pas de sanctionner les collaborateurs, mais de repérer les actions à améliorer dans le processus global de recrutement. Le testing peut être réalisé par vous-même ou par des cabinets de recrutement spécialisés.
Si la discrimination est une réalité en France, elle n'est pas pour autant une fatalité. Il tient à tout un chacun de changer ses méthodes de recrutement, notamment lors du tri des CV ou du déroulement d'un entretien. N'oubliez pas que miser sur la diversité est avant tout une force pour le développement de votre entreprise, et non une contrainte supplémentaire.
JEAN-FRANCOIS THAU, p-dg de comiris
TEMOIGNAGE
Les collaborateurs issus de la diversité ont un état d'esprit positif et volontaire
Pour Jean-françois Thau, promouvoir la diversité est une évidence. Tout d'abord, parce que les différents associés de la PME ont eu des expériences à l'international, notamment dans des pays anglo-saxons, où la mixité culturelle est réelle. «Aux Etats-Unis, il n'y a pas de «délit de sale gueule ou de sale nom»», affirme-t-il. L'autre raison est plus pragmatique. La société étant basée à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, le dirigeant a choisi de recruter au sein du tissu professionnel local, «ce qui a logiquement diversifié les équipes». De fait, environ 40% des collaborateurs de Comiris sont aujourd'hui issus de la diversité. Pour le p-dg, la discrimination à l'embauche est une hérésie pour le développement d'une PME. «C'est se priver de talents potentiels, surtout dans des secteurs comme le nôtre, où le marché de l'emploi est tendu», souligne-t-il. D'autant que les collaborateurs issus de la diversité ont «un état d'esprit positif et volontaire», poursuit Jean-françois Thau. Toutefois, le dirigeant est opposé au Cv anonyme. Pour lui, seule l'implication de la direction et des managers peut faire changer les habitudes de recrutement. «La seule méthode efficace: combattre les stéréotypes trop souvent véhiculés», estime-t-il. enfin, le dirigeant explique que diversifier ses équipes, c'est aussi respecter des règles de base. Tous les collaborateurs doivent être traités de la même façon, «sinon l'entreprise va droit à la catastrophe», prévient-il. Cela nécessite de savoir adapter certaines de ses pratiques. «Par exemple, quand nous organisons des séminaires, je fais attention pour qu'il y ait toujours des plats hallal, pour n'exclure personne», conclut Jean-françois Thau.
COMIRIS - repères
- ACTIVITE:
Intégration de solutions de communication interactive à distance
- VILLES:
Colombes (Hauts-de-Seine), Lyon, Marseille et Dubaï
- DIRIGEANT:
Jean-françois Thau, 44 ans
- ANNEE DE CREATION:
1999
- EFFECTIFS:
53 salariés
- CA 2007: 15 MEuros
- RESULTAT NET 2007: 510 kEuros
A RETENIR
QUELQUES SITES UTILES
- www.halde.fr: haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde)
- www.lacse.fr: agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (acsé)
- www.stop-discrimination.info: site de la commission européenne consacré à la lutte contre les discriminations
- www.diversite-emploi.com: site d'emploi promouvant la diversité
- www.afip-asso.org: association favorisant l'intégration professionnelle -www.sos-racisme.org: SoS Racisme
- www.acompetenceegale.com: groupe de cabinets de recrutement qui luttent contre les discriminations
CE QUE DIT LA LOI
Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, «aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement [...] ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte,?[...] en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non- appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.» L'entreprise peut être condamnée comme personne morale, ainsi que l'ensemble des personnes physiques ayant participé à l'acte discriminatoire. Les sanctions encourues peuvent aller jusqu'à 225 000 euros d'amende.
A LIRE
PREVENIR LA DISCRIMINATION A L'EMBAUCHE
Par Alain Gavand, Editions d'Organisation, juin 2006, 304 p., 25 Euros
COMMENT RECRUTER SANS DISCRIMINER
Par Stéphanie Lecerf, édité par l'association
A compétence égale, mars 2007, 130 p., 12 Euros